Comment (ne pas) prendre des décisions en santé

Commission Castonguay



Les soins de santé sont souvent très coûteux et augmentent continuellement. Par conséquent, leur gestion peut s'avérer très problématique. Le Québec a depuis longtemps reconnu ce fait et a été un leader dans le domaine de l'évaluation des technologies de la santé en créant une des premières unités dédiées à cette activité, soit l'ancien Conseil d'évaluation des technologies de la santé, mieux connu aujourd'hui sous le nom de l'Agence d'évaluation des technologies et des modes d'intervention en santé.
Pour traiter les questions d'évaluation des médicaments, le Québec s'est aussi doté du Conseil des médicaments, composé de médecins spécialistes en pharmacologie, en épidémiologie et en économique, de pharmaciens, de chercheurs et de spécialistes en sciences infirmières et en bioéthique.
Un des objectifs de notre système de santé universel est de s'assurer d'une juste valeur pour nos dépenses. C'est doublement important car notre budget est relativement fixe et ne peut croître indéfiniment. Il est à noter que la santé de notre population dépend non seulement des dépenses d'ordre technologique mais aussi, en partie, des dépenses liées à son organisation et à son accessibilité ainsi que des dépenses dans les domaines de l'éducation, de l'environnement et des autres services sociaux.
Ceci peut expliquer le fait que le pays dont les dépenses directes de soins de santé sont les plus élevées n'a pas de meilleurs résultats. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les États-Unis dépensent deux fois plus en santé que les autres pays occidentaux (6000 $ par individu) mais obtiennent une espérance de vie inférieure à celle des autres pays industrialisés (par exemple, 2,5 années de moins que le Canada).
Bonne valeur
Les questions économiques se résument dans des questions de choix. Les nouvelles technologies, y compris les médicaments, doivent être scientifiquement évaluées pour déterminer si elles offrent une bonne valeur pour les ressources dépensées. Il est donc nécessaire d'évaluer non seulement les bénéfices cliniques mais également les effets secondaires et les coûts associés.
En général, le budget n'est pas augmenté chaque fois qu'un nouveau médicament est introduit; par conséquent, quelque chose qui présente un coût égal doit être abandonné afin d'équilibrer le budget. En termes économiques, ceci représente les coûts d'opportunité. Idéalement, la nouvelle technologie devra apporter plus de bénéfices par rapport à celle qui vient d'être abandonnée.
Avastin
Dans ce contexte, examinons la récente approbation par le ministère de la Santé et des Services sociaux du bévacizumab (Avastin) à la liste de médicaments-établissements pour le traitement du cancer colorectal métastatique. Le cancer du côlon métastatique est une maladie grave, et tous sont d'accord pour dire que de nouveaux traitements sont souhaitables. Cette approbation découle d'une étude où, après un an de traitement, le taux de survie s'établissait à 74,3 % avec l'Avastin par rapport à 63,4 % avec l'ancien traitement. Impressionnant, mais c'est loin d'une guérison, car après 20 mois du nouveau traitement, 100 % des patients ont quand même subi une progression de leur maladie et 50 % sont décédés.
D'ailleurs, il semble qu'après 36 mois, presque tous soient décédés, peu importe le traitement reçu. De plus, l'Avastin n'est pas sans risque, car des effets secondaires graves surviennent chez 85 % des patients, soit 10 % de plus qu'avec le traitement standard.
Depuis l'approbation de ce médicament aux États-Unis, en 2004, la Food and Drug Administration a dû émettre trois avertissements différents quant à la sécurité de ce médicament en cas de problèmes cardiovasculaires et neurologiques. Finalement, il y a le coût: environ 50 000 $ pour un traitement toutes les deux semaines, couvrant une période moyenne de dix mois. S'il y avait environ 2000 Québécois par année qui souffraient de cette maladie métastatique, l'ajout d'Avastin risquerait d'accroître nos dépenses de 100 millions de dollars par année, soit un milliard après dix ans. Pas mal, pour le fabricant!
Prolongation de la vie
Cependant, n'oublions pas que ceci ne nous procure pas des guérisons mais bien une prolongation de la vie d'environ quatre mois et que la qualité de vie associée à ces mois additionnels est loin d'être assurée à cause de la maladie sous-jacente et des effets secondaires du traitement.
Les avantages jumelés au profil des effets secondaires et des coûts ont fait en sorte que l'agence britannique d'évaluation (NICE), reconnue mondialement pour la qualité de ses évaluations, a refusé d'approuver l'Avastin. Le NICE a conclu que ce médicament ne représente pas une utilisation appropriée de ses ressources limitées avec un ratio coût-efficacité de plus de 120 000 $ pour chaque année de vie sauvée. En général, les ratios dépassant 50 000 $ par année supplémentaire acquise ne sont pas considérés comme une option financièrement attrayante.
Comment se fait-il alors que notre ministère à nous ait accepté ce médicament? Sommes-nous tout simplement plus riches que les Britanniques? Notre Conseil des médicaments, avec ses nombreuses années d'expérience en évaluation, a-t-il été consulté? Si oui, quelles ont été ses conclusions? Sinon, pourquoi n'a-t-on pas demandé son expertise dans ce dossier complexe?
Selon une lettre du sous-ministre, il semble que l'avis du Conseil ait été supplanté par un groupe d'experts ad hoc mandaté par la Direction de la lutte contre le cancer, soit quatre médecins spécialistes en oncologie et un omnipraticien. Certains feront le rapprochement avec le NICE où, bien sûr, on a reçu non seulement les suggestions des oncologistes mais aussi les commentaires des experts en évaluation ainsi que de 30 autres agences professionnelles et groupes de patients avant qu'une décision finale ne soit prise.
À contre-courant
La prise de décision pour l'Avastin semble aller à l'encontre de notre façon historique au Québec d'approuver un nouveau médicament ainsi que de la façon de faire de presque tous les pays occidentaux qui souscrivent au bien-fondé des unités d'évaluation multidisciplinaires. Le ministère semble permettre à un seul groupe d'intérêt de prendre une décision majeure sans examiner tous les enjeux.
Ceci reflète-t-il la façon optimale de dépenser nos ressources limitées? Personnellement, je n'en suis pas convaincu. Cependant, je suis absolument certain que cet écart à notre pratique standard d'évaluation est une initiative extrêmement rétrograde. Suivre ce trajet équivaut à un retour à la loi de la jungle où le groupe dont le lobby est le plus efficace sera servi le premier, même si les sciences, clinique et économique, nous indiquent qu'il y a d'autres manières de dépenser notre argent, entraînant plus d'avantages pour notre population.
Si jamais vous-même ou un de vos proches êtes coincés sur les listes d'attentes infernales pour avoir accès à un médecin de famille, un lit d'hospitalisation de l'urgence, une procédure orthopédique, cardiaque ou autre, n'oubliez pas qu'au moins, vous avez droit à l'Avastin.
***
James Brophy, Médecin et directeur de l'Unité d'évaluation du CHUM et du CUSM
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