Il y a 92 ans, un fonctionnaire du gouvernement belge envoyait, depuis la Belgique occupée par l’Allemagne (le 3 mai 1918), un long rapport où il concluait que la simple application de la démocratie faisait que la direction du pays était en permanence aux mains du parti catholique dominant en Flandre (démographiquement majoritaire), les régions industrielles wallonnes, prospères, mais démographiquement minoritaires, en étant exclues. Il proposait comme remède que la démocratie soit suspendue et que chaque parti soit associé au gouvernement national. Cela aurait enlevé tout sens aux élections. Ce système a cependant été appliqué vaille que vaille (1918-1940).
Après 1945. Une comparaison avec le Québec
Après la Deuxième guerre mondiale on a retrouvé au pouvoir le parti socialiste dominant la Wallonie (toujours minoritaire) et les démocrates-chrétiens dominant la Flandre (toujours majoritaire). La solution à la minorisation wallonne, cela a été un fédéralisme très poussé (négocié par ces deux forces politiques), qui, en 30 ans, a fait passer la moitié des compétences ex-nationales aux Etats fédérés. Nous sommes en retard sur le Québec. Mais cette revendication fédéraliste a été un certain temps notre planche de salut. Et cela n'exclut pas que nous allions plus loin. Imaginons que le Canada soit un Etat unitaire, il ne resterait rien du Québec. Nous avons été dans cette situation 150 ans. On s'en est tiré, mais de justesse.
Un jeu compliqué qui rend la démocratie impopulaire
Mais il y a maintenant deux types d’élections : les fédérales et les régionales dans les Etats fédérés. Et beaucoup de complications. Tous les 5 ans les élections régionales se font en même temps dans les trois grandes Régions. Elles ont donc un aspect «national». Les élections fédérales ont lieu tous les quatre ans et ont un aspect« régional». Depuis 99 (élections fédérales et régionales simultanées), on a eu des élections fédérales en 2003 et 2007, régionales en 2004 et 2009. Les élections fédérales du 13 juin 2010 (anticipées vu la crise d’avril dernier), seront donc les sixièmes en 11 ans. On vote ainsi quasi tous les 20 mois en Belgique avec chaque fois un enjeu national et régional qui s’occultent réciproquement. La classe politique est en campagne électorale permanente.
La présidentocratie
Ce jeu absurde renforce considérablement le rôle des présidents de partis, surtout en Wallonie. Dans notre système de scrutin proportionnel avec des listes de candidats par parti où le classement de ceux-ci importe plus que tout (plus il est en haut, plus il a de chances d’être élu), le pouvoir des présidents de partis est considérablement renforcé. Ils sont quatre, leur parti engrangeant chaque fois une part importante des suffrages. Ce sont les présidents qui font les listes en grande partie. Les parlementaires leur doivent souvent leur siège. Comme on vote tous les deux ans, l’opportunité leur est offerte de disposer de candidats élus qu’ils affectent où ils le veulent : au régional même s’ils sont élus au fédéral ou l’inverse. On appelle cela la présidentocratie.
Et comme on ne peut pas être en même temps ministre et député, les chambres tant régionales que fédérales se peuplent de suppléants du titulaire du siège parlementaire, illustres inconnus encore plus dépendants des présidents. Qui, de temps à autre, nomment des ministres hors-parlements. Leur pouvoir pèse plus que celui des institutions légales. Ils contrôlent le parlement wallon, voire le gouvernement. Tout en siégeant eux-mêmes parfois au gouvernement fédéral ! Ou au gouvernement wallon... Le poujadisme ordinaire se renforce de tout ce jeu embrouillé (enjeux belges et wallons se mélangent), où ne se retrouvent que les présidents. Ce manque de démocratie affaiblit la Wallonie. Avec des syndicalistes, d’anciens présidents wallons, un groupe de réflexion, le MMW (Mouvement du Manifeste wallon) a lancé des propositions de réformes radicales aisées à appliquer. Et qui dynamiseraient la vie politique en en rendant les enjeux plus accessibles aux citoyens et en rendant les dirigeants plus responsables vis-à-vis de la Wallonie. Le seul obstacle, c’est l’intérêt de quatre présidents de partis tout-puissants qui n’ont pas avantage (pas directement du moins), à ce que la Wallonie bénéficie d’une vraie dynamique démocratique. Si, pourtant, les réformes du groupe de réflexion s’appliquaient, les présidents, au lieu de jouer sur les deux tableaux, le fédéral et le régional, seraient ramenés à un rôle plus démocratique. Ils se retrouveraient tout simplement face au peuple, comme le montre bien l’analyse du MMW.
Ce qui étouffe la démocratie wallonne
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
Cliquer ici pour plus d'information
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
2 commentaires
José Fontaine Répondre
22 mai 2010J'ai fait par courriel une plus longue réponse à Raymond Poulin. Pour la résumer, je dirais que le Québec possède tout un capital symbolique (affirmation culturelle, visibilité dans le monde, excellence de l'argumentation nationaliste, excellence aussi dans le domaine social ou de la santé, de la pédagogie aussi, en bien d'autres choses... auxquelles j'ajouterais la foi collective et sa reconnaissance comme nation, même s'il y a une arnaque aussi à cela...), en complète contradiction avec le fait que le Canada le traite en partenaire presque mineur sur le plan juridique. La Wallonie a beaucoup de compétences et une grande autonomie (y compris au plan international), mais est loin de posséder les atouts du Québec en termes, dirais-je, de prestige (pour résumer). Kant disait que nous ne pouvons pas savoir que nous sommes libres, mais que nous devons le postuler (faire «comme si», pas un «comme si» hypocrite, mais le «comme si» de celui qui va à la peine avec un esprit de victoire). C'est dans cet esprit que je veux continuer à croire au Québec et en mon pays wallon et continuer à vous inviter à nous parler, car je pense que c'est bon! Il est possible aussi que nous envions parfois chez les autres ce qu'ils ne possèdent pas plus que nous. C'est dans l'amitié que l'on peut parfois le découvrir. Soyons amis!
Raymond Poulin Répondre
22 mai 2010Même si, en théorie, le Canada est une fédération, un article de sa constitution en fait à toutes fins utiles un État unitaire : le gouvernement fédéral détient non seulement tous les pouvoirs non spécifiquement attribués aux provinces (depuis 1867) mais jouit également du pouvoir de dépenser dans les champs de compétence provinciale, ce qu’il ne se gêne jamais de faire par des subventions conditionnelles, de sorte qu’il impose alors ses propres normes lè où les provinces sont en principe souveraines. Et comme il n’existe rien limitant la capacité fédérale de taxer et d’imposer... Par ailleurs, la charte des droits incluse dans la constitution remaniée arbitrairement en 1982 a préséance sur toute charte provinciale. Par exemple, contrairement à ce que croient beaucoup de Français et de Wallons, le Québec n’est plus, depuis ce temps, un État de langue française mais un État bilingue et multiculturel, ce qui a mené, entre autres, au démantèlement progressif de la Loi 101 par la Cour suprême et aux dits “accommodements raisonnables”. Ce remaniement comporte également une procédure extrêmement complexe et vicieuse qui rend pratiquement tout changement constitutionnel impossible. L’Assemblée nationale québécoise, tous partis confondus, a toujours refusé de reconnaître cette constitution amendée, mais tous les gouvernements québécois successifs s’y sont soumis dans les faits. Comparée au Québec, la Wallonie est un État quasi-indépendant quoique, comme l’avait déjà déclaré Jacques Parizeau, un État à moitié indépendant ne peut pas davantage exister qu’une femme à demi enceinte... Par ailleurs, le régime parlementaire britannique et le scrutin uninominal à un tour ne servent pas vraiment mieux la démocratie réelle que la “présidentocratie” wallonne.