Parasitage des firmes dans les municipalités

Le maillage privé-public explique les dérives éthiques

Scandales à Montréal - les compteurs d'eau



Le 21 avril 2009, le commissaire au lobbyisme, André C. Côté, a annoncé qu'il effectuait «des vérifications» dans le dossier des compteurs d'eau en raison de sa «très grande préoccupation [...] pour l'activité de lobbying non déclarée de nombreuses firmes de génie-conseil» (Le Devoir, 21 avril 2009). Déjà, le 13 août 2008, nous sonnions l'alarme en ces pages à propos des relations incestueuses entre, d'une part, la Ville de Montréal et, d'autre part, les firmes de consultation BPR et Dessau; des firmes qui (comme la majorité) n'étaient pas inscrites au registre des lobbyistes à ce moment et encore aujourd'hui.
Pourtant, dans une lettre intitulée «Le commissaire au lobbyisme réplique», parue en ces pages le 22 août 2008, le commissaire affirmait «que contrairement à ce qu'avance l'auteur (du 13 août 2008) [...] ces cabinets de consultation respectent la loi et sont inscrits au registre des lobbyistes». Peut-être que, si le commissaire avait ouvert une enquête dès le mois d'août, il aurait découvert facilement que les firmes (et leurs acteurs) n'étaient pas en règle, et ce, comme nous l'avions déclaré il y a près de huit mois.
Il faut comprendre que le manque de ressources administratives n'affecte pas uniquement les capacités d'enquête du commissaire au lobbyisme: le vérificateur général de la Ville de Montréal a si peu de personnel et d'expertise qu'il confiera une partie de son enquête à «une firme de génie-conseil» (Le Devoir, 10 avril 2009). De son côté, faute d'une contre-expertise publique, l'administration Tremblay a demandé à la firme BPR (qui fut partenaire de Dessau dans d'autres projets et qui a recommandé la sélection du consortium GENIeau) «d'expliquer» à la population et aux élus municipaux le bien-fondé des compteurs d'eau. Les compressions et la privatisation dans l'administration publique, et ce, à de multiples niveaux, ont fait en sorte que les instances responsables ne se sont activées qu'à la traîne des médias nationaux alors même que la situation était «visible» depuis presque un an. Pourquoi?
Les firmes prédatrices
Pour bien comprendre le malaise éthique, il faut savoir que les gouvernements locaux ont été les premiers et les plus prompts à déléguer au marché des pans importants de leur administration. En effet, la sous-traitance est devenue très intéressante au fur et à mesure que son recours fut exalté par la rhétorique de la «bonne gouvernance». La Banque mondiale a même applaudi à «la disparition du rôle de l'État local [...] [conceptualisant] le secteur public municipal comme simple "fournisseur de moyens" pour les marchés».
Ce discours axé sur l'efficience -- et favorisant la pénétration du marché au sein des gouvernements locaux -- n'est pas nouveau. En effet, «l'idée selon laquelle les activités de l'État doivent être gérées selon des principes d'économie n'était certes pas étrangère aux promoteurs de la bureaucratie, mais l'un des moyens de réaliser cet objectif consistait précisément pour eux à réformer une fonction publique inefficace» parce que pénétrée par le patronage et rongée par une corruption résultant d'un manque bureaucratique.
En conséquence, un paradoxe extraordinaire se présente à nous: d'une part, la bureaucratisation de l'administration publique est survenue pour assainir la gouvernance et la rendre en quelque sorte éthique (bien que le concept n'était pas popularisé à l'époque). D'autre part, au cours des deux dernières décennies, on a assisté à une «débureaucratisation», nécessaire à la pénétration du marché et au retour du patronage. Concurremment, les institutions de régulation éthique émergent, tentant d'annuler les problèmes et les malaises inhérents au contact du marché et de la sphère publique.
Droit et morale
En parallèle -- et profitant de cette «débureaucratisation» de l'administration publique --, on assiste à une augmentation de la représentation des lobbys, des lobbyistes eux-mêmes, des consultants et des lobbyistes-conseils, donc à une pénétration de ceux-ci dans les frontières jadis publiques, d'où les incroyables malaises que l'on sait. Puisque prouver la corruption nécessite une preuve hors de tout doute raisonnable, celle-ci est difficile à enrayer et c'est pour cette raison que les corps policiers n'allouent que peu de ressources à ces enquêtes. Ainsi, les règles d'éthique viennent combler un vacuum créé entre le droit et l'évolution de la morale; les malaises éthiques se retrouvent donc dans cet interstice.
Comprises de cette façon, les réformes éthiques ne sont le fruit que «d'une corruption de plus en plus raffinée»; une corruption que les corps policiers n'arrivent plus à qualifier légalement. Ce «raffinement» rend la détection des malversations très difficile dans l'environnement municipal, car les capacités administratives des villes sont relativement faibles (Bordeleau, 2008) et la réaction des acteurs gouvernementaux, comme suite aux dossiers médias des compteurs d'eau, en est la représentation tangible.
La source des manquements
Si plus d'élus se font prendre la main dans la «jarre à biscuits», ce n'est pas nécessairement parce qu'ils ont le bec plus sucré. En effet, les élus sont plus éthiques qu'auparavant. Avec le retour du patronage, l'application de techniques «managériales» provenant du secteur privé et la pénétration de plus en plus profonde du marché dans l'administration, il y a -- pour poursuivre l'allégorie de Rosenthal -- plus de biscuits et même de «nouvelles mains» pour les tendre aux élus.
Si le développement de l'éthique en politique tente généralement de contrôler l'accès à la jarre, on en revient toujours à la conception de la frontière publique-privée. Ainsi, plusieurs affirment que les règles d'éthique sont nécessaires, pour rendre en quelque sorte la conduite publique plus «propre», dans un contexte de pratique privée contestable et de relations publiques-privées plus fréquentes.
Malgré cette dernière vision positiviste de l'éthique (dominante actuellement) et des remèdes qu'elle peut apporter, le public se doute que les règles et les codifications ne sont que pour le «spectacle». Pendant ce temps, la vraie corruption systémique s'installe. [...] Par conséquent, les règles font la promotion d'une apparence d'intégrité, mais pas nécessairement de sa réalisation au sens romantique tel que prôné par les codificateurs.
Firmes parasites
Alors que l'attention publique est (ré)orientée vers la «promulgation d'un code d'éthique», nous postulons que, pour assainir les gouvernements municipaux de façon durable, le recours aux firmes doit être revu en faveur d'une utilisation plus restreinte et plus limitée, moins centrale et plus simplement consultative. Autrement dit, les institutions publiques doivent reconstruire et revitaliser leur base d'expertise pour détecter les malversations et réaliser elles-mêmes des tâches que les politiciens désirent confier inutilement, et à grands frais, à des firmes «amies».
C'est en réduisant les contacts publics-privés et en développant une contre-expertise «maison» que l'on réduira les problèmes de corruption et d'éthique, et ce, bien plus qu'avec un code de conduite.
Dans les faits, rien ne saurait empêcher une ville comme Montréal de ragaillardir son département d'ingénierie, son service de vérification et tous les pans de sa bureaucratie pour s'immuniser contre le parasitage du privé, si ce ne sont le financement électoral et le «pantouflage» de deuxième carrière qu'offrent les firmes parasites.
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Christian Bordeleau, Candidat au doctorat, finissant à la maîtrise en science politique à l'Université de Montréal et affilié au Centre de recherche sur les politiques et le développement social (CPDS), l'auteur a réalisé sa thèse de maîtrise sur l'éthique en politique.

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Candidat au doctorat, finissant à la maîtrise en science politique à l'Université de Montréal et affilié au Centre de recherche sur les politiques et le développement social (CPDS), l'auteur a réalisé sa thèse de maîtrise sur l'éthique en politique.





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