Lors de sa rencontre, cette semaine, avec António Guterres, secrétaire général de l’ONU, Vladimir Poutine a évoqué un précédent historique fondamental qui explique en partie la crise actuelle en Ukraine. Lors de son allocution, Poutine a dit en effet que la situation de la Crimée était similaire à celle du Kosovo et a rajouté que la Cour internationale de justice (CIJ) a reconnu la légalité de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo. Pour Poutine, ce droit doit donc s’appliquer également à la Crimée et aux républiques du Donbass.
Poutine a à la fois tort et raison. Il a tort sur le fond mais il a raison sur la comparaison. L’OTAN a arraché le Kosovo à la Serbie par la guerre pour y installer une république bananière qui a déclaré son indépendance en toute illégalité vis-à-vis de la Constitution de la Yougoslavie qui était un État de droit. En Ukraine, la situation est différente. En 2014, il y a eu un coup d’État (qualifié de révolution de Maïdan), soutenu par les États-Unis (dès décembre 2013, le sénateur républicain John McCain et son homologue démocrate Chris Murphy prennent la parole devant les manifestants et rencontrent les trois chefs de l'opposition), qui a chassé le président élu démocratiquement. À partir du moment où il y eut un coup d’État, la Constitution ukrainienne était violée. Les règles du jeu commun entre Ukrainiens n’étaient plus respectées et les régions russophones de l’Est et du Sud, qui ne reconnaissaient pas du tout le coup d’État antirusse, ont décidé par référendum ou par les armes de prendre leur avenir en main. Poutine dit que la décision de la CIJ pourrait s’appliquer à ces régions aussi, mais la CIJ a reconnu la déclaration de l’indépendance kosovare et non l’indépendance elle-même. Guterres a d’ailleurs rappelé au maître du Kremlin que l’ONU ne reconnaissait justement pas l’indépendance du Kosovo.
Pour autant, la comparaison de M. Poutine n'est pas infondée. En effet, c’est l’ingérence atlantiste en ex-Yougoslavie et plus tard en Irak, en Afghanistan ou en Libye sur laquelle s'appuie la Russie pour prendre les armes aujourd’hui. Si l’OTAN est intervenue militairement en Serbie, pourquoi les Russes ne pourraient-ils pas intervenir en Ukraine ? Si les Américains (et la France, hélas) ont reconnu l’État du Kosovo, pourquoi le Kremlin ne pourrait-il pas reconnaître les républiques indépendantes du Donbass ? Le journaliste français Vincent Hervouët, chef du service étranger de LCI, a raison de souligner que le Kosovo est « le crime initial ». En effet, avec la destruction de la Yougoslavie et la création de l’État fantoche du Kosovo, les USA et leurs alliés atlantistes ont littéralement fait exploser la base du droit international, l’acte final des accords d’Helsinki, la convention de Genève et la charte même de l’OTAN qui est censée être une organisation de défense collective et non d’attaque.
Nous assistons malheureusement à l’éclatement de l’équilibre fragile issu de la fin de la Seconde Guerre mondiale. La guerre froide est devenue chaude. L'OTAN et les États-Unis ont ouvert la boîte de Pandore du chamboulement violent des frontières et de la guerre en Europe. Ils ont une lourde responsabilité dans la situation ukrainienne et il serait bon de ne pas l’oublier.