Burqa, coquetterie et chocolaterie!

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Lorsque le goût du Québec s'étiole

C’est une histoire un peu folle, aux allures kafkaiennes par quelques-uns de ses aspects loufoques qui en disent long sur notre époque et notre société.
Imaginez, une femme en burqa, à Québec, dans un marché public en plein mois de juin de l’année 2012, les mains couvertes de gants noirs. Le soleil cogne fort. Un homme l’accompagne, estivalement habillé, la tête protégée par une casquette qui lui couvre une bonne partie du visage.
Jusque-là, ça va?
Le couple se pavane de table en table.
Mihai Claudiu Cristea se trouve derrière l’une d’elle. Il accompagne sa femme et ses deux enfants venus mettre en vente quelques bricoles avant le départ de la famille en Roumanie pour une année sabbatique.
Le mal du pays
Pour tout dire, le père de famille est sous médication et souffre depuis quelque temps d’un manque. Est-il rongé par le mal de l’âme, du pays, de l’identité? Une chose est sûre, on est loin d’une crise d’adolescence. L’homme ne s’habitue pas au climat.
Arrivé au Québec en 2001, le Roumain dans la quarantaine dirige un journal qu’il a mis au monde en 2005 : Les Immigrants de la Capitale sous l’impulsion d’un néo-québécois d’origine tunisienne, Abdelouaheb Baalouch. « Ce journal, tu devrais le faire en français et le destiner aussi bien aux immigrants qu’aux Québécois », lui avait suggéré ce sage. L’idée vaut son pesant d’or. Et le nouvel arrivant décide de se lancer dans la mêlée.
Mais Mihai Claudiu Cristea n’est pas francophone. Qu’importe! Il a du métier, c’est l’essentiel. Le français ça s’attrape à force de fréquenter des « pures laines » et de tourner les pages du Bescherelle!
Le journal lui rapporte de nombreuses satisfactions personnelles. D’abord, celle d’exercer un métier qu’il aime par-dessus tout, puis il éprouve un sentiment de fierté à l’idée d’aider ses semblables à s’intégrer. Cependant, sur le plan monétaire, c’est plutôt la dèche, il gagne des broutilles. Sa femme l’épaule, se trouve un emploi à la fonction publique québécoise et leurs deux enfants font leur petit bonhomme de chemin.
Ce jour-là du mois de juin, le journaliste actionne son appareil photo et prend un cliché du couple pour illustrer la situation insolite provoquée par sa présence et publie un article coiffé du titre « Choc visuel et stupeur au Marché aux puces de Sainte-Foy ».
À la lecture du reportage, le couple de Tunisiens, Ahlem Hammedi et Saber Briki, est rouge de colère. Il n’apprécie ni le contenu, ni la photo et décide de poursuivre le journal et son rédacteur en chef pour « perte de la jouissance de la vie », « atteinte aux libertés fondamentales de religion et d’opinions, atteinte à la vie privée, atteinte à l’honneur, à la réputation et à la dignité » et réclament une somme 150 000 $.
Abasourdi, Mihai Claudiu Cristea offre à ses détracteurs la possibilité de répondre dans son journal. Le couple cède avant de se rétracter. Conseillé par un avocat, il se tourne vers les tribunaux.
Les deux parties se sont présentées sans avocat devant le juge Marc Paradis pour subir leur procès la semaine dernière à Québec.
J’étais là assise dans l’audience suivant attentivement chacune des paroles.
Moi, coquette? non mais…
Le journaliste a plaidé l’intérêt public, le droit à l’information et à la liberté d’expression. Quant au couple, il s’est enfermé dans une ritournelle victimaire et a retracé les grandes étapes de son cheminement migratoire.
Eh bien, voilà. Saber Briki, est arrivé au Québec en décembre 2008 pour faire des études à l’université Laval qu’il a abandonnées pour une carrière de taxieur. Ahlem Hammedi qui portait déjà le niqab en Tunisie a débarqué en 2011 par l’intermédiaire du programme de parrainage. Depuis, elle a mis au monde deux enfants.
En cour, elle s’est présentée en tchador de couleur chocolat le premier jour et de couleur mauve le second.
Le couple ne veut rien savoir du mot « coquette ». Dans l’article en question, Mihai Claudiu Cristea, écrivait que Ahlem Hammedi avait les yeux fardés de bleu. Ô l’insulte suprême!
Faux, archi-faux, s’égosille à répétition la partie demanderesse qui explique qu’une femme en niqab ne peut ni être coquette ni se maquiller à l’extérieur de son domicile Ah bon? Car une femme coquette, selon Mme Hammedi qui ignorait le mot en français jusqu’à ce que son mari le lui explique à la lecture de l’article incriminé, c’est celle qui « essaie d’attirer et d’enflammer le plaisir et désir des hommes ».
Tiens, donc, la belle affaire !
Le goût du chocolat
Difficile de suivre le témoignage des deux Tunisiens qui s’exprimaient dans un français laborieux. A l’évidence, il n’y avait pas seulement la barrière de la langue. Des perceptions ainsi que des visions diamétralement opposées s’entrechoquaient.
Au Québec, on n’a pas besoin d’une dérogation de la Mecque pour lever le petit doigt.
Et non, une femme coquette n’est pas une putain. Non, vraiment pas.
Les gants? Mieux vaut les garder pour nos hivers rigoureux.
À la fin du procès, j’ai pris un café avec Mihai Claudiu Cristea, en présence de quelques amis du journal venus l’épauler. Il réglait les derniers détails avant de prendre l’avion pour la nième fois pour Timisoara là où sa douce et ses deux enfants l’attendaient. Il a sorti délicatement de sa sacoche une tablette de chocolat de Roumanie. « C’est pour vous! », nous-a-t-il dit. La première fois que je l’ai rencontré, il y a quelques mois, c’était dans un avion entre Paris et Montréal, il m’avait également offert du chocolat. À la différence que cette fois-ci, il n’était plus certain de vouloir revenir au Québec. Voilà deux ans qu’il est parti. Sa femme a trouvé un emploi. Ses enfants sont scolarisés dans une bonne école. Et, lui, le journaliste friand de chocolat, a perdu, un peu, le goût du Québec.
Moi? Je suis en attente de la décision du tribunal qui a pris l’affaire en délibéré. Je vous en donne des nouvelles, promis!


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