Lorsque j'ai entendu parler des comptes de la SODEC, j'ai revu cette chambre qu'on m'avait réservée, il y a des années, pour la première de la version anglaise de Notre-Dame de Paris à Londres. Nous étions quelques journalistes venus de Paris. Je ne vous dis pas ma stupeur en découvrant le prix sur l'affichette au dos de la porte d'entrée. Il en coûtait près de 700 $ pour passer une nuit dans cette pièce au mobilier rose bonbon. Pourquoi? Parce que nous étions dans la ville la plus chère du monde, que la livre sterling battait des records et que les organisateurs avaient dû trouver un hôtel près de la salle de spectacle.
Vous aurez compris qu'il n'y a rien d'étonnant à ce qu'une chambre un peu plus grande coûte 1300 $ à Cannes. Excusez le mot, mais il ne faut pas être beaucoup sorti de son trou pour s'en offusquer. D'ailleurs, jamais le rapport du vérificateur général ne reproche formellement ce choix à Jean-Guy Chaput. Le vérificateur dit simplement n'avoir pas reçu les «justifications» nécessaires.
On comprend que l'homme de la rue s'étonne. Mais ceux qui sont allés à Cannes, où un Coke coûte 15 $, vous diront que ces prix n'ont rien d'exceptionnel. À Cannes, tout est somptueux. On peut trouver que la mafia cannoise exagère, mais il faut s'y attendre si on veut jouer dans les ligues majeures.
Quoi de plus normal que le président de la SODEC, qui n'est pas une coopérative étudiante, que diable, ait une chambre plus grande que celles de ses employés s'il ne veut pas faire asseoir ses invités sur le coin de son lit. Le producteur Roger Frappier, dont tous les films sont financés par l'État, loue la villa Rimbaud à Cannes, avec vue sur la mer, et personne ne s'en plaint. Au contraire, ses réceptions sont les plus courues! Les cris de vierges éplorées sont d'autant plus déplacés que le 1835, White Palm n'est même pas sur la Croisette et qu'il est certainement moins cher que les hôtels du président du Centre national de la cinématographie en France et des autres responsables d'organismes semblables en Belgique et en Suisse.
À Paris, ceux qui ont eu vent de nos petites histoires sourient de la petitesse du Québec ces jours-ci. Car, avouons-le, il y a un côté provincial dans cette chasse aux sorcières. Il est trop facile de jouer sur les préjugés en traitant de profiteur celui qui va à Cannes sous le seul prétexte qu'il occupe une chambre avec vue sur la mer, alors qu'il fait des journées de 18 heures et que le Québec y a connu cette année un succès exceptionnel.
Sait-on que la Belgique a organisé une soirée qui a coûté 190 000 $? Plus du double du prix de tous les cocktails de cinéma du Québec sur les Champs-Élysées! À Cannes, le petit cocktail du Québec n'a coûté que 9500 $! Selon un habitué de Cannes, les seules dépenses superflues, ces dernières années, pourraient être celles de la ministre Christine St-Pierre, qui a fait preuve d'une étonnante assiduité depuis trois ans. Elle est même venue l'an dernier, alors que le Québec n'avait aucun film en sélection.
Nous ne sommes évidemment pas en mesure de juger des frais de la SODEC au Québec, qui «dépassent parfois les règles établies», selon le vérificateur. Ni de savoir si les 200 000 $ dont on s'inquiète dans les chaumières ont été classés dans la bonne colonne. Par contre, l'analyse des frais de la SODEC en Europe souffre de lacunes évidentes.
Comment expliquer que la présentation de l'évolution des dépenses du commissariat européen ne tienne pas compte des taux de change qui ont atteint des sommets depuis trois ans? Une chambre de 1300 $ aurait coûté 250 $ de moins en septembre 2007, une variation de 20 % qui ne tient pas compte de l'inflation particulièrement importante en France.
Sortir de chez soi, c'est aussi reconnaître que tous les pays n'ont pas les mêmes pratiques comptables. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'une entreprise française fournisse à ses clients une facture sommaire. Dans certains pays, elle serait écrite à la main! Selon le délégué général du Québec à Paris, c'est ce qui explique qu'une facture de 80 000 $ ait été attribuée à des «prestations de restauration» alors qu'elle concernait les cocktails d'ouverture et de clôture de la Semaine du cinéma québécois à Paris. Deux événements qui ont attiré plus de 1000 personnes.
Voilà le genre de réalités avec lesquelles il faut composer si on veut faire connaître nos films à l'étranger. Il serait temps de redescendre sur Terre et de cesser de faire du populisme avec des chiffres dont personne ne prend le temps d'expliquer la portée réelle. Le danger de toute cette cabale, c'est qu'on brise l'élan d'une organisation dont tous les connaisseurs s'entendent à louer le travail. Malheureusement, l'influence culturelle du Québec en Europe semble peser moins lourd que les normes comptables pour certains membres de ce gouvernement, dont on se souviendra qu'une des premières mesures après son élection avait été de tuer le projet d'un centre culturel québécois à Paris.
Le Québec a rarement connu un tel succès à Cannes, et cela, avec des films difficiles et courageux. Il ne faudrait pas que, sous prétexte de faire des économies de bouts de chandelles, on passe à la trappe une aussi belle réussite.
crioux@ledevoir.com
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