Omar Barghouti - Le boycott d'Israël lancé par la société civile palestinienne est «un devoir moral», estime Omar Barghouti, membre fondateur du mouvement BDS, qui répond ici à [un article de «La Règle du jeu»->34830].
Dans son attaque irritée contre le mouvement Boycott, désinvestissements et sanctions (BDS) contre Israël, M. Bernard Henri Lévy (La Règle du Jeu, 25 janvier 2011) tente désespérément de salir le mouvement en présentant plusieurs prémisses manifestement fausses, régurgitées et trompeuses, qui conduisent à des conclusions injustifiées, voire illogiques. Ce que M. Lévy cherche particulièrement à cacher ou à obscurcir, ce sont les objectifs réels du mouvement, les personnes qui sont derrière lui, et les raisons de sa croissance spectaculaire, particulièrement en France, aux Etats Unis et dans d'autres pays occidentaux.
L'appel BDS a été lancé par une grande majorité de la société civile palestinienne le 9 juillet 2005, dans une nouvelle phase qualitative de la lutte globale pour la liberté, la justice et l'autodétermination palestiniennes. Plus de 170 partis politiques palestiniens, fédérations syndicales, organisations de femmes, groupes pour les droits des réfugiés, des ONG et des organisations de terrain ont appelé à un boycott contre Israël jusqu'à ce qu'il se conforme à ses obligations selon le droit international. Enraciné dans une histoire de résistance civile et non violente vieille d'un siècle contre le colonialisme de peuplement, l'occupation et les nettoyages ethniques, l’appel rappelle comment les gens de conscience, dans la communauté internationale, ont «historiquement endossé la responsabilité morale de combattre l'injustice, comme dans la lutte pour abolir l'Apartheid en Afrique du Sud», et appelle les associations de la société civile internationale et les gens de conscience à travers le monde à «imposer de larges boycotts et mettre en application des initiatives de retrait d'investissement contre Israël tels que ceux appliqués à l'Afrique du Sud à l'époque de l'Apartheid»
Depuis 2008, le mouvement BDS a été dirigé par la plus vaste coalition d'organisations de la société civile palestinienne dans la Palestine historique et en exil, le Comité National BDS. Ancré dans un profond respect du droit international et des droits humains universels, le mouvement s'est répandu dans le monde. Partout, les militants BDS choisissent leur propre cible et établissent les tactiques les plus créatives et les plus efficaces dans leur environnement politique et culturel. Le fait que le BDS rejette catégoriquement toute forme de racisme, dont l'antisémitisme, a suscité partout un intérêt accru dans les mouvements libéraux et progressistes.
Si plusieurs militants éminents du BDS soutiennent ouvertement la solution d'un État unitaire, la plupart souscrivent encore à la solution de deux Etats. Cependant, cette question est hors sujet, car le mouvement BDS, strictement basé sur les droits, a toujours évité de prendre une position quelconque sur le débat un Etat - deux Etats, et a plutôt mis l'accent sur les trois droits fondamentaux qui doivent être satisfaits pour une quelconque solution politique: mettre fin à l'occupation israélienne de 1967 des territoires palestiniens et autres territoires arabes, mettre fin au système israélien de discriminations légalisées et institutionnalisées contre ses propres citoyens palestiniens, et reconnaître les droits, ratifiés par l'ONU, des réfugiés palestiniens à rentrer dans leurs foyers d'origine. Voilà les trois principes stratégiques de base du mouvement. Tout le reste est tactique.
M. Lévy déforme complètement ma position sur cette question. Citant un de mes articles de 2003, il affirme bizarrement que je soutiens une solution à « deux Palestines ». Voici mes mots exacts :
«... on ne doit pas nier que le droit au retour des réfugiés palestiniens contredit les exigences d’une solution négociée pour deux Etats. Israël ne l'acceptera simplement jamais, et fait de cette question le talon d'Achille de toute solution négociée pour deux Etats, comme les faits l'ont amplement montré.»
En réalité, une solution négociée pour deux Etats exclura de facto le droit aux deux tiers des Palestiniens, les réfugiés, à rentrer chez eux, ainsi que les y autorise le droit international, comme pour tous les réfugiés.
Pendant plus de 27 ans, j'ai ouvertement et invariablement préconisé un Etat séculier et démocratique dans la totalité de la Palestine historique, où tous bénéficieront de droits égaux, indépendamment de l'ethnicité, de la religion ou de tout attribut identitaire. C'est pour moi, la formule la plus cohérente d'un point de vue éthique, pouvant concilier le droit inaliénable des Palestiniens à l'autodétermination, incluant le retour des réfugiés, avec les droits de tous les habitants de cette terre à la justice, à la paix, à la dignité et aux droits démocratiques. Par ailleurs, même si ma position réelle sur cette question avait été celle présentée par M. Lévy, partir de cette position supposée mienne pour impliquer le mouvement BDS tout entier ne manque pas seulement d'honnêteté intellectuelle ; c’est comme déclarer, par exemple, qu'un mouvement pacifiste voudrait renverser le système capitaliste en France s’il comptait un communiste (ou présumé) parmi ses dirigeants.
Comme toute large coalition démocratique, construite sur des principes communs mais épousant et respectant le pluralisme, le mouvement BDS, comme chacun peut le vérifier en examinant l'abondante collection de déclarations officielles et de documents publiés ces cinq dernières années, ne se range derrière aucune solution politique spécifique pour ce conflit colonial. Le dénominateur commun du mouvement est le soutien aux droits des Palestiniens en accord avec le droit international.
L'article de M. Lévy commet une autre sérieuse erreur en qualifiant commodément Israël de «démocratie». L'Afrique du Sud était aussi la seule «démocratie» en Afrique pendant l'Apartheid. Les USA étaient aussi une «démocratie» quand les millions d'Afro-Américains du Sud vivaient sous la ségrégation et l'oppression raciale. Un Etat ethnocentrique, comme Israël, qui discrimine par la loi ceux qui ne sont pas juifs, qui occupe, déplace par la force, colonise et commet ce que d'éminents experts de droit international et des organisations des droits humains décrivent comme des crimes de guerre ne peut pas, même de loin, être appelé une démocratie. Si la France adoptait des lois discriminant ses citoyens juifs et favorisant ses citoyens catholiques, l'appellerions-nous une démocratie ?
L'ancien ministre sud-africain Ronnie Kasrils et l'auteur britannique Victoria Brittain ont bien traité de cette question. Ils ont écrit:
«Le désir d'une majorité ethnique ou religieuse d’Israéliens juifs s'est infiltré depuis les territoires occupés pour imprégner le programme "national" israélien…. Pendant des décennies, la minorité palestinienne d'Israël s'est vue refuser une égalité fondamentale dans les domaines de la santé, l'éducation, le logement et la possession de la terre, pour la seule raison qu'elle n'est pas juive. Le fait que cette minorité ait le droit de vote compense difficilement l'injustice rampante dans tous les autres droits humains fondamentaux. Ils sont exclus de la définition même de "l'État juif", et n’ont virtuellement aucune influence sur les lois ou sur les orientations politiques, sociales et économiques. Leur similitude avec les Sud-Africains noirs vient de là ».
De plus, au moment où une vague de soulèvements populaire balaie la région arabe, exigeant les libertés, la justice sociale et la démocratie, il est assez révélateur, quoique largement attendu, de voir Israël –et le gouvernement des Etats-Unis– dans un tel état de panique et d'agitation, se placer du mauvais côté de l'Histoire, avec les despotes et les régimes autoritaires contre les peuples. Israël, agacé par la tempête de critiques, pourtant polies, de la dictature égyptienne par ses alliés européens d'hier et même par certaines voix de l'administration américaine, a lancé une campagne diplomatique pour convaincre les capitales importantes de soutenir Hosni Moubarak.
En Tunisie, aussi, le système de surveillance électronique tant vanté de l'ancien dictateur Ben Ali fonctionnait en coopération étroite avec Israël, comme l'ont rapporté systématiquement les organisations de la société civile tunisienne. Le renversement des amis d'Israël dans la région révèle de plus en plus clairement l'importance de l'investissement d'Israël et de ses partenaires occidentaux pour sauvegarder et renforcer les régimes autocratiques non élus du monde arabe. En partie pour faire du mythe d'Israël, la «villa dans la jungle» souvent repris par les groupes de lobby pro-israélien, une prophétie auto réalisatrice.
Israël a été pendant des décennies le meilleur ami de l'Afrique du Sud de l'Apartheid, l'aidant à développer un armement nucléaire, à écraser la résistance populaire de la majorité noire, et à contourner le vaste boycott contre elle. Ces faits ne plaident pas pour un Etat qui met en avant une image trompeuse de démocratie et de lumières.
Enfin, en ce qui concerne l’affirmation infondée et manifestement trompeuse selon laquelle un boycott des produits israéliens équivaut à boycotter les «produits juifs», on peut se demander si un boycott par exemple du Soudan ou de l'Arabie Saoudite serait considéré comme islamophobe. Le boycott contre l'Afrique du Sud était-il antichrétien ? Pourquoi deux poids deux mesures s'agissant d'Israël ? Le mouvement BDS contre Israël se désintéresse complètement qu'il soit un Etat juif, musulman, catholique ou hindou ; la seule chose qui importe est qu'il s'agit d’un oppresseur colonial qui nie constamment au peuple palestinien ses droits fondamentaux. Est-ce si difficile à comprendre ?
Un boycott d'Israël aujourd'hui est un devoir moral pour tous ceux qui ont à cœur le règne du Droit et des droits universels pour tous les humains, sans distinction.
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Omar Barghouti est l'auteur de «Boycott, Désinvestissement, Sanctions: BDS contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine» (La Fabrique, 2010).
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