Bernard Landry était profondément allergique aux mots « province » et « provincial ». C’était connu et quiconque l’oubliait s’en mordait rapidement les doigts. Lorsqu’il les prononçait lui-même, c’était pour mieux en faire ressortir l’archaïsme méprisant que ces mots évoquent par leur définition même.
Sa manière de le faire était spectaculaire. Il plissait les yeux presque de douleur, roulait très fort le « r » et insistait sur le « o », tout en exagérant le son du « in ».
Pour nommer le Québec, l’ex-premier ministre a toujours opté pour les mots « nation » et « national ». Au drapeau, il portait également un très grand respect. Même sans l’indépendance, il y tenait dur comme fer. Il avait raison.
Vaincus
Connaissant bien le latin, il savait pertinemment que le mot « province » vient de pro victis. Ce qui veut dire « territoire des vaincus ». Qui voudrait donc affubler un État moderne comme le Québec, le sien propre en plus, d’une épithète aussi dégradante ?
Et pourtant... Depuis quelques années, les vocables « province » et « provincial » opèrent un retour en force dans l’espace public, politique et médiatique. C’est comme si nous ne savions plus le sens des mots ni le pouvoir qu’ils ont de nous élever dans notre perception de nous-mêmes. Ou, au contraire, de nous rabaisser.
Même sur le site web du Directeur général des élections, on trouve des expressions comme « élections provinciales », « domaine électoral provincial », « élections générales provinciales », etc.
Honorer
En même temps, le nouveau logo de cette institution se lit comme suit : Élections Québec. Et non pas, il va sans dire, Élections Province de Québec. Alors, pourquoi conserver toutes ces références à la « province » ?
Une belle manière d’honorer la mémoire de Bernard Landry serait de reprendre conscience du poids des mots. Lorsqu’on respecte l’État et la nation dont on fait partie, la dernière chose à faire est bien de les désigner – et de nous désigner – comme un ramassis de « vaincus ».