(Texte publié dans Le Devoir du samedi 16 septembre 2006)
C'est une véritable déclaration de haine et de guerre à la nation canadienne-française qu'a signée M. Olivier Kemeid dans Le Devoir du 30 août 2006. [« Mais qu'il meure, ce Québec-là ! »->1756], hurle-t-il. Quel Québec ? Celui que les Canadiens, au sens originel du terme, les Canadiens-Français pour employer un pléonasme, ont façonné tant bien que mal à leur image depuis quatre siècles, longtemps dans la misère, et toujours dans l'adversité. Car, lorsqu'on parle des Canadiens-Français, on parle de conquis et non de conquérants, de colonisés et non de colonisateurs. De même parle-t-on aussi de porteurs d'eau, qui n'ont cessé de l'être que grâce à leur lutte pour l'indépendance et qui le redeviendront à coup sûr si cette lutte aboutit à un échec final.
Sous couvert d'antiracisme et, bien sûr, au nom de la grande fraternité universelle, M. Kemeid exige donc la mise en minorité au plus sacrant des Canadiens-Français dans leur tout dernier bastion.
Ce sera là, prophétise-t-il cent soixante-sept ans après Lord Durham, une grande victoire du progrès salvateur sur le conservatisme liberticide. Si c'est vraiment ainsi que les prophètes à la Kemeid conçoivent le progrès, alors il faut croire qu'en dépit de tous ses beaux discours sur l'altermondialisme, la gauche contre-culturelle à la sauce soixante-huitarde est bel et bien ce que j'ai toujours pensé qu'elle était : un instrument aveugle au service du grand capital. Car le monde sans nations auquel elle nous convie, que sera-ce en réalité, sinon ce vaste marché dont rêvent et qu'ont déjà commencé à nous imposer tous les apôtres des thèses néolibérales de Milton Friedman ?
Heureusement, il existe encore une gauche authentiquement humaniste, une gauche consciente qu'amputés à jamais de leur passé national, les humbles, dont je suis, se retrouveront presque sans défense face au capitalisme le plus sauvage et n'auront pour tout avenir que le Wall-Mart de l'un ou l'autre de nos très modernes, de nos très californiens boulevards Taschereau.
Cette gauche sérieuse compte aujourd'hui peu de représentants connus, hélas, tant il est vrai que c'est bien celle à laquelle les médias au service de l'ordre établi offrent le moins d'audience, mais à laquelle ils réservent par ailleurs leurs attaques les plus vicieuses.
M. Pierre Dubuc, par exemple, en sait sûrement quelque chose. Directeur de l'Aut'Journal et président du SPQ Libre, il a été traité, en juin dernier, de « réactionnaire », rien de moins, par Alain Dubuc, journaliste de l'empire Power Corporation et auteur d'un ouvrage au titre édifiant : Éloge de la richesse. Le monde à l'envers, quoi ! Ce que le Dubuc de La Presse, depuis longtemps passé de la lecture de Mao à celle de Friedrich Hayek, reprochait à celui de l'Aut'Journal, c'était sa fidélité à une conception soi-disant ethnique mais en réalité culturelle et historique de la nation. En cela, il servait bien ses puissants patrons, qui sont, faut-il le rappeler, aussi hostiles au nationalisme canadien-français qu'à toute forme de socialisme. Paul Desmarais, Alain Dubuc et Olivier Kemeid, même combat !
Oui, autant la droite ultra-capitaliste affectionne-t-elle la go-gauche contre-culturelle et antinationale, autant craint-elle plus que tout la gauche sérieuse, celle qui sait que le seul triomphe qu'assurera la mort des nations, c'est celui de l'argent, celui des exploiteurs.
Il y a une leçon à tirer de ces considérations et elle vaut, me semble-t-il, pour tous les militants de bonne volonté : ceux d'une droite plus attachée à ce qu'on appelle la tradition qu'à des privilèges de classe et ceux d'une gauche plus soucieuse d'équité économique que de vandalisme culturel. Entre les uns et les autres, le temps n'est-il pas enfin venu d'une alliance contre l'ennemi commun ? En vérité, cela urge.
Enfin, à tous les pseudo-progressistes qui ont pour mot d'ordre de faire du passé table rase, à tous les nihilistes qui, comme M. Kemeid, ont décidé que le Québec d'aujourd'hui et de demain ne doit plus rien avoir de commun avec celui d'hier, trop canadien-français à leur goût, je dédie ces quelques lignes fulgurantes de Pierre Vadeconcoeur, même s'il n'y a guère espoir que cela n'apaise si peu que ce soit leur haine morbide :
«La réduction à l'absolue contemporanéité est une particularité de notre époque. On y voit le vestibule de l'avenir. Mais, en réalité, non seulement a-t-on détruit le passé, mais, ce faisant, on a détruit aussi quantité de passages vers l'avenir. On a fait de la terre brûlée par en avant. On forcera l'avenir à tout reprendre, à tout refaire. C'est le condamner déjà à d'innombrables erreurs. Celles du capitalisme, qui est le prototype de la contemporanéité absolue et qui a tragiquement montré ce que c'est que de faire de l'avenir à partir de rien, devraient pourtant nous avoir instruits suffisamment.»
Les deux royaumes. L'Hexagone, Montréal, 1978, page 183.
Luc Potvin
_ Montréal
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