Récapitulons: le gouvernement du Québec a accordé un contrat à une entreprise dirigée dans les faits par un homme d'affaires lié au crime organisé. De surcroît, un contrat pour la surveillance de détenus lors de déplacements! Cet homme d'affaires, Robert Pépin, avait été condamné pour recel. Plus tard, il s'est suicidé accablé de dettes, notamment envers un usurier sympathisant des Hells Angels.
Il y a quelques années, Maurice "Mom" Boucher a été condamné pour avoir ordonné l'assassinat de gardiens de prison. Aujourd'hui, on donne en sous-traitance le travail des gardiens... à des gens qui fréquentent le milieu interlope.
Que l'État sous-traite la garde de prisonniers, c'est déjà douteux. Qu'il confie en plus cette tâche à une entreprise dirigée par un individu qui a un casier judiciaire, ça dépasse l'entendement. Pendant qu'on y est, pour économiser quelques dollars, pourquoi ne pas confier la garde des parcs nationaux aux braconniers?
C'est surréaliste. Si Réjean Tremblay avait écrit un truc pareil dans une de ses séries, on lui aurait reproché de pousser trop loin la fiction par excès de sensationnalisme.
Mais il ne s'agit pas de fiction. Il s'agit d'un beau gros contrat de 158 000$ autorisé après appel d'offres par le ministère de la Sécurité publique. Vous faites exprès, ou quoi?
C'est quoi le problème? Il n'y a pas d'ordinateurs à la Sécurité publique? Ces gens-là n'ont pas accès aux dossiers du ministère de la Justice? Pourtant, leur ministre, Jacques Dupuis, cumule les deux postes, non?
Parlant du ministre Dupuis, on voit mal, si toute cette histoire est vraie, comment il pourra garder son job de ministre. Si le principe de responsabilisation existe encore, si la responsabilité ministérielle veut encore dire quelque chose, Jean Charest ne pourra faire autrement que de trouver un nouveau ministre pour la Sécurité publique. Contrairement à Stephen Harper, qui n'a pas de candidat idéal sous la main pour remplacer Maxime Bernier aux Affaires étrangères, Jean Charest, lui, peut se tourner vers son député de Laval, Guy Ouellette, candidat-vedette aux dernières élections et ancien spécialiste des motards à la SQ.
Notre système politique repose sur la confiance, surtout quand il s'agit de sécurité publique. Le lien de confiance vient de prendre une bonne volée de plomb dans l'aile.
Bien sûr, le ministre Dupuis n'était pas au courant. Bien sûr, il n'aurait jamais autorisé un tel contrat s'il avait su à qui on le donnait. Justement, voilà le problème: le contrat a bel et bien été donné à cette entreprise. Ultimement, le responsable, c'est le ministre. C'est ainsi que nos gouvernements fonctionnent. Cela, encore une fois, se résume en un mot: responsabilisation.
Avant que cela ne dégénère, Jean Charest devrait aussi rapidement ordonner à tous les ministères de revoir leurs contrats pour s'assurer que le crime organisé ne s'est pas infiltré ailleurs. Sait-on jamais, les motards, apparemment, ont beaucoup diversifié leurs activités ces dernières années. Et ils sont plutôt doués pour les affaires. Rappelons, par exemple, qu'une firme d'entretien ménager liée aux Hells a déjà obtenu un contrat pour... l'escouade Carcajou.
M. Charest vit une embellie inespérée dans les sondages, mais il devrait se méfier. La nature a horreur du vide et comme son gouvernement n'a pas mis grand-chose sur la table pour cette fin de session parlementaire, l'opposition risque de se déchaîner sur cette histoire de contrat. Avec raison, d'ailleurs.
Depuis quelques jours, dans la foulée de l'affaire Couillard-Bernier, des lecteurs déversent dans ma boîte de courriels leurs frustrations à l'endroit des gouvernements. Ils en ont contre leur nonchalance, contre leur manque de transparence. Contre leurs mensonges aussi.
On ne peut pas les blâmer. La réalité, en effet, dépasse la fiction ces jours-ci. On accuse souvent les médias d'en beurrer trop épais, et il est vrai que nous ne faisons pas tous toujours preuve d'une judicieuse retenue, mais en ce moment, nous n'avons rien à ajouter. Les politiciens font très bien ça tout seuls.
Quand on parle de liens entre le crime organisé et l'État, on étire dangereusement le seuil de tolérance de citoyens déjà cyniques ou désabusés.
On étire aussi la patience des électeurs quand on pervertit les institutions parlementaires en mascarades partisanes. C'est pourtant ce que proposent, encore une fois, le Bloc et les libéraux, en insistant pour qu'un comité parlementaire convoque Maxime Bernier et son ex, Julie Couillard.
De grâce, épargnez-nous ce cirque! On a eu assez depuis quelques années des Guité, Gagliano, Schreiber, Spector, Mulroney et même le cuisinier de ce dernier pour comprendre que ces comités, dans des circonstances exacerbées par un climat partisan, ne servent à rien, sinon qu'à ridiculiser l'Institution.
vincent.marissal@lapresse.ca
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