La nomination des juges?
Officiellement, c'est de cela qu'il est question à la commission Bastarache. Mais le témoignage-choc de l'ancien sous-ministre Georges Lalande, hier, et les révélations de mes collègues concernant les entrées privilégiées d'un influent collecteur de fonds nous conduisent ailleurs, au coeur même du problème: le pouvoir du fric sur les partis politiques, l'omnipotence des organisateurs et le bon vieux copinage.
En créant une commission d'enquête expressément sur le processus de nomination des juges, Jean Charest voulait apparemment mettre le couvercle sur la marmite, mais on sent très bien que ça bout et que la soupe pourrait déborder. Une soupe composée d'argent, de pouvoir, d'influences indues, de renvois d'ascenseur, de favoritisme...
Vous savez ce que ça fait, une marmite qui déborde. Ça éclabousse partout, ça colle, ça sent le roussi et, après, on en a pour des heures à récurer. Rappelez-vous la marmite de Gomery. Au début, on voulait seulement savoir si les contrats de publicité du gouvernement fédéral avaient été attribués selon les règles de l'art. Puis on a découvert (surprise, surprise!) tout un réseau d'organisateurs et de collecteurs de fonds de mèche avec des entreprises qui acceptaient de jouer le jeu.
Parlant de la commission Gomery, vous vous souvenez sans doute de Jacques Corriveau et de quelques autres bons amis libéraux, qui étaient à tu à et toi avec le premier ministre et ses ministres et qui entraient plus facilement dans leurs bureaux que s'ils avaient eu une carte magnétique.
À Québec, le gouvernement Charest comptait aussi (compte toujours?) quelques intimes qui fréquentaient le cabinet des ministres (et du premier ministre) avec la même assiduité qu'un policier chez Tim Hortons. À ce chapitre, les noms de Charles Rondeau et de Franco Fava reviennent fréquemment depuis le début des audiences de la Commission.
Georges Lalande, ancien sous-ministre associé de Marc Bellemare, a confirmé hier les allégations de ce dernier: Franco Fava en menait large et insistait lourdement non seulement auprès du ministre, mais également auprès des sous-ministres, qui doivent normalement être à l'abri des manoeuvres politiques.
S'il doit y avoir une forteresse dans nos gouvernements, c'est bien au ministère de la Justice. En ce sens, le témoignage de Georges Lalande est plus dévastateur que celui de Marc Bellemare (qui n'est pas un témoin «neutre», évidemment) et plus éclairant que ceux de ses anciens collaborateurs, dont la mémoire semblait quelque peu émoussée.
Dans son témoignage, M. Lalande a ajouté un élément important, qui va au-delà de la nomination des juges: le marchandage. En gros, le collecteur de fonds dit: «Je récolte tant d'argent pour le parti, j'ai du pouvoir, je peux faire avancer certains dossiers, mais il faut que le ministre joue le jeu» (lire: qu'il nomme notre monde).
Il est question ici de nomination de juges mais, dans les faits, on touche à un phénomène beaucoup plus large, soit le pouvoir de l'argent sur la machine gouvernementale.
Si des collecteurs de fonds peuvent se promener aussi librement dans les antichambres du pouvoir et jouer ainsi les caïds jusqu'aux portes de la magistrature, pourquoi ne le feraient-ils pas ailleurs? Combien de nominations un gouvernement fait-il chaque année? Combien d'amis un parti compte-t-il sur sa «liste»?
On peut évidemment croire qu'il s'agit de cas isolés, dus à quelques collecteurs de fonds zélés qui sont intervenus auprès d'un ministre néophyte. Une telle conclusion ferait bien l'affaire de Jean Charest. Cela limiterait les dégâts. N'était-ce pas le but de la Commission sur le processus de nomination des juges: éviter une enquête plus large sur le financement des partis politiques, notamment leurs liens avec la construction?
Malgré le mandat extrêmement restreint de la commission Bastarache, la soupe déborde tout de même un peu.
On constate une fois de plus, en découvrant le rôle des collecteurs du fonds, qu'il n'y a rien de plus secret au Québec que le financement public des partis politiques. Que les partis politiques, point.
Faites un test: appelez n'importe quel parti et demandez à connaître le nombre de membres. Bonne chance. Demandez à connaître le nom des principaux collecteurs de fonds dans votre coin. Mission impossible.
Comment se fait-il que les lobbyistes doivent s'enregistrer et non les collecteurs de fonds? Pourtant, ils sont, à l'évidence, plus puissants que tous les lobbyistes qui font le pied de grue dans l'antichambre du pouvoir dans l'espoir de vendre leur salade.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé