Confiance des citoyens et vaccin

L'Empire - la fabrication de la PEUR

Notre société traverse actuellement une grave crise de confiance politique. Que ce soit à Ottawa, à Québec ou à Montréal, à tous les niveaux de gouvernance, nos politiciens pratiquent sans réserve le jeu de «qui va lancer le plus de bouette», comme un éloquent ministre a récemment décrit ce type de politique lors d'un débat à l'Assemblée nationale. La méfiance est telle qu'il ne suffit plus que de montrer la photo du luxueux yacht de Tony Accurso pour semer les doutes et faire planer sur la politique québécoise de lourds nuages noirs de corruption et de malversation.
Ce n'est évidemment pas d'hier que les partis politiques cherchent à discréditer leurs adversaires en remettant en question leur intégrité. Mais cette stratégie occupait dans le passé une place moins grande dans l'arsenal des armes de combat partisan. Au Québec, l'importance de la question nationale a longtemps eu pour effet de monopoliser une large part de notre débat politique. À ce clivage, s'ajoutait celui entre la gauche et la droite quant à la juste façon d'équilibrer les forces du marché et celles de la société. Bien que toujours présentes, ces divisions sont aujourd'hui moins mises à l'avant-scène par les partis politiques, ceux-ci ayant mis en veilleuse leurs idéologies pour maximiser leurs succès électoraux.
De nos jours, les partis cherchent moins à se différencier les uns des autres en faisant valoir leurs programmes, mais davantage en focalisant l'attention sur les qualités morales et l'intégrité personnelle de leurs leaders. La concurrence électorale se fait de plus en plus sur le terrain de l'éthique. Mais en promettant toujours plus d'éthique, les forces partisanes génèrent au sein de l'opinion publique des attentes qu'elles sont incapables de satisfaire. En faisant constamment monter la barre de l'éthique à des niveaux quasi surhumains, les politiciens ne produisent que déception et cynisme.
De ce jeu de surenchère, la confiance du public dans le processus politique est la première victime. Mais les stratèges partisans, consultants et autres mercenaires de la tactique électorale ne s'en préoccupent guère. À leurs yeux, la confiance du public dans les institutions représente la même chose que l'environnement aux yeux des pollueurs: une ressource «gratuite» qui ne demande qu'à être exploitée sans fin pour satisfaire des intérêts égoïstes à court terme.
Les politiciens versent des larmes de crocodile sur l'érosion de la confiance dans les institutions. Mais cela ne les empêche pas d'y contribuer, car plus les politiciens cherchent à gagner des votes en s'attaquant les uns les autres quant à leur manque d'éthique et d'intégrité, moins les citoyens ont confiance en eux. Ce type de politique a un effet corrosif sur la société, sur la confiance et le lien social. La politique du «toujours plus d'éthique» sème la suspicion, car elle envoie à la population le message que l'on ne peut faire confiance aux politiciens, que des lois et règlements toujours plus sévères sont nécessaires pour les empêcher de piller le bien commun.
Jusqu'à présent, on a déploré l'érosion de la confiance des citoyens dans le processus politique surtout lorsqu'elle a pour effet de réduire la participation aux élections. Cela est peut-être l'effet le plus visible, mais pas le plus important ni le plus préoccupant. L'actuelle campagne de vaccination contre le virus A(H1N1) décrétée par les gouvernements se trouve en partie contaminée par la méfiance des citoyens envers les autorités politiques.
Plusieurs citoyens mettront leur vie en péril et ne se feront pas vacciner parce qu'ils n'ont pas confiance en leur gouvernement. À force d'entendre jour après jour que les politiciens sont corrompus et qu'ils sont à la solde des grands intérêts privés, ils y croient. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur Internet pour voir circuler toutes sortes d'histoires de complots selon lesquelles la campagne de vaccination est une vaste machination de l'industrie pharmaceutique dont le seul but est la maximisation des profits. D'autres parlent plutôt de pots-de-vin aux décideurs ayant permis à de riches individus d'obtenir le vaccin sans avoir à faire les longues les files d'attente que le reste d'entre nous devra subir.
On dira que seule une minorité d'individus croit en ce genre de scénario. Mais une minorité c'est encore trop, car c'est sur la base de cette croyance que certains de nos concitoyens prendront des décisions qui peuvent affecter leur vie. Qu'on se le dise: dans la politique du «lançage de bouette», il y a beaucoup plus que des votes en jeu, mais des vies humaines.
Une société qui croit que ceux qui la gouvernent sont d'abord et avant tout motivés par l'appât du gain, et non par la recherche du bien commun, doit faire attention que ceci ne devienne pas une «prophétie auto-réalisatrice» (self-fulfilling prophecy), car elle risque alors de n'attirer en politique que les vénaux et les cupides.
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Denis Saint-Martin, Professeur de science politique à l'Université de Montréal


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