Au lendemain d’un Oui

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Parizeau, l’homme d’honneur de cette histoire

Que se serait-il passé au lendemain d’un Oui majoritaire, le 30 octobre 1995 ? Comment auraient réagi les principaux acteurs politiques de l’affrontement référendaire ? Pour le savoir, la chroniqueuse Chantal Hébert et le commentateur Jean Lapierre ont interviewé 18 des principaux protagonistes de ce grand événement de notre histoire récente. Ils ont rencontré ensemble les politiciens québécois et Sheila Copps. Hébert, seule, a mené les entrevues avec les acteurs de l’extérieur du Québec et a rédigé l’ouvrage, en anglais. Sans être une oeuvre remarquable sur le plan littéraire, ces Confessions post-référendaires sont néanmoins riches en révélations qui ne laissent pas de surprendre.

Ainsi, l’ouvrage nous apprend que, « pendant le référendum de 1995, les relations dysfonctionnelles étaient la règle plutôt que l’exception aux plus hauts niveaux des camps du Oui et du Non ». Le jour même du vote, Lucien Bouchard et Jacques Parizeau « ne se sont pas dit un mot ». Le premier, d’ailleurs, avait l’intime conviction que le second, en cas de victoire, s’apprêtait à l’écarter, un sentiment que l’ouvrage dit avoir été partagé par Mario Dumont, ce que nie ce dernier ces jours-ci.

Les confessions respectives des trois têtes d’affiche de la coalition du Oui expliquent cette froideur entre eux. Parizeau, c’est à son honneur, était préparé et savait où il s’en allait. Il ne croyait pas possible, ni vraiment souhaitable, une entente négociée avec le Canada au lendemain d’un Oui et ne voulait surtout pas lier « le sort de la souveraineté à la réalisation d’un partenariat politique ». Parizeau, en d’autres termes, était un souverainiste sans ambiguïté et préparait une déclaration unilatérale d’indépendance.

Bouchard et Dumont souhaitaient une victoire du Oui, mais ils espéraient d’abord, selon ce livre, que ce résultat mène à une sorte de fédéralisme renouvelé favorable aux intérêts du Québec. Bouchard, qui a galvanisé les militants souverainistes, tenait mordicus à des instances communes et plaidait pour un deuxième référendum visant à ratifier cette nouvelle entente. Dumont, écrit Hébert, le jour même du vote, « est davantage préoccupé par le désir que le Québec ne coupe pas les ponts avec le Canada qu’animé par l’envie de s’aventurer dans l’inconnu d’un projet d’indépendance ».

Peut-on donner tort à Parizeau de s’être méfié de ces alliés ambivalents ? Dumont confie même que Bouchard et lui étaient prêts à nuire à la reconnaissance internationale d’un Québec souverain pour « freiner le bonhomme ». Le tandem, doit-on comprendre, n’arrivait pas à concevoir un Québec vraiment indépendant, comme la suite de leur carrière l’a confirmé.

Dans le camp du Non, le seul maître à bord était Jean Chrétien, alors premier ministre du Canada. La vice-première ministre, Sheila Copps, ne savait rien du plan de match de son chef. Elle a suivi les résultats du vote « seule dans son salon d’Ottawa ». Ce fait, note Hébert avec raison, illustre que, « depuis quarante ans, les députés et les ministres qui siègent à Ottawa ont vu leur influence fondre comme neige au soleil, au profit de la garde rapprochée de conseillers non élus qui entourent le premier ministre ».

Le 30 octobre 1995, Mike Harris, nouveau premier ministre de l’Ontario, la plus grosse province canadienne, « n’avait pas encore eu un seul entretien digne de ce nom avec Jean Chrétien ».

La relation entre ce dernier et Daniel Johnson, chef officiel du camp du Non, était froide et tendue. Jean Charest, alors chef du Parti progressiste-conservateur, menait campagne pour le Non tambour battant, exhibant son passeport canadien, mais sans coordination avec Chrétien.

Si le Oui l’emportait de justesse, une forte possibilité, Chrétien, un Québécois, allait-il pouvoir demeurer en poste ? Preston Manning, chef du Parti réformiste, croyait que non et se préparait à prendre sa place, pour négocier une rupture rapide avec le Québec. Roy Romanow, premier ministre de la Saskatchewan, explorait la possibilité que sa province quitte le Canada.

Plusieurs intervenants, parmi lesquels on retrouve Copps, Charest, Johnson, Paul Martin, André Ouellet et Bob Rae, affirment dans ce livre qu’il aurait fallu refuser de reconnaître qu’un Oui signifiait l’indépendance.

Ouellet, alors ministre fédéral des Affaires étrangères, prônait un référendum fédéral pour renverser le vote québécois. Les autres plaidaient plutôt pour la négociation d’une nouvelle entente Québec-Canada. Chrétien, lui, pour empêcher la « séparation », se disait prêt à reconnaître le Québec comme société distincte parce que, dit-il, « cela ne voulait rien dire ». De grands démocrates, n’est-ce pas ?

La voie rapide

Lucienne Robillard, alors députée libérale fédérale, espérait que toute cette affaire mènerait à des changements constitutionnels satisfaisants pour le Québec. « Je l’ai eue, cette illusion, jusqu’au moment où j’ai réalisé, après le référendum, qu’il n’y aurait pas de changements. » Ne reste-t-il que ce dépit, comme politique, aux fédéralistes québécois ? Ailleurs au Canada, en tout cas, l’union sacrée nationale transcende le clivage gauche-droite : on ne discute plus avec le Québec.

Retenons un dernier motif d’étonnement. Plusieurs des politiciens interviewés — Charest, Copps et Martin, notamment — soulignent que les milieux d’affaires canadiens et probablement la majorité des Canadiens auraient souhaité, après un Oui majoritaire, un dénouement rapide et ordonné, plutôt qu’une « imprévisible guerre d’usure pour garder le Québec » au sein du Canada. C’était le pari de Parizeau, l’homme d’honneur de cette histoire.


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