Ce n'est pas pour assombrir votre temps des Fêtes, mais les turbulences de 2008 furent si houleuses qu'elles laissent présager une prochaine année vraiment noire dans le champ artistique. Les effets combinés des compressions culturelles au fédéral et de la crise économique mènent à la catastrophe. À l'heure où les cadres de l'Institut national de l'image et du son (INIS) vendent leur chocolat pour renflouer les coffres de leur école de cinéma appauvrie par les compressions d'Ottawa, les scénarios post-apocalyptiques se bousculent dans notre esprit: organismes nécessiteux en train de faire la manche, d'autres sombrant corps et biens... Alerte! En cette fin d'année, le milieu culturel voit arriver 2009 avec affolement. Souhaitez-la lui bonne et heureuse, juste pour voir...
Oui, cet alliage des compressions et de la crise constitue un cauchemar à pattes et à poil pour notre petit monde des arts et des lettres.
Que faire devant le désengagement de l'État providence? Courtiser davantage les entreprises privées, répondront certains. Oh! Oh! Celles-ci, durement éprouvées par la crise, retirent leurs billes. Le Festival de jazz vient de perdre avec General Motors son plus important commanditaire. Or l'hécatombe, qui frappera tout le milieu, ne fait que débuter. Compenser d'une main les pertes des programmes fédéraux, combler de l'autre le manque à gagner des commandites perdues, bonjour le casse-tête! Le bateau coulant de toutes parts, l'État soutiendra davantage l'industrie lourde. Mais la fragile culture... Surtout sous Harper, comptez-y, mes frères!
Du côté des petits festivals de films, on s'inquiète, comme ailleurs.
Ségolène Roederer, directrice des Rendez-vous du cinéma québécois, annonce qu'un commanditaire vient de les lâcher en prétextant la crise économique. Plusieurs défections privées sont à prévoir en 2009. Toutes ces manifestations culturelles voient une épée de Damoclès pendre au-dessus de leur tête. En quelques mois, les règles du jeu ont complètement changé pour elles, sans plan B à l'horizon.
«Avec les manques à gagner en culture, on entre en période de vaches maigres, constate avec raison Nicolas Girard-Deltruc, directeur général du Festival du nouveau cinéma. L'État prévoit-il des mesures de soutien pour nous aider à ramer? Quels programmes succéderont à ceux qui furent abolis? Mystère!»
Histoire d'enfoncer le clou de leur dèche, tout va coûter plus cher à ces organismes en temps d'inflation. «Les fournisseurs hausseront leurs prix: transport, frais d'impression, etc.! Pour joindre les deux bouts, on devra sacrifier des projets, devenant ainsi non admissibles à certains programmes gouvernementaux, poursuit le directeur du FNC. On craint l'effet domino.»
Moins d'argent pour rouler, un manque de volonté politique au ministère du Patrimoine et une flambée des prix. Bonjour la combinaison gagnante! La crise frappe tout le monde, entendons-nous là-dessus, sauf que la culture, déjà éprouvée, vitale au Québec, risque d'y laisser bientôt ses dents.
Ça prendrait des cellules de crise, avec soutien d'État pour aider les groupes culturels à se restructurer en pareille tourmente. Mais qu'attendre de Harper, vrai fossoyeur de la culture, s'il demeure en poste? Un ricanement, au mieux, un silence...
Marie-Anne Roulet, directrice des Rencontres internationales du documentaire de Montréal, s'inquiète aussi. À son festival s'annexe un Marché du film. Grâce aux programmes Routes commerciales et PromArt, les Rencontres pouvaient payer les déplacements d'acheteurs étrangers... Depuis qu'ils furent tronçonnés par Ottawa, les trous budgétaires demeurent béants. Le documentaire ne s'inscrit pas dans cette culture triomphante du divertissement, seule appréciée au sommet. De quoi provoquer des sueurs froides...
Même chez Téléfilm Canada, l'anxiété règne. Le gouvernement conservateur désespère les fonctionnaires culturels, qui soupirent dans leurs couloirs et nous confessent leur désarroi. C'est le ministère du Patrimoine qui leur dicte les règles à suivre. Et le mot d'ordre vise l'atteinte des larges auditoires, côté films, côté festivals. L'art n'a plus le mandat d'élever l'esprit mais de rallier les foules. À telle enseigne, les considérations de qualité et d'expérimentation ne pèsent guère lourd.
N'empêche... C'est sous le régime libéral que les fameuses enveloppes à la performance, récompensant producteurs et distributeurs assis sur des films à succès, ont été implantées. Les conservateurs creusent les ornières de la réussite publique à tout prix tracées par leurs prédécesseurs. Ni Téléfilm dans sa cour, avec ses budgets gelés depuis plusieurs années, ni le ministère du Patrimoine, assis sur ses objectifs de pure performance, n'aideront les manifestations saignées à blanc à trouver un nouveau souffle. Tout au plus à mieux correspondre aux critères déjà en place. Mais la situation, cul par-dessus tête, exigerait des formules adaptées, inédites.
La culture du mécénat, si mal ancrée au Québec, ne peut s'ériger en période de récession, seulement perdre ses maigres assises. Chez les dirigeants des manifestations artistiques, on se dit prêt à retrousser ses manches pour chercher des solutions créatrices. Abandonnés à leur sort, ils n'y parviendront jamais. Dans le contexte actuel, seuls les joueurs aux reins solides (dont le Festival de jazz, même après la défection de GM) pourront survivre. Les petits y perdront leur chemise.
On ne peut que presser le milieu culturel de s'unir comme jamais et de protester non seulement contre les compressions du fédéral, économiquement plus dévastatrices que prévu, mais en exigeant des plans de sauvetage à l'heure où cette crise économique leur rentre dans le flanc. Comme on presse le ministère québécois de la Culture d'en être le maître d'oeuvre. Sinon, qui le sera?
À travers l'art menacé, l'âme de nos peuples, son inspiration, sa diversité apparaissent en véritable péril.
Bonne et heureuse année à notre milieu culturel! Allons donc! Bon courage surtout! Sortez les armes et battez-vous!
Combinaison perdante
À travers l'art menacé, l'âme de nos peuples, son inspiration, sa diversité apparaissent en véritable péril.
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