L'effondrement du viaduc de la Concorde, samedi à Laval, a suscité de l'émoi et de l'inquiétude. Il a également provoqué chez bien des Québécois un profond sentiment de gêne, parce que cet accident a un côté tiers-mondiste dont nous n'avons pas à être fiers.
Mais avant de se lancer dans la chasse aux coupables, il faudrait aussi nous regarder dans le miroir. Car nous pouvons difficilement feindre la surprise.
Ça fait combien de temps que nous faisons des blagues sur l'état de nos routes, sur nos autos qui se mettent à brasser dès qu'on embarque sur nos routes au retour de l'Ontario ou des États-Unis? Au moins 25 ans. Et il ne faut pas être diplômé de Polytechnique pour déduire que si la surface de nos routes est détériorée et que les parties visibles de nos ouvrages tombent en morceaux, ça ne doit pas être mieux en dessous.
Nous sommes tous collectivement un peu responsables du sous-investissement chronique dans notre réseau de transport, dont cet accident deviendra très certainement le symbole. C'est d'abord et avant tout un phénomène sociétal, le résultat d'attitudes, de valeurs, d'attentes et de choix dont nous avons été complices.
Le problème assez sérieux pour qu'il soit souhaitable que l'enquête sur la catastrophe que présidera Pierre Marc Johnson dépasse le cadre technique et permette une réflexion plus large sur la façon dont notre société s'occupe de ses infrastructures. Pour que l'accident serve à quelque chose et permette une prise de conscience et favorise un retour du balancier.
Depuis samedi, les médias nous abreuvent de chiffres sur l'état de notre réseau routier, sur les deux milliards par année qu'il faudrait injecter pour qu'il atteigne un niveau de qualité souhaitable, sur la proportion trop faible de routes, 62 %, qui sont en bon état. Ces chiffres, pour la plupart, proviennent du même document, une étude réalisée pour la Coalition pour l'entretien et la réfection du réseau routier du Québec. Ce qu'on dit moins, c'est que ce document, lorsqu'il a été rendu public en novembre dernier, a été accueilli dans la plus totale indifférence; couverture de presse modeste et débat public inexistant. On n'y a vu rien d'autre qu'une opération du lobby du béton et de l'asphalte.
Je ne me lancerai pas dans les chiffres. Les comparaisons entre pays ou provinces sont difficiles, parce que les conditions ne sont pas les mêmes, les outils de mesures différents, les cadres budgétaires aussi. Le fameux deux milliard par année évoqué par cette coalition provient par exemple d'une approximation qui repose sur une simple règle de trois.
Tout semble indiquer que des régions aux conditions climatiques comparables ont des réseaux en meilleur état que le nôtre. Que les investissements semblent inférieurs ici malgré l'augmentation des dernières années. Qu'on est entré dans un cercle vicieux où la détérioration va plus vite que les efforts de restauration, ce qui nous expose à une explosion des coûts, parce que plus on attend, plus la mise à niveau sera coûteuse. Mais jusqu'où ces impressions se confirment-elles? Il faudrait en savoir beaucoup plus, et il serait donc heureux qu'une enquête permette de faire l'état des lieux.
Mais comment en est-on arrivé là? Au point de départ, très certainement parce que la société québécoise a manqué de moyens, dès le début des années 80. Le Québec est en crise financière depuis 25 ans, avec une population qui ne veut pas payer et ne veut rien sacrifier. Il fallait que ça cède en quelque part.
Économiser sur les infrastructures semblait être la solution rêvée, parce que les compressions ne paraissent pas, du moins au début. Le sous-investissement devenait une façon commode de refiler la facture à ceux qui nous suivent. Nous avons d'ailleurs fait la même chose avec les infrastructures municipales, aqueducs et égoûts, où il faudrait un autre 800-900 millions par année.
L'expédient n'a pas choqué parce qu'il flattait d'autres attitudes québécoises, notamment la valorisation des fonctions plus nobles de l'État au détriment du prosaisme des piliers de ponts, des fuites d'aqueducs ou de l'épaisseur du gravier sous une route. Un mépris sans doute renforcé par le souvenir d'un passé assez récent où l'asphalte dominait notre vie politique.
À cela s'est ajoutée notre indifférence pour les enjeux économiques. Le réseau routier joue un rôle central dans la croissance économique et la création de richesse, en permettant la mobilité des personnes, le tourisme, le transport routier, vital dans une économie qui vit d'exportations.
Au Québec, nous avions oublié que c'est une mission essentielle de l'État et qu'une société avancée doit disposer, en transport et ailleurs, d'infrastructures publiques de haute qualité.
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