En tant que souverainiste, j’ai peine à comprendre les motivations de mes compatriotes fédéralistes. Comment, en effet, peut-on continuer à adhérer au projet fédéral canadien après le rapatriement de la Constitution de 1981-1982 sans la signature du Québec, les atteintes à la Charte de la langue française imposées par des décisions de la Cour suprême, les échecs des accords du lac Meech et de Charlottetown, le plan B de Jean Chrétien, le scandale des commandites et les manoeuvres référendaires fédérales de 1995 ? Je dois malgré tout constater, comme le note le politologue Jean-François Caron, « qu’une majorité de Québécois ont encore aujourd’hui un sentiment d’appartenance envers la société politique canadienne ». Ils doivent bien avoir leurs raisons.
Dans Être fédéraliste au Québec, Caron, qui enseigne maintenant au Kazakhstan, essaie justement de les expliquer. Bien que je ne partage pas ses conclusions, je dois préciser que je considère ce politologue fédéraliste comme un essayiste modèle. Soucieux de clarté argumentative et stylistique, Caron cultive la limpidité, va à l’essentiel et fait de fréquents rappels de sa thèse principale dans le but d’unifier son propos. Le lire est une expérience intellectuelle enrichissante, que l’on soit ou non d’accord avec lui.
Dualisme identitaire
D’entrée de jeu, le politologue reconnaît qu’« il y a un certain malaise à se dire fédéraliste au Québec » parce que « cette option politique s’est souvent révélée décevante pour le Québec ». Il marque, de plus, son désaccord avec plusieurs des arguments avancés par les partisans de cette option. On ne devrait pas être fédéraliste, écrit-il, pour garder les Rocheuses ou par crainte de l’avenir économique du Québec. Pourquoi, alors, tant de Québécois le sont-ils ? Serait-ce, comme le soutient une thèse souverainiste, parce qu’ils sont pusillanimes et colonisés ?
Caron rejette cette lecture de la situation et propose plutôt la thèse suivante : si les Québécois demeurent attachés au Canada, c’est « parce que la société politique canadienne leur permet de s’autodéterminer librement, mais aussi parce qu’elle est également en mesure de s’adapter et de répondre de manière satisfaisante à leurs revendications politiques ». Il parle d’un « sentiment d’appartenance à une association politique libre », qu’on retrouve aussi en Suisse, en Belgique et en Espagne.
Dans les pays multinationaux, explique-t-il, le dualisme identitaire est la norme. Les minorités nationales (québécoise, flamande, catalane) y cultivent un patriotisme nationaliste, fondé sur des références historiques et culturelles partagées, et un patriotisme républicain, que Caron définit comme « un amour rationnel des lois d’une association politique ».
Ce second patriotisme a surtout une valeur instrumentale et ne peut entraîner l’adhésion qu’aux deux conditions déjà mentionnées : il doit permettre « l’autonomie communautaire » des groupes nationaux et permettre à ces groupes d’influer sur les normes fédérales. Si ces conditions ne sont pas remplies, la tendance sécessionniste des minorités nationales devient dominante et légitime.
En Suisse, montre Caron, ce sain fédéralisme est respecté, d’où l’absence de mouvements sécessionnistes d’envergure. En Belgique et en Espagne, ce n’est pas le cas, ce qui explique le grandissant désir d’indépendance de la Flandre et de la Catalogne.
Le Québec est-il libre ?
Qu’en est-il du Québec, selon cet intéressant cadre théorique ? Peut-on affirmer, comme le fait Caron, que « les deux conditions essentielles au développement d’un sentiment d’appartenance à une association politique libre sont réunies dans le cas canadien » ?
Pour toutes les raisons énumérées en ouverture de cette chronique, les souverainistes répondront un non retentissant. Comment Caron peut-il donc soutenir que « le fédéralisme canadien a su se montrer accommodant dans l’élaboration du projet de construction nationale du peuple québécois » ?
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