Le vérificateur général de la Ville de Montréal a remis son rapport de 170 pages sur l'attribution des compteurs d'eau hier soir, au conseil municipal. Il recommande à la Ville «d'organiser une formation en éthique pour les élus, la direction, les gestionnaires et le personnel concerné par le processus d'approvisionnement, d'acquisition et de réalisation des contrats». Photo: David Boily, La Presse
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Le Vérificateur général de la Ville de Montréal, Jacques Bergeron, a découvert des données si troublantes dans l'attribution du contrat des compteurs d'eau qu'il les a transmises à la Sûreté du Québec. En avril, son prédécesseur, Michel Doyon, avait fait la même chose dans son enquête sur la Société d'habitation et de développement de Montréal.
«Notre travail a mis en lumière bon nombre d'irrégularités administratives, une gestion déficiente et plusieurs omissions d'informations pertinentes aux élus, écrit M. Bergeron dans son rapport de 170 pages, remis à 21h30 hier soir au conseil municipal. De plus, et pour les raisons expliquées dans le rapport, le prix du contrat ICI (le contrat des compteurs d'eau dans les immeubles industriels, commerciaux et institutionnels) nous apparaît trop élevé.» M. Bergeron recommande à la Ville «d'examiner toutes les possibilités relativement à la poursuite du projet dans sa forme actuelle, incluant l'annulation du contrat octroyé à GÉNIeau». GÉNIeau est le consortium qui a raflé le contrat de 356 millions: il est formé de la firme Simard-Beaudry, dirigée par l'homme d'affaires Tony Accurso, et la firme d'ingénieurs Dessau.
Les clauses du contrat ont été changées en cours de route, dénonce le vérificateur. Au bout de 15 ans, la Ville va hériter de compteurs d'eau qu'il faudra commencer à remplacer; or, la garantie sera échue. Au total, le projet de compteurs d'eau et d'optimisation du réseau va coûter plus de 600 millions de dollars, dit-il. Cela revient cher pour réaliser des économies de 20 millions chaque année grâce à une détection des fuites plus efficace, commente M. Bergeron.
Rencontres suspectes
Mais ce qui l'inquiète le plus, c'est d'avoir été informé de rencontres très suspectes entre des représentants de la Ville de Montréal et des compagnies privées, et cela pendant le processus d'attribution du contrat. Cela soulève de graves problèmes d'éthique, sinon la possibilité d'infractions au Code criminel.
«Nous ne pouvons confirmer si ces rencontres ont eu lieu et le sujet de ces rencontres, écrit M. Bergeron. Cependant, en apparence, ces informations amènent un doute sur les liens de promiscuité entre ces personnes et sur l'influence que ces rencontres auraient pu avoir sur le déroulement du projet.
«Les pouvoirs d'enquête limités du vérificateur général ne nous permettent pas de tirer des conclusions sur ces événements: nous avons donc remis ces informations à la Sûreté du Québec. Toutefois, ces situations aux yeux de plusieurs, pourraient entacher la réputation de la Ville si elles s'avéraient fondées. Nous ne pouvons qu'encourager la Ville et ses dirigeants à demeurer prudents pour ainsi éviter les situations de conflits ou d'apparences de conflits d'intérêt.»
Une clause interdisait déjà les communications entre les soumissionnaires, d'une part, et les élus, les employés de la Ville et leurs mandataires, d'autre part, mais pour une période très limitée. M. Bergeron estime que la période devrait s'échelonner du début de l'appel de qualification jusqu'à l'attribution du contrat. Il s'agit là d'une critique à mots couverts de l'ancien président du comité exécutif de la Ville, Frank Zampino, qui a voyagé à bord du yacht de Tony Accurso en janvier 2007, en plein pendant la période d'attribution du contrat.
M. Bergeron recommande d'ailleurs à la Ville «d'organiser une formation en éthique pour les élus, la direction, les gestionnaires et le personnel concerné par le processus d'approvisionnement, d'acquisition et de réalisation des contrats.» Le vérificateur n'est pas sûr qu'il n'y a pas eu collusion entre les soumissionnaires; en tout cas, il recommande que la Ville «exige, de façon standard, que chacun des soumissionnaires signe un formulaire attestant l'absence de collusion dans l'établissement de leur soumission».
Coût déraisonnable
Quant au contrat comme tel, M. Bergeron croit que le prix d'achat et d'installation des compteurs dans les immeubles industriels, commerciaux et institutionnels (ICI) est raisonnable. Mais ce coût est devenu déraisonnable avec les nombreuses majorations de prix pour les frais de gestion et les marges de profit. Le prix d'un compteur de diamètre moyen (de 25 mm) a ainsi doublé, passant de 871?$ à 1469?$.
Le contrat accordé à GÉNIeau comporte deux volets. Le premier, pour les compteurs d'eau dans les ICI, correspond environ au tiers du prix de 356 millions. Le deuxième, pour «l'optimisation du réseau», avec réparation et ajout de chambres de vannes, est beaucoup plus important et compte pour plus de 200 millions. M. Bergeron estime que sa justification n'a pas été prouvée. Il recommande carrément qu'il soit reporté.
«Les analyses coûts-bénéfices faites à ce jour ne permettent pas de justifier, de façon concluante, les investissements à faire relativement au volet optimisation du réseau», écrit-il. Selon lui, les deux volets ? compteurs et optimisation du réseau ? auraient dû faire l'objet d'appels d'offres séparés.
«Nous nous questionnons sur le fait que le processus (d'attribution du contrat) ait continué, compte tenu des mises en garde répétées de plusieurs intervenants directs au dossier (...) Nous ne pouvons que constater que le contrat octroyé à GÉNIeau l'a été dans un contexte qui ne favorisait pas l'obtention du meilleur prix.»
Compteurs d'eau: un rapport dévastateur
Scandales à Montréal - les compteurs d'eau
André Noël30 articles
André Noël a étudié en géographie à l'Université de Montréal et en journalisme à Strasbourg. Après avoir été rédacteur à la Presse canadienne, il est entré à La Presse en 1984. Il a toujours travaillé dans la section des informations générales, où il a men...
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André Noël a étudié en géographie à l'Université de Montréal et en journalisme à Strasbourg. Après avoir été rédacteur à la Presse canadienne, il est entré à La Presse en 1984. Il a toujours travaillé dans la section des informations générales, où il a mené des enquêtes très variées.
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