Gérard Bouchard et Charles Taylor doivent mettre fin immédiatement à leur périple québécois et sonner la fin de la récréation. Depuis des semaines, ils parcourent le Québec pour montrer à la face du monde que le Québec est une société pleine de contradictions, une société certes en mutation, mais incapable, de son premier ministre à son premier parti d'opposition, de montrer la moindre compassion pour ceux et celles qui ont choisi de venir vivre chez nous.
L'enjeu et les effets de cette commission sont dévastateurs pour notre réputation internationale. MM. Bouchard et Taylor contribuent, bien malgré eux, à miner tous les acquis de la démocratie québécoise depuis trente ans et à légitimer, en donnant une voix aux visions simplistes et populistes de certains, un discours étroit, sans envergure.
Ce genre de thérapie collective est inutile. Derrière le fla-fla médiatique et le clip de cinq secondes, c'est le Québec qu'on bafoue et dénigre, et ce, au détriment de tous les Québécois qui travaillent chaque jour à édifier ce Québec que nous aimons profondément. Les anti-Québec, surtout au Canada anglais, font les gorges chaudes. Le Québec ethniciste, raciste, xénophobe se retrouve dans les pages-titres. Comme à une certaine époque, le Québec tribal présenté par plusieurs politiciens fédéraux refait surface. La proverbiale générosité du peuple québécois est balancée à tout vent pour satisfaire les vils instincts partisans d'un premier ministre incapable de mettre ses culottes et de défendre haut et fort les valeurs fondamentales de la société québécoise.
Jean Charest est irresponsable
La lecture de la [«lettre» du premier ministre Jean Charest->9958] démontre clairement l'irresponsabilité, sinon le vide intellectuel, qui anime le chef de l'État québécois. René Lévesque n'aurait jamais créé une telle commission! Il ne se serait pas réfugié derrière des faiseurs d'image et des agents de relations publiques pour se faire une tête dans le débat actuel. M. Lévesque n'avait besoin de personne pour montrer du cran et du leadership; il était un rassembleur. M. Charest ne fait rien pour se situer au-dessus de la mêlée, pour éteindre le feu en la demeure. Par égoïsme politique, il préfère éviter les escarpements, se laisser guider par ses instincts. M. Charest, vous êtes en train de sacrifier le Québec tout entier!
Si le premier ministre du Québec avait la stature d'un homme d'État, et le moindre sentiment humaniste, il devrait d'abord et surtout souligner à grands traits l'apport remarquable de tous les nombreux Québécois issus de l'immigration au développement de la société québécoise. Avant de mettre au pilori tous les immigrants de ce monde, il devrait défendre le seul et le plus noble principe de toutes les démocraties et surtout de la nôtre: l'égalité entre tous les citoyens.
Par opportunisme politique, et sans doute pour sauver sa tête lors du prochain vote de confiance au sein du PLQ, il a préféré attendre, soupeser et finalement proposer, sans attendre les recommandations de sa propre commission, des changements à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour préciser que les hommes et les femmes habitant sur notre territoire sont égaux. Faut-il être borgne pour voir que le Québec a parcouru un chemin remarquable et exemplaire, grâce aux efforts de tous les Québécois, afin de doter la société québécoise d'institutions aussi égalitaires que possible.
Cette quête se poursuit toujours, et sans les efforts des syndicats; il faut se demander si un semblant de politique verra le jour derrière les grandes déclarations de M. Charest. Notre combat au Québec en fut un en faveur de l'égalité économique parce que les Québécois n'étaient pas maîtres chez eux et qu'ils étaient traités comme des citoyens de seconde zone. Alors que le premier ministre devrait expliquer, montrer de la compassion et faire des gestes qui affirment l'égalité pour tous et toutes, et ce, quelle que soit leur origine, il s'installe confortablement dans le fauteuil de l'indifférence. La thérapie Bouchard-Taylor devient d'autant plus indigeste quand le chef de gare ne sait plus d'où vient le train.
La communauté arabo-québécoise
Je le dis et je l'écris: la communauté arabo-québécoise ne mérite pas d'être traitée de cette façon sur la place publique. Cette lapidation collective est insensée, inutile et sans commune mesure avec ce que le Québec pense vraiment. Chaque année, depuis cinq ans, je sonde les coeurs de tous les étudiants de Concordia. S'il y a un groupe qui vit une crise identitaire, c'est bien la communauté arabo-québécoise. Comme dans tout groupe, certains sont d'ardents défenseurs d'une laïcité totale, alors que, pour d'autres, la religion demeure au coeur de leur combat identitaire. Cette communauté doit vivre elle aussi avec ses contradictions et ses ambiguïtés et a besoin d'un leadership fort.
Jamais je n'accepterai qu'un citoyen du Québec, quelles que soient ses origines, soit vilipendé ainsi. Il faut défendre d'abord et avant tout les droits de tous et chacun. Depuis que j'enseigne et que je côtoie des jeunes qui ont choisi de venir vivre au Québec, jamais quelqu'un n'a remis en cause notre modèle d'interculturalisme. Ce que réclament, et en toute légitimité, les nouveaux arrivants, c'est de pouvoir travailler à bâtir le Québec du XXIe siècle, une société fière et moderne.
J'entends le plus souvent plutôt des critiques d'un multiculturalisme canadien qui ghettoïse ses membres. Nous ne devons pas faire subir aux Arabo-Québécois le même sort que les rhodésiens anglophones du Québec ont voulu nous faire subir dans les années 60! Le message est simple: travaillons ensemble pour qu'au Québec tout le monde puisse réaliser ses rêves, et ce, dans le plus grand respect de tous et chacun. Nous avons tous des responsabilités, c'est à nous de les définir.
Le projet de loi sur l'identité du Parti québécois
Le projet de loi sur l'identité proposée par le Parti québécois n'est pas parfait, tout le monde en convient, Mme Pauline Marois la première. Mais il a au moins un mérite: celui de chercher à définir un certain nombre d'engagements et de principes qui doivent guider non seulement les nouveaux arrivants mais également l'ensemble de la société québécoise. Il faut dire haut et fort que la connaissance du français est essentielle pour quiconque veut vivre au Québec. Les entreprises doivent faire des efforts constants pour franciser leurs manuels et s'assurer qu'il est possible de travailler en français. C'est une question de fierté nationale.
De plus -- et la chose n'est pas nouvelle -- toutes les fois qu'un premier ministre du Québec a voulu donner la priorité à l'usage du français au Québec, il s'est fait rabrouer. Jean Lesage a voulu améliorer la qualité de la langue parlée. Robert Bourassa a fait du français la langue officielle du Québec, et ce, au grand dam de plusieurs membres de son propre parti. René Lévesque a écouté attentivement et surtout observé la patience et l'acharnement d'un Camille Laurin à élaborer la loi 101. Même Claude Ryan n'a jamais renié les acquis de la loi 101, tout en étant préoccupé des droits de la minorité anglophone.
L'objectif premier de cette loi est d'autant plus noble qu'elle se voulait un premier jet pour définir la citoyenneté québécoise d'ouverture. Il nous faut au Québec un gouvernement qui sache défendre et valoriser nos institutions nationales. Mon grand étonnement, ces jours-ci, c'est de voir l'appui que reçoit le projet de loi auprès de mes étudiants, qui me disent simplement: enfin, les règles du jeu sont claires! Le reste relève de leur entière liberté; celle de vouloir vivre ou non en cette terre d'Amérique.
Ce qui nuit le plus au Québec actuellement, c'est l'incapacité maladive de nos élus à prendre des décisions, et ce, à tous les niveaux, du scolaire au municipal. Nous vivons dans un monde de plus en plus mondialisé, et leur indécision contribue à créer un nouveau «retard économique du Québec». Quand nos politiciens comprendront que l'indécision coûte souvent plus cher que la décision, ils auront au moins compris que la rectitude politique n'est pas bonne conseillère. Le Parti québécois a au moins voulu remettre les pendules à l'heure.
Le Québec a besoin d'un coup de barre rapide. J'ose espérer que le «simple» bon sens regagnera de ses galons. Mais, pour cela, il faut deux conditions. La fin immédiate des travaux de la commission Bouchard-Taylor. Les deux commissaires sont assez brillants pour savoir quoi mettre dans leur rapport final. En fait, ce rapport aurait pu être écrit avant que ne débutent les travaux de la commission. Deuxièmement, un premier ministre qui s'inscrit dans la mouvance de tous les premiers ministres du Québec. De ce côté, je désespère comme bien d'autres... mais il faut faire avec! Bref, assez, c'est assez!
***
Guy Lachapelle, Professeur de science politique à l'université Concordia, Secrétaire général de l'Association internationale de science politique
- source
Assez, c'est assez!
La lecture de la «lettre» du premier ministre Jean Charest démontre clairement l'irresponsabilité, sinon le vide intellectuel, qui anime le chef de l'État québécois.
Accommodements - Commission Bouchard-Taylor
Guy Lachapelle9 articles
Professeur de science politique à l'université Concordia, Secrétaire général de l'Association internationale de science politique
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé