Pettigrew défend la nomination de Licari à Paris; Landry et Michaud la dénoncent
Afin de calmer le jeu, le premier ministre Jean Charest a décidé d'intervenir hier au sujet de la nomination controversée de son ami Wilfrid-Guy Licari comme délégué général du Québec à Paris. En vain, semble-t-il, car cette nomination a continué d'alimenter le débat, suscitant des réactions de Pierre Pettigrew, Bernard Landry et Yves Michaud, entre autres.
«J'espère que la polémique va cesser», a dit au Devoir M. Charest, qui a refusé net ce que le chef du Parti québécois, André Boisclair, lui a réclamé jeudi sur les ondes de Radio-Canada, soit «de réviser sa décision».
«Ce n'est pas dans l'intérêt de la délégation [générale du Québec à Paris] que la polémique continue», a fait valoir le premier ministre. Il s'est du reste montré enchanté de l'intervention-surprise de l'ancien premier ministre Lucien Bouchard, sorti de sa réserve jeudi pour défendre la nomination de M. Licari à Paris.
Selon M. Charest, M. Bouchard a raison de souligner que M. Licari «a toujours été très respectueux des compétences québécoises [...] dans tout ce qu'il a entrepris; il fut un de ceux qui ont toujours été des alliés indéfectibles du Québec». Aussi, le parallèle que M. Bouchard a dressé entre le tollé qui avait suivi sa nomination et celui qu'a suscité celle de M. Licari est à ses yeux très juste: «Quand Lucien avait été nommé [à Paris], on lui avait reproché les mêmes choses qu'on reproche aujourd'hui à Wilfrid Licari, notamment le fait d'être un ami du chef du gouvernement, alors que Lucien, comme ambassadeur du Canada à Paris, a fait un excellent travail.»
M. Charest a insisté pour dire que M. Licari est «d'abord nommé pour ses compétences» et que cette nomination est «en droite ligne avec» ce qu'il veut «au niveau des affaires internationales», soit élargir la présence du Québec à l'étranger. Compte tenu de l'amitié entre les deux hommes, M. Licari «aura un canal privilégié» entre eux, a-t-il confirmé. «Mais ce ne sera pas pour autant un canal de détournement du ministère et des autres canaux», a nuancé M. Charest. Au fond, a-t-il fait valoir, «l'amitié n'est pas un substitut pour la compétence, et je n'aurais jamais osé nommer à ce poste une personne si je n'avais pas l'intime conviction qu'il en possédait».
Irrité par le caractère acerbe des critiques péquistes, M. Charest a insisté sur le fait qu'il a maintenu en poste Clément Duhaime jusqu'au mois dernier alors que celui-ci avait été nommé en 2000 à Paris par Lucien Bouchard. «J'ai toujours eu le plus grand respect pour Clément. Il est resté en poste après mon arrivée au pouvoir parce que c'est un professionnel» alors que tout le monde sait qu'il «n'est pas d'allégeance fédéraliste». Jean Charest a précisé ceci: «Je l'ai défendu avec beaucoup d'énergie à l'Organisation internationale de la francophonie [OIF] parce que c'est un pro, parce que c'est quelqu'un qui nous fait honneur.»
Selon M. Charest, savoir mettre de côté la partisanerie, comme M. Bouchard l'a fait jeudi et comme il l'a lui-même fait en maintenant M. Duhaime en poste, est essentiel à la valorisation des institutions: «Autant il est vrai qu'un premier ministre fédéraliste peut garder en poste une personne qui n'est pas d'allégeance fédéraliste parce que c'est un pro, autant l'inverse doit pouvoir être vrai aussi. Sinon, on diminue nos institutions.»
M. Charest a par ailleurs soutenu qu'il savait que M. Licari adhérait à la doctrine Gérin-Lajoie, combattue par le fédéral mais qui fonde la personnalité étrangère du Québec. «Il a été ambassadeur dans plusieurs pays francophones et au Vatican, où le Québec était au centre des échanges», a aussi fait valoir le premier ministre: «Il connaît très bien le Québec.»
De plus, il estime qu'à l'approche d'échéances importantes, notamment en 2008 (le 400e anniversaire de Québec ainsi que le 49e Congrès eucharistique international et le Sommet de la Francophonie, qui auront tous deux lieu dans la Vieille Capitale), M. Licari pourra être d'un apport crucial. Celui-ci a été ambassadeur au Vatican. Et il a été ambassadeur au Sénégal, où il s'est lié d'amitié avec Abou Diouf, aujourd'hui secrétaire général de l'OIF. Ce sont des réseaux qui pourront être mis à profit.
Pettigrew applaudit
Quant au ministre des Affaires étrangères du Canada, Pierre Pettigrew, rejoint hier en pleine campagne électorale fédérale, il n'a eu que de bons mots pour M. Licari, dont il sera le patron jusqu'à la fin de février (M. Licari est en poste à Tunis). Il a salué cette nomination, y voyant une façon «d'enrichir la diplomatie québécoise». «Je connais Wilfrid depuis une trentaine d'années et je crois qu'il va faire un excellent délégué du Québec.» Au dire de M. Pettigrew, les critiques des anciens délégués et des péquistes à l'endroit de M. Licari montrent que «ces gens-là se choquent aussitôt que les choses sortent des chemins traditionnels».
M. Pettigrew a poursuivi: «Je trouve très bien que la diplomatie québécoise s'ouvre à un individu qui a une très large expérience, qui vient lui-même de l'étranger, qui s'est intégré au Québec. Voilà le genre de citoyen qu'on aime mettre au service du Québec. C'est très bien», a dit le ministre.
M. Pettigrew s'est dit nullement choqué par le fait que M. Licari l'a contredit jeudi, dans son entrevue au Devoir, au sujet de la doctrine Gérin-Lajoie, qu'il avait déclarée «périmée» au mois d'août. Il a prétendu avoir été mal cité à l'époque: «M. Licari a seulement contredit ce qu'on m'avait fait dire dans un point de presse.» Pourtant, les propos du ministre à l'époque ne faisaient aucun doute. Mais il a insisté: «Ce que j'ai dit [...], et c'est la seule chose qu'on avait retenue de ma position, c'est que je ne voyais pas la doctrine Gérin-Lajoie comme base de négociation sur autre chose que des ententes administratives, ce pour quoi elle avait été écrite en 1965.»
Transfuge et transfusion
Dans le camp péquiste, on ne désarmait pas hier. Un autre ex-premier ministre, Bernard Landry, a confirmé au Devoir qu'il préparait une réponse écrite à celui à qui il avait succédé, Lucien Bouchard, avec qui il dit «différer respectueusement d'opinion» au sujet de la nomination de M. Licari. Selon lui, l'ambassadeur a beau dire que la doctrine Gérin-Lajoie «coule dans ses veines», cela signifie «qu'il doit avoir eu des transfusions très récemment!», a-t-il raillé. M. Landry a insisté pour dire qu'il n'attaque pas l'homme, qui a été très courtois lorsqu'il l'a rencontré à l'étranger lorsqu'il était aux affaires. Il reste que M. Licari a eu à nier pendant plus de 30 ans que le Québec forme une nation. «Il a aussi eu à défendre devant les étrangers l'abjecte Loi sur la clarté», a déclaré M. Landry.
Michaud et l'olibrius
Ancien délégué du Québec à Paris, Yves Michaud allait dans le même sens hier. Se rappelant avoir rencontré M. Licari à plusieurs reprises, il a dit estimer que ce dernier «a toujours fonctionné selon le bréviaire des diplomates canadiens à l'étranger, qui ont tout fait et feront tout pour minimiser la personnalité internationale du Québec». Quant à la défense passionnée qu'en a faite Lucien Bouchard, M. Michaud a soutenu qu'elle est logique puisque, lorsqu'il a été ambassadeur à Paris, «il a tout fait [...] pour nous marginaliser et affaiblir la délégation du Québec en France». Aussi, dans les semaines qui ont suivi son arrivée au pouvoir à Québec, M. Bouchard «a démantelé presque la moitié du réseau des bureaux et délégations du Québec à l'étranger. Et Sylvain Simard [alors ministre des Relations internationales], cet olibrius, a avalé la couleuvre. Un vrai ministre aurait démissionné». En somme, a dit M. Michaud, «dans la position où est M. Bouchard actuellement, il eût mieux valu qu'il se tût».
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