Contre la vaccination obligatoire

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Une réflexion nuancée


Le gouvernement Legault a décidé de franchir la ligne: il rendra la vaccination obligatoire pour les travailleurs de la santé, et les récalcitrants seront suspendus sans solde. Au même moment, Justin Trudeau exhorte toutes les provinces à faire de même, affirmant qu’il n’a «aucune patience face aux gens qui refusent de se faire vacciner et empêchent les 87% de gens vaccinés de vivre normalement». Ces gens seraient, au mieux, des personnes mal informées; au pire, des égoïstes mettant en danger la vie des autres. 


Mais notre système de santé a toujours été fondé sur le libre choix des personnes adultes face aux traitements médicaux, et je crois qu’on a tort d’abandonner ce principe fondamental.


Regardons les faits : les vaccins anti-COVID proposés (vaccins à ARN-messager ou à vecteur viral d’ADN) reposent sur une approche qui n’a jamais été utilisée auparavant pour prévenir des maladies humaines. Certes, les études cliniques ont démontré qu’ils sont efficaces et qu’ils présentent des risques infimes à court terme. Mais certaines personnes ont des inquiétudes quant à leurs effets à long terme: toxicité de la protéine S qui s’accumule dans certains tissus; possible effet ADE (antibody dependant enhancement); effet de sélection naturelle favorisant l’émergence de variants plus contagieux, etc. Or, il est impossible d’écarter formellement ces inquiétudes, faute de recul expérimental. En somme, la méfiance vaccinale est possiblement non fondée, mais elle n’est pas déraisonnable. Ni un signe de manque d’information.


Il s’agit plutôt d’un calcul que chacun fait en fonction de ses propres risques. Une personne âgée, obèse, immunodéficiente ou atteinte d’autres co-morbidités peut estimer que ces risques théoriques non prouvés, et à très long terme, sont négligeables par rapport aux dangers bien réels d’attraper la COVID. La grande majorité d’entre elles ont déjà fait ce choix. Et elles sont vaccinées à plus de 97,5%. Mais une personne jeune, en parfaite santé, peut estimer que, pour elle ou pour ses enfants, le risque de la COVID ne justifie pas le pari de l’innocuité à long terme. De fait, quand on regarde la courbe démographique des gens qui hésitent face à la vaccination, en excluant une frange d’antivax idéologiques (ils représentent moins de 5% des Canadiens), ce sont surtout les moins de 40 ans qui hésitent.


Mais ce choix serait égoïste, dit-on, parce qu’il met en danger la vie des autres. Il y a une faille logique dans cet argument. Ou bien le vaccin est efficace à nous protéger contre les formes graves de la COVID et les gens non vaccinés ne mettent en danger que la vie des autres non vaccinés, ceux qui ont librement fait le même choix qu’eux. Ou bien, ils mettent effectivement en danger la vie des vaccinés... ce qui signifie que le vaccin ne protège pas vraiment.


En fait, l’enjeu véritable réside, une fois de plus, dans l’engorgement de notre système hospitalier. Parce que la COVID continuera de circuler chez cette frange de gens non vaccinés, et de plus en plus largement à mesure qu’on laissera tomber les mesures de protection sanitaire, on devrait assister à une forte recrudescence des hospitalisations. Or la hausse, déjà commencée, survient alors que nos services d’urgence sont à bout de souffle et qu’on espère effectuer le rattrapage des interventions retardées pendant les 18 mois de «délestage». Mais est-il sage d’abandonner un principe fondamental de notre système de santé (le libre choix du malade face aux traitements) parce que nos gestionnaires ont mal géré les ressources depuis tant d’années? Et ne pourrait-on pas décider d’accorder désormais la priorité des soins aux personnes ayant souffert du délestage?


Certains soutiennent qu’il faut faire exception pour les travailleurs de la santé, parce qu’ils travaillent directement auprès des gens les plus vulnérables. Y gagnera-t-on quelque chose? Le premier réflexe après la vaccination est d’abaisser la garde. À preuve, les infections nosocomiales reviennent en force dans les milieux de soins depuis que les travailleurs de la santé sont doublement vaccinés. Or, si les personnes non vaccinées sont testées régulièrement et sont contraintes à maintenir les gestes barrière, représentent-elles un danger plus grand?


En fait, la politique annoncée par le premier ministre a une portée plus symbolique que réelle: elle vise à forcer le plus de gens possible à adhérer, malgré leurs doutes légitimes, à la campagne de vaccination. Ce recours à la contrainte donne raison aux mouvements antivaccinalistes qui annoncent, depuis des mois, qu’on finira par imposer ces vaccins. À moyen terme, cela risque de renforcer la crédibilité de ces activistes. Nous avions, au Québec, une forte adhésion populaire aux vaccins. Je crains que le glissement actuel vers la vaccination obligatoire ne compromette cette attitude.




Contre la vaccination obligatoire

Photos d’archives




– Pierre Sormany


Journaliste et vulgarisateur scientifique. Il a créé l’émission Découverte à Radio-Canada et a été directeur du magazine Québec Science




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