Personne ne peut lire dans une boule de cristal et prévoir avec précision quelles seront les conséquences de la crise financière et économique que nous traversons. Déjà pourtant, nous en voyons les effets désolants: aux États-Unis seulement, des millions de personnes n'ont plus de maisons et ont perdu l'argent soigneusement économisé pour pourvoir à leur retraite, alors que l'immense majorité des citoyens devront compenser par les impôts et les taxes les fortunes accordées aux banques pour réparer leurs erreurs. Et il n'est pas trop risqué de dire que cette crise entraînera dans le monde une récession, une augmentation du chômage et beaucoup de misère. Une véritable catastrophe, donc, qui aurait pu aisément être évitée.
Face à cette crise, les experts proposent de nombreuses solutions. Par exemple, nationaliser les banques, avant que les plus fragiles ne disparaissent avec les économies de leurs clients. Réglementer, mettre fin à ce marché en folie, sans foi ni loi, qui, comme toute activité humaine, doit enfin se soumettre à des règles strictes pour fonctionner décemment. Certains, plus audacieux, proposent une taxe sur les transactions financières qui réduirait la spéculation et permettrait de soutirer d'immenses revenus pour les citoyens et les biens publics.
L'ampleur de la crise force à réfléchir sur l'essence même du capitalisme. Sommes-nous en train de vivre un épisode difficile et tumultueux qui laissera d'importants dommages, mais qui disparaîtra naturellement, comme le beau temps vient inévitablement après l'orage? Ou assistons-nous à la fin du capitalisme, ainsi que l'avance le sociologue Immanuel Wallerstein dans Le Monde du 10 octobre: «La situation devient chaotique, incontrôlable pour les forces qui la dominaient jusqu'alors, et l'on voit émerger une lutte, non plus entre les tenants et les adversaires du système, mais entre tous les acteurs pour déterminer ce qui va le remplacer. Je réserve l'usage du mot "crise" à ce type de période. Eh bien, nous sommes en crise. Le capitalisme touche à sa fin.»
Optimisme et pessimisme
Il va de soi qu'une pareille crise exige non pas des solutions passagères, mais une transformation majeure du système économique mis en place ces dernières années. Un tel changement est très difficile. Il nécessite une remise en cause de paradigmes solidement acquis, et le renversement d'une idéologie, le fondamentalisme de marché, comme on renverse un gouvernement qui n'a pas fait son devoir. Mais l'idéologie ne répond pas aux règles de la démocratie et s'incruste profondément dans les mentalités. Elle ne se renverse pas facilement.
L'observateur attentif a autant de raisons d'être optimiste que pessimiste devant la possibilité de changements majeurs dans la gestion de l'économie. Le pessimisme semble d'abord l'emporter. Au cours des 25 dernières années, les chutes dramatiques se sont succédé: crise au Mexique, en Asie du Sud-Est, en Russie, en Argentine, crises boursières, crise de la nouvelle économie. Pourtant, aucune d'entre elles n'a amené de sérieux examens de conscience chez les grands argentiers qui ont continué à reprendre les mêmes politiques et à accumuler de semblables erreurs.
Dans les universités, aucun contre-modèle n'est véritablement offert à l'économie dite «classique», dont les principes ont mené au marasme actuel, au point qu'un groupe d'économistes québécois, défendant une autre vision de l'économie, a déclaré que «seule une large réflexion, pluraliste et contradictoire, peut nous permettre de surmonter l'impasse actuelle et ouvrir sur le plus grand nombre possible d'options de changement social». Rien ne se chasse plus difficilement qu'un apprentissage acquis après de longues années d'études, même si celui-ci ne correspond plus à la réalité. Et d'autant plus s'il sert les intérêts d'une puissante minorité.
Par contre, l'ampleur de la crise est telle, ses conséquences si graves qu'elle exige des mesures de redressement radicales. La quasi-totalité des diagnostics convergent: le problème auquel nous faisons face est directement lié aux principes de base enseignés dans les départements d'économie, selon lesquels, il faut laisser le marché libre, déréglementer à outrance et croire à une utopique autoréglementation. Plus personne ne peut avancer que ces principes fonctionnent. Reste à savoir si l'on saura dorénavant en retenir la leçon. D'autant plus qu'à long terme, une seconde crise se profile: la diminution prévisible du pétrole mettra fin à une économie basée sur la croissance perpétuelle, le gaspillage à outrance et la circulation folle des marchandises.
Démocratiser la gestion de l'économie
La mise en place de solutions durables pour éviter les crises ne se fera pas aisément, ne serait-ce qu'à cause de la profonde collusion entre les chefs d'État, les ministres et l'élite financière, dont les intérêts convergent. Ces gens ne trouveront pas de leur propre chef la volonté d'effectuer les changements nécessaires. Ce qui nous place devant un curieux dilemme, qui soulève un questionnement éthique difficile à résoudre. D'une part, il semble que seule une crise grave, aux conséquences terribles, entraînera les décideurs à prendre des mesures vraiment efficaces pour stabiliser l'économie à long terme. D'autre part, cette crise n'est pas souhaitable, puisqu'elle entraînera une partie importante de la population dans la pauvreté et la misère.
Le mieux aurait été d'appliquer une solide réglementation des marchés financiers bien avant leur présente déliquescence, ainsi que plusieurs économistes considérés comme «subjectifs» -- parce qu'ils tiennent compte, entre autres choses, de facteurs aussi impondérables que la géopolitique! -- l'avaient suggéré. Les troubles actuels ont été causés par l'incapacité flagrante de la classe financière d'apprendre de ses erreurs, emportée dans sa course au profit et par une cupidité qui dépasse l'entendement.
L'important serait donc de rendre l'économie transparente et ouverte à tous. Combien de gens ont découvert, par la présente crise, la complexité des montages financiers, la profonde imbrication des marchés et l'existence de produits explosifs concoctés à l'insu de l'immense majorité de la population? Qui peut prétendre que le principe de la déréglementation a été débattu sur la place publique et a reçu une large approbation? Serait-il possible de rêver d'une vaste démocratisation de la gestion de l'économie, permettant de poser de solides remparts pour protéger les populations de l'irresponsabilité de la classe financière et de ses experts?
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Claude Vaillancourt, Écrivain, Montréal
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