Les électeurs seront conviés aux urnes le 21 octobre prochain pour trancher une question somme toute assez simple : les libéraux méritent-ils de prolonger leur passage aux commandes du Canada ? En cette veille électorale, Le Devoir propose un bilan en sept volets du mandat occupé de Justin Trudeau. Aujourd’hui : l'immigration.
Justin Trudeau s’est fait élire en promettant d’ouvrir toutes grandes les portes du Canada aux réfugiés et aux persécutés. Le premier ministre a tenu parole, une fois élu, en accueillant 40 000 Syriens et en abrogeant une série de réformes conservatrices qui avaient resserré le système d’accueil canadien. Mais cette bienveillance lui a aussi valu des critiques, lorsque des milliers de migrants se sont mis à traverser la frontière américaine.
« Nous rétablirons la réputation du Canada et aiderons plus de personnes grâce à un programme sécuritaire et empreint de compassion », annonçait Justin Trudeau il y a quatre ans. Et il ne lui a fallu que quelques mois au pouvoir avant d’effacer certains des changements les plus controversés de son prédécesseur, Stephen Harper.
La couverture de soins de santé des réfugiés a ainsi été rapidement rétablie par les libéraux. Les conservateurs avaient modifié le programme fédéral qui paie les soins de demandeurs d’asile en attente de traitement de leur dossier. La réforme avait réparti les demandeurs en deux catégories : ceux issus de pays jugés « sûrs » — et peu enclins selon le gouvernement à créer des réfugiés légitimes — se voyaient désormais rembourser leurs médicaments et soins hospitaliers uniquement si leur état menaçait la santé publique, tandis que les autres n’avaient droit qu’à des soins d’urgence. Fini, donc, le remboursement de soins hospitaliers pour accoucher ou pour soigner un cancer. La Cour suprême a statué en 2014 que la réforme conservatrice était inconstitutionnelle. Le gouvernement Trudeau a rétabli une couverture de soins de santé identique à celle dont bénéficient les Canadiens qui touchent l’assurance sociale — soins médicaux de base, médicaments sous ordonnance et soins dentaires d’urgence.
Les libéraux ont en outre abrogé la possibilité de révoquer la citoyenneté d’un Canadien qui aurait deux nationalités et qui serait reconnu coupable d’actes terroristes ou d’un acte « qui va à l’encontre de l’intérêt national ». Les conservateurs avaient modifié la loi en ce sens. Et ce, même si le citoyen n’avait jamais mis les pieds dans le pays de sa seconde citoyenneté.
Le gouvernement libéral a également réduit d’un an la présence en sol canadien exigée pour décrocher une citoyenneté, après que les conservateurs l’ont prolongée.
La déconstruction de l’héritage conservateur s’est même poursuivie jusqu’à cette année. L’ancien ministre de l’Immigration Jason Kenney s’était donné le pouvoir discrétionnaire d’établir cette liste de 42 pays jugés « sûrs ». Les demandeurs d’asile de ces États n’avaient plus de droit d’appel si leur demande était rejetée, celle-ci devait être préparée plus rapidement et, en cas de refus, ils devaient attendre un an avant de présenter une nouvelle demande pour motifs humanitaires. Le ministre libéral de l’Immigration, Ahmed Hussen, a carrément éliminé cette liste, arguant qu’elle était discriminatoire et n’avait pas réduit le nombre de demandes provenant de ces pays.
Bienvenue aux Syriens
Justin Trudeau a par ailleurs rempli l’une de ses promesses phares de 2015 : l’accueil de 25 000 réfugiés syriens, auquel il s’était engagé après que la photo du petit Syrien Alan Kurdi, échoué sur une plage, a fait le tour du monde. L’accueil a pris plus de temps que prévu. Mais au final, 40 000 Syriens ont trouvé refuge au Canada.
Cette volonté d’accueil des expatriés a été réitérée lorsque le président américain, Donald Trump, a promulgué un décret interdisant l’entrée aux États-Unis de réfugiés syriens et de ressortissants de sept pays musulmans. « À ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera indépendamment de votre foi. La diversité fait notre force. #BienvenueAuCanada », a gazouillé Justin Trudeau, en janvier 2017.
Au même moment, cependant, un nombre grandissant de migrants s’est mis à traverser la frontière américaine de façon irrégulière, en évitant les postes frontaliers. Car l’entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis oblige les réfugiés à déposer leur demande d’asile dans le premier pays où ils mettent les pieds. À moins d’entrer au Canada en évitant un poste frontalier.
Alors que 300 migrants sont ainsi entrés au pays en janvier 2017, ils étaient 5700 au mois d’août suivant. Les chiffres se sont ensuite stabilisés, pour osciller entre 1600 et 2000 entrées par mois à la fin 2017 (20 600 entrées pour l’année) et en 2018 (19 400 entrées pour l’année). Depuis janvier 2019, on compte autour de 1000 entrées irrégulières par mois. La quasi-totalité de ces migrants arrivent au Québec par le désormais célèbre chemin Roxham, mais environ 40 % transitent ensuite vers l’Ontario.
Ottawa tente de s’entendre avec Washington pour corriger cette entente, mais les pourparlers sont toujours en cours.
Entre-temps, les provinces écopent et ont sommé Ottawa de les dédommager puisqu’elles doivent s’occuper de l’éducation, des soins de santé et de l’hébergement temporaire de ces migrants. Québec et Ottawa ont conclu une entente de dernière minute, fin août, lorsque le fédéral a accepté de verser les 250 millions de dollars réclamés par la province.
Davantage d’immigrants
Les libéraux ont augmenté au fil des ans les niveaux d’accueil d’immigrants. Le Canada accueillera cette année 331 000 nouveaux arrivants ; 341 000 en 2020 ; 350 000 en 2021. Avant l’arrivée de Justin Trudeau au pouvoir, le Canada acceptait en moyenne 260 000 immigrants par année.
Les troupes libérales ont aussi élargi le bassin d’immigrants admis au pays. Auparavant, les candidats qui étaient susceptibles d’engendrer des coûts élevés en soins de santé — soit supérieurs à la moyenne consacrée pour chaque Canadien — étaient rejetés. Des familles comptant un membre atteint du VIH ou un enfant autiste, par exemple. Le gouvernement Trudeau a haussé du triple le seuil de ce plafond de coût excessif, ce qui permettra d’accueillir 75 % des gens qui étaient jusqu’ici refusés.
Les libéraux ont toutefois terminé leur mandat avec un changement dénoncé par les groupes de défense des droits des réfugiés. Un amendement à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés a été discrètement inséré au projet de loi budgétaire omnibus cette année, afin de rejeter d’emblée les demandes d’asile de réfugiés qui en ont déjà fait une dans l’un des pays des Cinq Yeux (les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, avec qui le Canada partage des renseignements secrets). Le ministre Hussen a précisé vouloir ainsi mettre fin au « magasinage de demande d’asile ».