Québec — Jean Charest aurait-il menti en chambre, en 2003, dans l'affaire du mégaprocès des Hell's Angels? Marc Bellemare a révélé, mardi, lors de son témoignage à la commission Bastarache, que l'attaché politique du bureau du premier ministre, Denis Roy, était intervenu auprès de lui dans cette affaire. Le lendemain, Denis Roy, aujourd'hui président de la Commission des services juridiques, a admis en conférence de presse qu'il l'avait rencontré pour lui indiquer la marche à suivre, tout en niant qu'il s'agissait d'une ingérence. Le syndic du Barreau a ouvert une enquête sur la conduite de M. Roy.
Or, en chambre, en 2003, Jean Charest avait formellement nié que cette intervention ait eu lieu. Les 22 et 23 octobre, le critique péquiste Stéphane Bédard avait demandé au premier ministre de dire si «quelqu'un de son cabinet ou du Conseil exécutif est intervenu de quelque manière que ce soit auprès du procureur général, de son entourage ou du ministère, dans le dossier du mégaprocès des Hell's Angels».
La réponse de Jean Charest fut: «S'il est en train de nous demander si, oui ou non, moi je suis intervenu, si j'ai posé des gestes, ou quelqu'un de mon bureau, dans une affaire qui est devant les tribunaux, la réponse, évidemment, c'est non. Ça ne peut pas être autre chose que ça, parce qu'on respecte intégralement le mandat qui nous est donné.» Plus tard, Stéphane Bédard, fils de l'ancien ministre de la Justice, Marc-André Bédard, est revenu à la charge. Il a rappelé que «le procureur général jouit d'une indépendance absolue et que, d'aucune façon, il ne doit rendre compte ni au premier ministre ni au cabinet de ses interventions ou de ses décisions».
Au dire de Bédard, les pouvoirs du procureur général «sont assimilables à [ceux d'] un juge qui exerce dans ses fonctions». Puis il reprend sa question. Nouvelle réponse du premier ministre: «Il n'a jamais été question d'aucune intervention ou de pression sur quiconque, jamais, jamais, dans cette affaire-là», insiste-t-il.
Au cabinet du premier ministre, hier, on a nié que Jean Charest, à l'époque, ait dit le «contraire de la vérité», selon l'euphémisme employé couramment en chambre. «Ce que le premier ministre disait, a soutenu le porte-parole, Hugo D'Amours, c'était que personne n'est intervenu dans le procès. Justement, on voulait que ça se fasse sans intervention. C'est exactement ce que Denis Roy a dit cette semaine et c'est ce qu'il a demandé au ministre à l'époque: de laisser le procureur faire son travail.»
Roy devrait être suspendu
Selon la critique péquiste Véronique Hivon, Denis Roy n'est peut-être pas intervenu dans le procès lui-même, mais il est intervenu dans le travail du procureur général. Ce qui violait un «principe sacré», celui de l'indépendance du procureur général. Elle a réclamé hier, en conférence de presse, que Denis Roy soit suspendu de ses fonctions de président de la Commission des services juridiques jusqu'à la fin de l'enquête du Barreau. La suspension s'impose, selon elle, d'autant plus que la charge de président de cette commission est «extrêmement importante»: «superviser l'ensemble du réseau d'aide juridique». Mme Hivon a fustigé le nouveau ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, qui a refusé mercredi et jeudi de se prononcer sur la conduite de M. Roy. Hier, le porte-parole de M. Fournier a répété qu'il s'en remettait à l'enquête du syndic du Barreau.
Mme Hivon s'inquiète du comportement de M. Fournier, à qui elle reproche de n'avoir demandé «aucune explication sur ce qui s'est passé». Elle-même ancienne attachée politique au cabinet de Linda Goupil, ex-ministre de la Justice péquiste, Mme Hivon a soutenu que le bureau du premier ministre de l'époque respectait la règle de l'étanchéité entre le procureur général et le politique.
Bastarache: prolongation réclamée
Par ailleurs, la commission Bastarache vient à peine d'entamer ses audiences pour ses quelque 40 témoins que déjà elle s'apprête à réclamer une prolongation de son mandat, a confirmé hier son porte-parole, Guy Versailles. Dans le décret du 14 avril qui l'a créée, le gouvernement avait fixé au 15 octobre la date du dépôt du rapport. Dès le jour de sa nomination, dans une entrevue accordée au Devoir, le commissaire Bastarache avait émis des doutes quant à sa capacité de respecter cette échéance. Il avait expliqué que le mandat à partir duquel il avait pris sa décision était plus restreint que celui qui se trouvait dans le décret: «Au départ, lorsque j'ai accepté, je pensais qu'on ne parlait que de la Cour du Québec: là, je comprends qu'on parle aussi [des nominations au] Tribunal administratif du Québec et aux cours municipales, et je ne sais pas exactement comment ça va compliquer les choses, élargir le nombre de témoins», avait-il dit le 14 avril.
La péquiste Véronique Hivon s'est montrée peu étonnée, martelant que cette tribune, devant laquelle le PQ n'a pas réussi à obtenir le statut de participant, «n'est pas la bonne». Elle estime «que M. Charest est pris à son propre jeu, parce que les Québécois vont être de plus en plus frustrés de voir que leur argent, leurs millions [...] qui effectivement vont aller en s'empilant, vont servir à la mauvaise commission, qui ne réussira même pas à aller au fond des choses». La commission devrait coûter de cinq à six millions de dollars.
Procès des Hell's 2003
Charest aurait-il menti ?
Le PQ réclame la suspension de son ancien attaché politique, Denis Roy
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