Le mois dernier, le premier ministre Stephen Harper, a insisté pour être invité à une fête organisée à Ottawa par des amis de Jean Charest pour marquer le 10e anniversaire de son départ de la scène fédérale. Avec tous les points de discorde entre les deux hommes, on croirait pourtant qu'ils n'ont aucune envie de se fréquenter.
Peut-être que M. Harper voulait être de la soirée pour surveiller M. Charest, au cas où celui-ci se remettrait à rêver de s'asseoir dans le fauteuil de premier ministre du Canada.
Le scénario a trotté dans la tête de quelques collègues à Ottawa, convaincus que Jean Charest n'a jamais fait le deuil complet de son rêve d'enfance. Et puis, comme sa cote est à la hausse et qu'il compte encore de nombreux amis outre-Outaouais, il est permis (et toujours divertissant) de faire un peu de politique-fiction. D'autant que Jean Charest a quelque chose que n'aura jamais Stephen Harper: une grande facilité à parler aux gens, à les côtoyer dans toutes sortes de circonstances, sans provoquer un malaise trois mètres à la ronde.
Pour le moment, toutefois, Jean Charest semble d'abord occupé à mettre en place les conditions gagnantes d'une réélection de son parti à Québec. Majoritairement, dans son scénario idéal. Il a beau répéter sur tous les tons qu'il ne veut pas déclencher d'élections en 2008, et même pas en 2009, il ne peut pas ignorer la chorale des sirènes qui le titillent de sondage en sondage.
Quel contraste, tout de même, avec l'hiver dernier. Rappelez-vous, en décembre, il y cinq mois à peine, Stephen Harper avait dédaigneusement tourné le dos à Jean Charest pour se coller au chef de l'opposition officielle à Québec, Mario Dumont. M. Harper avait même poussé l'affront jusqu'à débarquer chez le chef de l'ADQ avec fanfare et trompettes, devant la chambre de commerce de Rivière-du-Loup. Du jamais vu pour un premier ministre fédéral.
À l'époque, Jean Charest croupissait dans les bas-fonds des sondages et plusieurs (dont moi) prévoyaient une fin prochaine à son long calvaire à la tête du Parti libéral du Québec. À moins de 20% d'intentions de vote auprès des francophones, M. Charest n'était pas "montrable" et personne au Parti conservateur ne recherchait sa compagnie.
Sans le savoir, en tournant le dos à Jean Charest, M. Harper lui a peut-être donné l'une des clés de son succès: prendre ses distances d'Ottawa, ne pas entretenir de relations trop intimes, trop familières avec le grand frère fédéral.
Les Québécois n'ont jamais apprécié de voir leur premier ministre trop dépendant d'Ottawa, c'était vrai des tandems Lévesque-Trudeau, Bourassa-Mulroney, Bouchard-Chrétien. Ça l'est aussi pour le duo Charest-Harper. Un premier ministre n'a rien à gagner à se coller sur son homologue fédéral. S'il obtient quelque chose, ce ne sera jamais assez pour ses adversaires qui le qualifieront de "quêteux"; s'il n'obtient rien, on dira qu'il n'a aucun pouvoir face à Ottawa.
Remarquez que le chef de l'opposition officielle n'a pas avantage non plus à s'afficher main dans la main avec le pouvoir fédéral, surtout quand ce chef de l'opposition prône l'autonomie sur tous les tons.
Ce n'est pas la seule explication de la résurrection de Jean Charest, bien sûr. Celle-ci tient aussi à la dégringolade de Mario Dumont, victime du syndrome de Peters. Mais quand on analyse les chiffres des derniers sondages, on constate que c'est après la rencontre Harper-Dumont à Rivière-du-Loup que l'ADQ a commencé à piquer du nez et que les libéraux ont repris, lentement mais sûrement, du poil de la bête.
Les mauvaises langues diront qu'il aura fallu 10 ans à Jean Charest pour comprendre qu'il est plus payant, devant l'électorat québécois, d'utiliser les gants de boxe que la branche d'olivier dans les négociations avec Ottawa. Chose certaine, on ne peut plus dire, comme on l'a souvent entendu, que Jean Charest est le "gars d'Ottawa". Le chef du PLQ s'est s'affranchi.
Les événements des derniers mois et le climat politique exacerbé par une poussée identitaire l'auront aussi poussé à adopter des positions beaucoup plus nationalistes.
Les nombreux foyers d'incendie qui couvent entre Québec et Ottawa lui permettront d'ailleurs de continuer dans cette voie au cours des prochains mois.
Au premier chef, bien sûr, l'environnement, nouveau cheval de bataille du front commun Québec-Ontario (cette dernière a aussi une dent contre le gouvernement Harper, mais c'est une autre histoire).
Il y a aussi la volonté d'Ottawa de créer une commission unique des valeurs mobilières au Canada. "Over my dead body", a lancé la ministre Monique Jérôme-Forget, la semaine dernière à son très arrogant homologue fédéral, Jim Flaherty.
Autre accrochage: la réforme du Sénat que M. Harper essaye de rentrer dans la gorge des provinces récalcitrantes (réforme qui prévoit l'élection des sénateurs par les provinces pour huit ans, plutôt que leur nomination par le premier ministre jusqu'à l'âge de 75 ans). "Over my dead body", a lancé cette fois le ministre Benoît Pelletier, qui prévient Ottawa que Québec est prêt à amener ce dossier en Cour suprême.
Enfin, dernier accrochage en date, le projet de loi obligeant les futurs juges de la Cour suprême à être bilingues. L'Assemblée nationale appuie unanimement le projet de loi du député libéral Denis Coderre, mais le gouvernement Harper refuse de se prononcer sur cette question pour le moment.
L'ironie de la chose, c'est que si Jean Charest marque des points en prenant ses distances de Stephen Harper, celui-ci, par contre, a besoin du Québec pour espérer un jour décrocher l'inaccessible majorité.
C'est encore plus vrai en Ontario, où le gouvernement fédéral a brûlé bien des ponts depuis quelques mois.
En ce sens, la rencontre au sommet des gouvernements québécois et ontarien à Québec, hier, visait à élaborer un plan contre le réchauffement climatique, mais elle aura d'abord contribué à refroidir encore un peu les relations entre Ottawa, Queen's Park et Québec.
Pour joindre notre chroniqueur vincent.marissal@lapresse.ca
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