Chérir ses chaînes

Tribune libre


De plus en plus de Québécois, éreintés et découragés d’avoir manqué leur coup chaque fois qu’ils ont tenté de briser leurs chaînes canadiennes, ont choisi de nier la réalité de leur mise en minorité dans le Grand Tout canadien. Leur choix : chérir leurs chaînes ou, mieux, faire comme si être enchaîné était, en fin de compte, bon pour eux.
Dans ce contexte, il arrive des choses aussi étonnantes que paradoxales. C’était le cas lors de l’épisode du 26 février de l’émission La Joute (voir lajoute.telequebec.tv). La question soumise au débat consistait à déterminer si Lucien Bouchard avait raison de décréter que la souveraineté était dépassée. Des trois participants, seul l’anglophone, Christopher Hall, trouvait encore quelques vertus solides à l’option du pays. Il mentionnait entre autres les pouvoirs immenses de prendre des décisions dans tous les champs de compétence exclusivement fédéraux. « Au lieu de donner 5 milliards à l’armée, disait-il, vous pourriez l’investir dans la santé ! ».
Ses deux adversaires, un chroniqueur politique adéquiste à l’une des radios-poubelle de Québec et un professeur aux HEC, étaient au contraire totalement résignés. « Nous ne verrons pas l’indépendance de notre vivant », constataient-ils, sans état d’âme aucun. Ils oubliaient qu’à force de se faire dire et de se convaincre eux-mêmes qu’ils ne verront jamais l’indépendance, il ne faudra pas se surprendre si ça arrive. On appelle ça du conditionnement mental.
Qu’un anglo-Québécois soit le seul à rappeler à des francophones hésitants et irrésolus qu’ils vivraient peut-être mieux sans chaînes avait quelque chose de surréaliste. Mais c’est la triste réalité : partout où ils se promènent sur la planète bleue, les Québécois brandissent sans vigueur et sans conviction un pavillon de fortune rouge et blanc. L’unifolié leur permet, l’espace d’un moment, d’oublier les couleurs de l’identité québécoise, associée à trop de défaites, d’échecs et de douleurs.
À Vancouver, en ce moment, c’est particulièrement flagrant. Et pathétique. Oui, de notre vivant, nous ne verrons jamais au bout de notre horizon que des feuilles d’érable flamboyantes payées par nos propres impôts.
Résignons-nous : nous y sommes condamnés par une paralysante fatalité. Cessons même de ramer de toutes nos forces à contre-courant de la Grande Galère canadienne et laissons pour de bon le gouvernail au seul gouvernement qui détient les pouvoirs décisifs, celui d’Ottawa.
Écrasons-nous et taisons-nous. Cassons la gueule à la liberté, une bonne fois pour toutes.
Jean-François Vallée

Saint-Philipe-de-Néri, Québec

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Jean-François Vallée91 articles

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Jean-François Vallée est professeur de littérature québécoise et française au niveau collégial depuis 1995. Son ambition de pédagogue consiste à rendre les étudiants non seulement informés mais objectivement fiers de la culture dans laquelle ils vivent. Il souhaite aussi contribuer à les libérer de la relation aliénante d'amour-haine envers leur propre culture dont ils ont hérité de leurs ancêtres Canadiens français. Il a écrit dans le journal Le Québécois, est porte-parole du Mouvement Quiébec français dans le Bas-Saint-Laurent et milite organise, avec la Société d'action nationale de Rivière-du-Loup, les activités de la Journée nationale des patriotes et du Jour du drapeau.





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    18 mars 2010

    M. Vallée,
    Et si Clotaire Rapaille avait raison... que nous étions tous des sadomasochistes.
    Que nous aimions nous faire fouetter, nous faire humilier, nous plaindre, d'aller parfois jusqu'à nous excuser quand quelqu'un nous marche sur les pieds, nous écrase les orteils...
    Sans rancune...

  • Archives de Vigile Répondre

    17 mars 2010

    Repensez Jean-François, et relisez le discours de la servitude volontaire. Vous y trouverez la clé de notre asservissement comme peuple. Ça ne s'explique pas autrement, j'en ai la conviction.
    «Le Discours de la servitude volontaire constitue une remise en cause de la légitimité des gouvernants, que La Boétie appelle « maîtres » ou « tyrans ». Quelle que soit la manière dont un tyran s'est hissé au pouvoir (élections, violence, succession), ce n'est jamais son bon gouvernement qui explique sa domination et le fait que celle-ci perdure. Pour La Boétie, les gouvernants ont plutôt tendance à se distinguer par leur impéritie. Plus que la peur de la sanction, c'est d'abord l'habitude qu'a le peuple de la servitude qui explique que la domination du maître perdure. Ensuite vient l'idéologie (que Marx appellera opium du peuple) et les superstitions. Mais ces deux premiers moyens ne permettent de dominer que les ignorants. Vient le « secret de toute domination » : faire participer les dominés à leur domination. Ainsi, le tyran jette des miettes aux courtisans. Si le peuple est contraint d'obéir, les courtisans ne doivent pas seulement obéir, mais devancer les désirs du tyran. Aussi, ils sont encore moins libres que le peuple lui-même, et choisissent volontairement la servitude. Ainsi s'instaure une pyramide du pouvoir: le tyran en domine cinq, qui en dominent cent, qui eux-mêmes en dominent mille... Cette pyramide s'effondre dès lors que les courtisans cessent de se donner corps et âme au tyran. Alors celui-ci perd tout pouvoir acquis.»