Bellemare redoute un «piège à cons»

- L'avocat contestera toute assignation à comparaître à la commission Bastarache - Il parle d'autres «influences indues» au cabinet de Charest

Commission Bastarache



Québec — Marc Bellemare est catégorique: il refusera par tous les moyens de participer à la commission Bastarache sur le processus de nomination des juges. C'est ce que l'avocat de Québec a confié au Devoir, au jour inaugural des travaux de la commission, où il en a profité du reste pour ouvrir un nouveau front: il soutient maintenant avoir averti le premier ministre «d'autres influences indues de la part de certains de ses conseillers».
Selon Marc Bellemare, dont les allégations sont à l'origine même de la commission Bastarache, celle-ci est un «cirque», «et je ne suis pas une bête de cirque», pestait-il hier en début de soirée.
Il soutient que «personne de raisonnable n'irait devant une cour sachant que le juge a été choisi par son adversaire». Par conséquent, il entend contester toute assignation à comparaître qui viendra de cette commission: «À mon avis, la commission Bastarache est un piège à cons pour moi, c'est une espèce de cul-de-sac qui ne vise qu'à valoriser et qu'à bonifier l'image du premier ministre dans cette tourmente.»

Dans son discours d'ouverture, le commissaire Bastarache, hier, a pourtant rappelé qu'en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête, quiconque refuse «sans raison valable [...] de témoigner [...] commet un outrage au tribunal».
Marc Bellemare souligne qu'il peut s'adresser à la Cour supérieure afin de contester, comme il le fait d'ailleurs actuellement pour une assignation du Directeur général des élections. Si la décision lui est défavorable, il peut porter l'affaire en appel et faire ainsi traîner les choses pendant plusieurs semaines.
Devant les tribunaux, Marc Bellemare soutiendra entre autres choses que le commissaire Bastarache, comme avocat au cabinet Heenan Blaikie, n'a pas l'impartialité nécessaire pour présider cette commission. Ce cabinet a beaucoup de liens avec le gouvernement et obtient des millions en contrats de la part de l'État. Il note de plus que 100 avocats de ce cabinet ont contribué à la caisse électorale du PLQ en 2008 et qu'en 2006, lors de l'agrandissement des bureaux de Heenan à Québec, dix ministres avaient participé au cocktail qui avait souligné l'événement.
L'avocat admet qu'il aurait très probablement pu obtenir de la commission un statut de participant, ce qui lui aurait donné le droit de réclamer au commissaire de convoquer certains témoins.
Mais pour ce faire, il aurait fallu qu'il produise une déclaration sous serment par laquelle il aurait accepté les «règles de pratiques» définies par le commissaire Bastarache, règles que M. Bellemare considère comme «cousues de fil blanc»: «J'aurais fait une profession de foi pour le commissaire.» Les règles de pratiques auraient aussi permis aux enquêteurs de la commission de rencontrer M. Bellemare à huis clos pour tenter de lui «tirer les vers du nez», s'étonne-t-il. M. Bastarache, dans son discours d'hier, a soutenu qu'avant de tenir des audiences publiques sur les allégations de Me Bellemare, il aura «entrepris de mener une enquête factuelle pour vérifier le bien-fondé des allégations formulées». Marc Bellemare soutient que le commissaire «aurait aussi pu changer les règles à sa guise». «Et je vais aller là, moi? Jamais dans cent ans!», lança-t-il à l'autre bout du fil.
Marc Bellemare aurait préféré témoigner devant une commission parlementaire. Selon lui, la poursuite en diffamation de 700 000 $ que lui a intentée Jean Charest le 14 avril (la journée même où il a mis sur pied la commission Bastarache) fera une bien meilleure commission, qui coûtera moins cher. Il dit «avoir hâte» d'entendre le premier ministre Charest témoigner en cour supérieure le 14 juillet et de présenter sa défense au début septembre.
Le premier ministre réagit
La commission Bastarache a refusé de répondre aux attaques de Marc Bellemare. Mais au cabinet du premier ministre, hier, on ne décolérait pas. «Après avoir semé des doutes sur la magistrature, remis en question l'impartialité du DGE, après avoir questionné l'impartialité du juge Bastarache, il ne veut pas se présenter devant la commission. Si le Barreau, la magistrature et le premier ministre du Québec acceptent de se présenter devant la commission Bastarache, on ne voit pas pourquoi Marc Bellemare, lui, serait au-dessus des lois et refuserait d'y témoigner», a déclaré Hugo D'Amours, l'attaché de presse de Jean Charest, hier soir. M. D'Amours a refusé de commenter les nouvelles allégations de M. Bellemare, formulées à LCN, concernant des influences indues de la part de conseillers comme Chantal Landry, responsable des nominations au bureau du premier ministre. Selon M. Bellemare, cette dernière travaillait «en étroite collaboration avec les collecteurs du parti pour en venir à décider qui allait être nommé à telle place».
Vendredi, on aura un avant-goût des contestations à venir de Marc Bellemare. L'avocat qui le représente, Jean-François Bertrand (fils de Guy Bertrand et candidat défait à l'investiture du PQ dans Vanier en 2007), se rendra en Cour supérieure. Il participera à des audiences préliminaires dans sa contestation d'une assignation à comparaître: celle que le DGE avait émise au mois d'avril. Un des arguments qu'il entend soulever contre le DGE sera aussi utilisé pour contester une assignation de la commission Bastarache: une personne qui a été ministre a un devoir particulier de ne «pas divulguer une information confidentielle dont elle a pris connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions». M. Bellemare rappelle aussi que le serment de membre du conseil exécutif contenait une promesse de secret. Aux yeux de M. Bellemare, seul un décret «très clair» du Conseil des ministres pourrait le libérer de ces obligations.
Bastarache surpris
Par ailleurs, hier matin, le commissaire Bastarache a précisé la période de temps sur laquelle il se penchera: du 1er janvier 2000 à aujourd'hui, soit l'époque des gouvernements Bouchard Landry et Charest.
Il s'est du reste montré surpris que les élus du Parti québécois aient fait une demande pour être reconnus comme «participant», mais par le truchement de leur statut d'opposition officielle, ce qu'il a qualifié d'«inédit». M. Bastarache a fait valoir que les partis politiques ne sont habituellement pas participants dans les commissions d'enquête.
À ses yeux, l'intérêt manifesté par l'opposition officielle dans sa requête — la surveillance du gouvernement et la participation à l'adoption des lois — semblait surtout politique. L'avocate Julie Chenette, qui représente l'opposition officielle, a affirmé à l'ancien juge de la Cour suprême que son client n'avait aucune intention partisane.
En plus de l'opposition officielle, le gouvernement du Québec, le premier ministre ainsi que le Parti libéral du Québec ont fait valoir leurs arguments, hier, afin d'obtenir le statut de participant. En tout, huit individus, groupes, organismes ou toute autre entité ont été entendus. Cette première journée de travaux publics aura été brève, se terminant avant midi. Les requérants devraient connaître la décision de M. Bastarache d'ici la fin de la semaine.
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Avec La Presse canadienne


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