Cinquième tome de l'Histoire populaire du Québec - 1960 à 1970: les années lumière de Jacques Lacoursière

Aujourd'hui, croit-il, les Québécois ne vivent pas dans des conditions qui pourraient justifier une prise de position qui irait jusqu'à l'indépendance du Québec.

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Livres - 2008

C'est une décennie phare, une période à laquelle on ne cesse de se référer. On lui attribue les grands idéaux qui ont marqué le Québec jusqu'à aujourd'hui: «Maîtres chez nous», l'indépendance du Québec, la défense de la langue française, la laïcisation et la démocratisation du système scolaire, l'assurance-hospitalisation, sans parler de l'émancipation des femmes. C'est aussi l'époque de la montée du FLQ, qui culmine avec la Crise d'octobre, à la fin de la décennie. Plus de quarante ans après la Révolution tranquille, Jacques Lacoursière revient sur cette époque intense dans le cinquième tome de sa série sur l'histoire populaire du Québec, publié aux Éditions du Septentrion, qui porte sur les années 1960 à 1970.
D'entrée de jeu, l'historien tente de remettre les pendules à l'heure. Plusieurs idées qui ont fleuri durant la Révolution tranquille avaient fait leur nid au Québec dans les décennies qui l'ont précédée. L'idée de l'indépendance du Québec, par exemple, était présente dès les années 1920 dans une revue dirigée par le chanoine Lionel Groulx et déjà, sous Duplessis, on tentait d'empêcher l'intrusion du gouvernement fédéral dans le financement des universités, qui était considéré comme une compétence provinciale. «Pour moi, dit-il, la table était mise en 1960. On ne peut pas expliquer qu'il y ait eu autant de changements, aussi rapidement, sans que les mentalités aient été prêtes.»
Déjà, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les Canadiens français qui reviennent du front européen font souffler un vent d'ailleurs sur le Québec. En 1952, l'avènement de la télévision bouscule les traditions dans les chaumières. Dans les années 50, la revue Cité libre, fondée par Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier, fait circuler de nouvelles idées.
Mais comme c'est souvent le cas en histoire, on réexamine aujourd'hui la décennie 60-70 à la lumière des préoccupations contemporaines. Ainsi, Lacoursière a intégré à sa chronique des années 60 un chapitre sur les autochtones et un autre sur l'immigration.
«Le but de l'histoire est d'expliquer le présent, dit-il. Comme, actuellement, on a des problèmes ou des préoccupations face à l'immigration et face à l'avenir des autochtones et de leurs revendications, c'était normal qu'on recule dans le passé. J'aurais dû le faire avant, dès le quatrième tome. Dans ce quatrième tome, j'étais beaucoup trop centré sur la politique, pas assez sur les problèmes autres: l'évolution de la famille, de la femme, l'évolution générale de la population.»
Parmi les tournants les plus marquants pris par le Québec dans les années 60, l'auteur cite la réforme de l'éducation et «la prise de conscience par les Québécois qu'ils pouvaient être bons en affaires, notamment à travers le "Maîtres chez nous" et la nationalisation de l'électricité».
Ébullition politique
Reste que la décennie en question demeure une période largement marquée par la politique. Après l'élection de l'«équipe du tonnerre» de Jean Lesage, qui prend le pouvoir avec son cortège de réformes, la montée de l'idée de l'indépendance donne lieu à une véritable explosion des mouvements et partis politiques, dont le Mouvement-Souveraineté-Association, mené par un René Lévesque démissionnaire du Parti libéral du Québec, le Rassemblement pour l'indépendance nationale, de Marcel Chaput et Pierre Bourgault, et enfin le Parti québécois.
À partir des années 1960 il y aura toujours des mouvements structurés qui feront la promotion de l'indépendance du Québec, dit Lacoursière. À cette époque aussi, des dizaines de pays font leur indépendance. Dans cette effervescence, qui se déploie parallèlement à la montée de la violence felquiste, le «Vive le Québec libre!» lancé par le général Charles de Gaulle devant une foule en liesse, lors d'une visite à Montréal en 1967, a l'effet d'une bombe politique.
En entrevue, Lacoursière ajoute que plusieurs hommes politiques de cette époque, dont René Lévesque, auraient trouvé une caution de l'idée de l'indépendance dans cette déclaration publique du président de la France. Il précise d'ailleurs que le geste du général de Gaulle n'était pas spontané, comme le démontre une correspondance, mais bien une intervention politique planifiée et réfléchie.
Pourquoi, alors, malgré le passage des ans, l'indépendance du Québec n'est-elle toujours pas faite? En entrevue, l'historien dit ne pouvoir proposer que des interprétations psychanalytiques. Il suggère par exemple que les Québécois, qui sont à l'aise partout, tant en Californie qu'au Mexique ou en Floride, n'ont pas envie d'ériger de frontières autour d'eux. Lorsqu'on lui demande si lui-même croit toujours l'indépendance possible, il entonne avec un brin d'ironie la chanson de Raymond Lévesque: «Quand les hommes vivront d'amour, il n'y aura plus de misère, mais nous, nous serons morts mon frère.»
Aujourd'hui, croit-il, les Québécois ne vivent pas dans des conditions qui pourraient justifier une prise de position qui irait jusqu'à l'indépendance du Québec. «Plusieurs personnes ont établi des comparaisons avec le Kosovo, mais le Québec n'est pas du tout dans la même situation que le Kosovo. Les Kosovars ont connu la guerre, la misère, et la minorité serbe y est très importante et très revendicatrice. Ce n'est pas le même climat qui existe au Québec», ajoute-t-il, précisant qu'il y a une différence entre «espérer» et «croire». Selon lui, c'est en 1992, après l'échec de l'Accord de Charlottetown, que Robert Bourassa aurait eu la possibilité de faire l'indépendance du Québec. Mais cela, ce sera la matière d'un autre tome de l'histoire populaire...
L'étude de la Crise d'octobre, quant à elle, n'est pas un sujet nouveau pour Lacoursière, qui y a déjà consacré un livre de quelque 500 pages.
«Vous avez remarqué que je ne parle jamais de l'assassinat de Pierre Laporte, je parle de mort ou de décès, dit-il. Je me pose beaucoup de questions sur la fin de Pierre Laporte, quoi qu'en disent les membres de la cellule Chénier. Simard a dit qu'il l'avait vraiment tué, ce dont je ne suis pas sûr.»
Pourtant, la thèse de l'accident n'est abordée que très brièvement dans ce tome de l'Histoire populaire du Québec, une histoire qui s'adresse au grand public et qui propose une chronologie détaillée des événements.
«Dans mes livres, dit-il, il n'y a pas de notes en bas de page, pas de mots ultrasavants qui obligeraient les gens à se référer à un dictionnaire. Je raconte l'histoire, le passé. J'essaie de lui redonner vie. Je veux que mes livres s'adressent au plus grand nombre possible.»
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Histoire populaire du Québec, 1960 à 1970
Jacques Lacoursière, Éditions du Septentrion, Montréal, 2008, 460 pages


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