Il a beaucoup été question, depuis le 13 mars dernier, du premier ministre Philippe Couillard, habillé en djellaba marocaine et jetant des petites roches à l'une de ses anciennes collègues, en l'occurrence moi-même, sous la plume d'un caricaturiste, Jean-Marc Phaneuf, parue dans un hebdo local, Le Courrier du Sud, le 8 mars dernier.
Ce dessin qui traduisait la vision que se faisait le caricaturiste du débat politique sur «la laïcité et l'identité» n'aurait jamais dépassé le pas de porte des 133 000 foyers, où ce journal est distribué. Mais le premier ministre, qui n'en finit plus d'instrumentaliser l'attentat de Québec et de se défendre de son séjour lucratif en Arabie saoudite, y a vu autre chose.
Il a poussé l'indignation - démagogie oblige - jusqu'à s'y voir en «djellaba islamiste» en train de «lapider une femme», un geste qu'il a qualifié de «meurtre». Comme fake news, on ne peut faire mieux.
Il faut croire que cette ligne de presse du premier ministre, relayée par son cabinet, a bien marché. La caricature a fait le tour des médias canadiens, écrits et électroniques, suscité de nombreux commentaires, précipité dans la tourmente, le caricaturiste, Le Courrier du Sud et son équipe dirigeante, la haute direction de son imprimeur, Transcontinental, tout en aiguisant la créativité d'autres caricaturistes qui s'y sont donnés à cœur joie.
Elle soulève clairement une question fondamentale, celle de la liberté de presse et la liberté d'expression, dans un contexte où le gouvernement Couillard a bien tenté de les bâillonner par son sinistre projet de loi 59.
La djellaba «islamiste»
La djellaba est un costume national au Maroc. Il fait partie du patrimoine culturel des Berbères bien avant l'arrivée de l'Islam au Maghreb, au 7e siècle. De laine, de coton ou de soie, elle est portée tant par les hommes que par les femmes, des citoyens ordinaires comme ceux de la haute société, au gré de leur fantaisie.
Symbole de l'élégance, elle a inspiré les grands de la haute couture comme Yves St-Laurent et fait son entrée à Hollywood parmi les stars du cinéma depuis qu'elle a été popularisée par Élisabeth Taylor dans les années 1980.
Le Roi du Maroc, Mohamed VI, solide rempart contre l'islamisme radical dont les services de renseignements traquent les djihadistes jusqu'au cœur de l'Europe, porte de superbes djellabas en soie dans les célébrations officielles et dans ses visites d'État à l'étranger.
La djallaba que le caricaturiste Phaneuf a fait enfiler à M. Couillard et qui a écorché sa sensibilité est tout sauf « islamiste ». C'est un costume traditionnel qui fait la fierté des marocains, contrairement au tchador, au niqab et à la burka que M. Couillard veut imposer aux employées de l'État du Québec par son projet de loi 62 et qui sont des symboles de l'islamisme radical et de l'infériorisation des femmes.
De la lapidation
Du latin «lapidare», l'exécution «à coups de pierres» a prévalu, depuis la nuit des temps, dans le bassin méditerranéen. Elle subsiste encore aujourd'hui dans certains pays islamistes où la charia est appliquée avec la plus stricte rigueur, dont l'Arabie saoudite.
C'est un châtiment corporel barbare réservé notamment aux condamnés pour crime d'adultère, de blasphème (islamophobie), d'apostasie (renoncement à l'islam) ou d'homosexualité. La scène est celle d'un rituel macabre qui se déroule en public et attire des troupes en délire, qui y participent collectivement.
Une femme condamnée pour adultère, par exemple, sera enroulée et attachée dans son tchador ou sa burka et conduite dans un fossé ou dans un trou d'où l'on ne verra que sa tête et le haut de son corps. Aussitôt l'appel à la lapidation lancé, la horde des bourreaux se met en cercle autour d'elle et se relaie pour lui jeter, à tour de rôle, une pierre à la fois, pour prolonger son supplice, tout en jouissant du plaisir sadique que leur procure sa torture.
L'Arabie saoudite où la lapidation est un sport national n'a pas de secrets pour notre premier ministre pour y avoir apprécié un séjour de quelques années.
S'il y a quelqu'un au Québec qui connaît le vrai sens de la lapidation, c'est bien lui. Alors pourquoi a-t-il créée un scandale autour d'une caricature qui n'a rien d'une véritable lapidation?
Pourquoi avoir banalisé cette horreur dont les principales victimes sont des femmes vivant sous le joug de la charia en se faisant passer lui-même pour LA victime d'une caricature d'un journal local qu'il trouvait de «mauvais goût»?
Autopsie d'une ingérence indue
Le 10 mars dernier, vers 16 h, j'a reçu un appel d'un journaliste de La Presse qui sollicite une entrevue relativement à la caricature de Phaneuf. Ne l'ayant pas vue, j'ai répondu «pas de commentaires».
Comme Le Courrier du Sud trainait sur ma table de lecture depuis quelques jours, j'y ai jeté un coup d'œil. À prime abord, la caricature n'était pas très flatteuse à mon égard, mais j'en ai ri, comme il arrive des fois qu'on rit de soi-même.
Se faire «jeter des roches» en politique est le lot de tous les politiciens, les recevoir en caricature, c'est moins douloureux que dans la vraie vie. L'une de mes collaboratrices me dit en rigolant «Regardez, les cailloux de M. Couillard ne vous atteignent pas. Vous être toujours debout pour défendre vos idées».
De toute manière, à moins d'une grave atteinte à la réputation, la liberté d'expression doit prévaloir. Comme personne ne m'en avait parlé, l'affaire pour moi était classée. Je n'ai pas jugé utile de rappeler La Presse pour réagir et encore moins me plaindre au journal.
Le même soir, je reçois un message de Mme Isabelle Marcoux, présidente de Transcontinental qui demande à entrer en contact avec moi. Je lui envoie mes coordonnées, le lendemain matin, samedi, 11 mars, à 7h35. Elle m'appelle à 7h50. Notre conversation a duré 20 mn.
Mme Marcoux était ébranlée et très inquiète. Elle m'informe qu'elle avait reçu, hier, un appel du cabinet du premier ministre Couillard qui s'est plaint de la caricature de Phaneuf, parue dans Le Courrier du Sud, publié par la société qu'elle dirige, Transcontinental.
Elle me relate l'intervention du Cabinet Couillard: 1. le premier ministre est présenté dans cette caricature comme un islamiste; 2. Il lapide une femme, en l'occurrence moi-même. Elle se confond en excuses envers la «pauvre lapidée» que j'étais; 3. suite à cette intervention, la caricature de Phaneuf a été retirée du site internet du Courrier du Sud. Elle est navrée que la version imprimée soit déjà distribuée.
Et la liberté d'expression
Je n'en croyais pas mes oreilles. Je sentais Mme Marcoux sous une forte pression. Elle avait pris la version démagogique de M. Couillard pour du «cash»: une djellaba «islamiste» = une lapidation. Quel scandale?
J'ai donc tenté de la rassurer en lui expliquant que je savais ce qu'est une djellaba, et que celle du caricaturiste n'avait rien d'«islamiste». La lapidation est un châtiment ignoble qu'il ne faut pas minimiser.
«Jeter des roches» en politique est une métaphore. J'en ai reçu des coups dans ma vie. Quand on a des idées et le courage de les défendre, il faut s'attendre à des remous parfois. Je peux être contre l'opinion de quelqu'un et me battre pour qu'il puisse l'exprimer. C'est la garantie que nous confère la liberté d'expression.
Plus j'écoutais parler Mme Marcoux, plus je comprenais le poids de la pression sur ses épaules. Ce n'est pas tous les jours que des imprimeurs de journaux locaux, reçoivent des appels directement du cabinet du premier ministre pour questionner leur contenu.
Le porte parole du premier ministre, Harold Fortin, va me le confirmer dans sa déclaration à La Presse, du 13 mars, quand il a écrit qu'il «appartient au Courrier du Sud et à son propriétaire, la société Transcontinental, d'indiquer si ce type de caricature correspond à sa ligne éditoriale». Poser la question, c'est y répondre. Est-il du rôle d'un premier ministre de questionner la ligne éditoriale d'un hebdo local ?
Je comprenais aussi que dans le contexte de vulnérabilité de Transcontinental vis-à-vis du gouvernement, Mme Marcoux pouvait être très stressée suite à cette intervention directe du cabinet du premier ministre. En effet, une dizaine de millions de dollars sont en jeu en termes de taxation et de pertes de revenus pour cette société qui réclame une aide d'urgence du même premier ministre qui la rabroue.
Troublée par le retrait de la caricature, je pensais déjà aux dommages collatéraux de cette ingérence indue. J'ai donc insisté pour dire que «je serais profondément affectée si le caricaturiste ou les dirigeants du Courrier du Sud étaient pénalisés».
Je lui ai cité l'exemple de mon intervention à l'Assemblée nationale contre le projet de loi 59 de Stéphanie Vallée et demandé que ma position soit transmise au caricaturiste Phaneuf et au journal.
Dans l'après-midi du 11 mars, à 16h15, suite à un entretien téléphonique avec l'éditrice Courrier du Sud, où je lui ai exprimé mon désaccord face au retrait de la caricature, je lui ai fait suivre, ainsi qu'à la Directrice de l'information, un courriel disant: «Je tiens à vous réitérer mon respect de la liberté d'expression qui doit primer sur tout autre considération».
Le Courrier du Sud est un hebdo qui a connu plusieurs restructurations, des pertes d'emplois et une compétition féroce, la dernière en date, du Rive-Sud Express. À sa barre, une équipe dédiée et deux femmes brillantes et engagées : Lucie Masse et Geneviève Michaud. Elles ont été trainées dans la boue par ce pseudo-scandale et elles ne le méritent pas. Sans elles, le Courrier du Sud n'aurait pas tenu le coup.
Le 13 mars, La Presse publie un article intitulé «Caricature de "mauvais goût" retirée après un appel du cabinet Couillard». Voilà donc comment une histoire inventée de toute pièce, d'une djellaba soit disant « islamiste» menant à une prétendue lapidation, est devenue un scandale national.
La même presse, a publié, le 15 mars dernier, une caricature plus virulente que celle de Phaneuf, sous la plume de Serge Chapleau disant «Ceci n'est pas "un meurtre", c'est une caricature». Il est où le premier ministre pour s'attaquer à la direction de La Presse comme il l'a fait pour Transcontinental?
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