On ne peut pas ignorer que les évolutions géopolitiques et la croissance démographique déterminent les politiques économiques à venir. La population de notre planète a dépassé 7,2 milliards d’habitants l’année dernière, alors qu’elle était encore inférieure à 1 milliard en 1930. En 2050, elle aura sans doute atteint les 9,4 milliards de personnes. Que se passera-t-il alors ?
J’ai grandi dans un monde dont le centre était l’Europe, les Etats-Unis et le Japon. Au sortir de la seconde guerre mondiale, la Chine et l’Inde représentaient à elles deux moins de 5 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Jusqu’à la fin du siècle dernier, l’Europe, les Etats-Unis et le Japon en totalisaient encore 80 %, c’est-à-dire l’essentiel des richesses produites par les 6 milliards d’habitants que comptait alors la planète. Mais c’est en train de changer. La balance entre pays « développés » et pays « moins développés » n’est plus tout à fait aussi déséquilibrée. Même si les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) connaissent de graves difficultés sur les marchés mondiaux, à long terme, on assiste bel et bien à l’émergence d’un nouvel ordre économique mondial, lié aux nouveaux rapports de forces démographiques.
On estime ainsi que l’Afrique, qui représente aujourd’hui 16 % de la population mondiale, abritera un habitant de la planète sur quatre en 2050. Dans le même temps, l’Asie poursuit son inexorable croissance, tant sur le plan démographique qu’économique, selon une courbe inversement proportionnelle à celle de l’Europe, décidément sur le déclin (15 % de la population mondiale il y a encore quelques années, 10 % aujourd’hui, 7,4 % en 2100). Sur les 9,4 milliards d’êtres humains prévus d’ici à 2050, 1,3 milliard seulement vivront sur le sol des anciennes puissances occidentales, tandis que la population des pays jadis considérés comme « moins développés » s’élèvera à 8,1 milliards. Ce monde-là n’aura plus grand-chose en commun avec celui que nous connaissions hier.
Il est révélateur que le dernier sommet des Brics, présidé le 7 juillet 2015 par le président russe Vladimir Poutine, ait mis en valeur la création de la Nouvelle Banque de développement des Brics, localisée à Shanghaï. De plus la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, lancée par Pékin, a vu le jour cette année ; elle est présentée comme un outil d’investissement capable de rivaliser avec le Fonds monétaire international (FMI).
La création de ces deux géants marque un tournant dans une histoire dominée jusqu’alors par une Banque mondiale sous présidence américaine et un FMI sous présidence européenne. Compte tenu des évolutions démographiques, il ne fait guère de doute que le centre de gravité de la finance internationale continuera de s’éloigner de ses anciennes places fortes. Ni la Banque mondiale ni le FMI n’ont encore pris la mesure de ce changement historique. Il existe actuellement environ 130 institutions bancaires locales, régionales ou internationales qui financent le développement économique aux quatre coins du monde. Les Etats-Unis et les grandes puissances européennes n’ont plus guère d’autre choix que d’entrer dans les capitaux de ces nouvelles banques, ne serait-ce que par souci de réalisme face aux nouveaux marchés asiatiques, notamment en Chine et en Inde. Le président américain Barack Obama ou la chancelière allemande Angela Merkel paraissent avoir pris conscience de ce nouvel ordre économique mondial. Il était temps.
On peut regretter que la mise en place de ce nouvel échiquier géopolitique ne s’accompagne pas d’une meilleure justice sociale et économique — même s’il y a eu des avancées en matière d’accès aux soins et à l’éducation. C’est la raison pour laquelle il est si important de comprendre les logiques de pensée et d’action à l’œuvre dans les différentes parties du monde. On n’échappera pas non plus à la nécessité de forger de nouveaux outils de mesure pour évaluer le développement, pas seulement en termes quantitatifs comme le PIB, mais aussi en termes qualitatifs comme l’éducation ou les arts.
Supplément « Réflexions sur le progrès »
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