SNC-Lavalin et la justice en matière de corruption

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Malheureusement, SNC-Lavalin s'en sortira avec une simple tape sur les doigts


Le Globe and Mail révélait la semaine dernière que le bureau du premier ministre (BPM) Trudeau aurait fait pression sur la ministre de la Justice pour que son ministère négocie un accord qui suspend les accusations de corruption contre la multinationale du génie-conseil.


Que cette nouvelle suscite la surprise et l’indignation à Toronto et Ottawa est quelque peu étonnant. C’est plutôt l’absence de pression par le BPM dans ce dossier qui l’aurait été, car dans toutes les démocraties capitalistes du monde, c’est ainsi que se règlent les poursuites de corruption quand il s’agit de « champions nationaux ». Partout, les entreprises « too big to jail » (TBTJ) comme SNC-Lavalin évitent les tribunaux en raison de leur poids économique et politique. Les cas les plus récents incluent Rolls-Royce au Royaume-Uni, Petrobras au Brésil et Keppel Corporation à Singapour. Ces compagnies négocient des ententes de « réhabilitation » qui donnent aux firmes accusées de corruption la possibilité de faire annuler les poursuites à leur encontre si leurs dirigeants reconnaissent les faits, paient une amende et mettent en place des procédures pour renforcer l’éthique. Ces ententes ont vu le jour aux États-Unis pour protéger les firmes accusées de corruption du sort réservé à Arthur Andersen, la multinationale de l’audit démantelée en 2002 pour son rôle dans l’affaire Enron.


Le ministère de la Justice américain a depuis conclu des centaines d’accords de ce type et engrangé des dizaines de milliards payés en amendes par les compagnies qu’il accuse de corruption. Dans ce lot, les entreprises étrangères sont toujours plus nombreuses et paient systématiquement des amendes plus salées que les compagnies américaines. The Economist (19/01) dénonçait récemment ce « traitement spécial » dans un article qui décrit les États-Unis comme jouant à la fois le rôle de « policier, de juge et de jury » dans la lutte mondiale contre la corruption. En France, un comité de l’Assemblée nationale constatait en 2016 la « surreprésentation évidente des entreprises européennes dans les dossiers relatifs à l’application des lois américaines sur la corruption internationale » et notait que celles-ci avaient « versé les deux tiers des plus grosses amendes ».


Problème d’engagement crédible


En matière de lutte contre la corruption d’entreprise, la justice d’un pays n’est jamais aveugle devant ses champions nationaux. Cette réalité est peut-être brutale mais fait partie des contraintes politiques qu’impose le capitalisme global à la démocratie. La lutte contre la corruption d’entreprise à l’échelle mondiale crée un véritable problème d’action collective et d’engagement crédible. Comme l’écrivait (la défunte) Elinor Ostrom, Prix Nobel d’économie en 2009, « no one wants to be a sucker ». Aucun gouvernement sur la planète ne veut punir ses entreprises fautives plus sévèrement sans savoir si les autres feront de même, et courir ainsi le risque de subir des pertes qui profitent à ses concurrents. Chacun préfère plutôt se réserver la discrétion de punir ses firmes visées par la corruption comme il le juge approprié, en fonction de ses propres intérêts économiques nationaux.


Il n’y a rien d’illégitime à ce que le BPM fasse un suivi du dossier de SNC-Lavalin auprès du ministère de la Justice. Mais entre faire pression et dicter la décision finale aux procureurs du gouvernement, il y a évidemment une marge à ne pas franchir. La décision d’aller de l’avant avec les poursuites contre SNC-Lavalin ne doit reposer que sur le droit et l’évaluation des chances de prouver le crime de corruption « hors de tout doute raisonnable ». La sanction par les tribunaux demeure un puissant moyen pour combattre la corruption.


En même temps, le nouveau régime d’accord de poursuite suspendue adopté en 2018 donne à l’exécutif le pouvoir de négocier une entente avec SNC-Lavalin au nom de « l’intérêt public ». Si la Cour fédérale cassait la décision des procureurs, comme le lui demande la firme montréalaise, et qu’un accord devenait possible, celui-ci devrait être transparent et faire l’objet d’un exercice de pédagogie auprès de l’opinion publique. Les tractations en secret et les campagnes de lobbying au sommet de l’État ne font qu’alimenter la méfiance et l’impression d’un traitement injustifié. La lutte contre la corruption et les intérêts économiques sont difficiles à concilier dans les démocraties capitalistes comme la nôtre. Ce difficile arbitrage de valeurs doit se faire avec le soutien du public. Ceux et celles qui souhaitent un règlement pour SNC-Lavalin doivent s’assurer de son acceptabilité sociale, sinon leurs efforts risquent d’être vains.









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