J’ai failli m’étouffer de rire dans mon café hier matin en prenant connaissance de l’éditorial d’André Pratte dans La Presse, intitulé « L’arrogance de Quebecor ». Rien qu’en lisant le titre, je me doutais que nous allions avoir droit à un morceau d’anthologie.
En bon élève des Jésuites qu’il a été, Pratte sait qu’une critique porte d’autant mieux lorsque celui qui la fait prend d’abord la peine de se draper dans la vertu. Et ça marche encore mieux en caractères gras. Regardez-le aller :
« Il est très rare que nous commentions dans cette colonne les faits et gestes de Quebecor, propriétaire du Journal de Montréal, principal concurrent de La Presse. Si nous dérogeons à cette ligne de conduite aujourd'hui, c'est que le président de Quebecor Media a tenu récemment des propos allant à l'encontre de principes qui devraient être chers à tous les médias canadiens, notamment l'indépendance de la presse vis-à-vis du pouvoir politique. » (Les caractères gras sont de La Presse).
Oh le vilain PKP ! Nous de la Presse, l’incarnation même de la vertu, comme chacun sait, nous sommes aujourd’hui contraints de montrer du doigt « ce pelé, ce galeux » (avec mes remerciements à Jean de LaFontaine) qui se moque « des principes qui devraient être chers à tous les médias canadiens ».
Notez la subtilité de l’attaque dans l’utilisation du verbe au conditionnel. En filigrane, si vous ne les respectez pas, ces principes, c’est que vous n’êtes pas vraiment Canadien. Quelle horreur ! Vous n’avez pas honte ? Et vous, Canadiens, haro sur ce baudet !
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Et puis le « boutte du boutte », Tartuffe Pratte lui-même en personne, une caricature de caricature (Tartuffe est déjà une caricature), qui nous sert la tirade de « l’indépendance de la presse vis-à-vis du pouvoir politique ». C’est là que le fou rire m’a pris.
En effet, il faut vraiment se moquer du monde quand on s’appelle Power/Gesca/La Presse et qu’on manipule comme ils le font les pouvoirs politiques pour oser invoquer ce principe. Non seulement les médias sont-ils totalement indépendants des pouvoirs politiques, mais ce sont eux qui les font danser comme des marionnettes.
Au point qu’on observe aujourd’hui une véritable symbiose entre les pouvoirs politiques et la presse, la seconde se faisant d’autant plus volontiers le relais des premiers qu’elle les a dans sa poche. Regardez ici au Québec, regardez au Canada anglais, regardez aux États-Unis, regardez en France. C’est le même manège partout.
Alors il fallait à Pratte « un front d’beû » pas ordinaire pour oser écrire cette phrase, « Quebecor considère-t-elle désormais le pouvoir législatif comme étant à son service, adoptant ou rejetant les projets de loi conformément à ses instructions ? » S’il y a une entreprise au Québec qui mène le jeu politique à sa guise au Québec, c’est bien Power, et le fait de faire une distinction spécieuse en ciblant seulement le pouvoir législatif ne fait pas de nous des dupes pour autant.
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Dans le fond, ce qui dérange Power/Gesca/La Presse, c’est l’arrivée d’un concurrent, Quebecor, qui a parfaitement compris le jeu et qui a décidé de le forcer à son avantage, en jouant des épaules et des coudes. Du coup, Power/Gesca/La Presse, pas du tout habitués à se faire tasser dans les coins, commencent à la trouver moins drôle et craignent de voir leur emprise sur les pouvoirs politiques leur glisser entre les mains.
La concurrence, ça n’a pas que du mauvais. Cela dit, Quebecor ne mérite pas que des félicitations, et elle aurait grand avantage à faire un peu d’autocritique avant de se faire asséner un pavé sur la tête. En affaires, l’opportunisme est une grande qualité, mais lorsqu’il se mêle à la politique, il devient vite puant. Il y a des modèles dont il faut savoir ne pas s’inspirer. Celui de Power, par exemple.
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6 commentaires
Archives de Vigile Répondre
2 janvier 2012Pourquoi André Pratte n'épingle-t-il pas la Montreal Gazette qui partage le même avis que Québécor en ce qui concerne le conseil de presse? Je pense que la mauvaise foi est patente et enrageante. Pratte se foue de la gueule des Québécois.
François Ricard Répondre
21 novembre 2011À New York, lors d’un banquet, le 25 septembre 1880, le célèbre journaliste John Swinton se fâche quand on propose de boire un toast à la liberté de la presse :
« Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! »
Imaginons ce qu'il aurait dit aujourd'hui face aux Péladeau et Desmarais...
Archives de Vigile Répondre
20 novembre 2011Pour ma part, je déplore le fait que l'empire Quebecor ne fasse pas partie du Conseil de Presse.
Au contraire, les gens qui se plaignent sur des articles ou des messages de l'empire Quebecor sont susceptibles d'être poursuivis.
On a vu ce qui est arrivé au Journal de Montréal. Eh bien! dans 2 ans, le même modèle d'affaires va passer comme un train à haute vitesse dans le Journal de Québec.
Archives de Vigile Répondre
19 novembre 2011Pour ma part, je n’accorde que peu de crédibilité au conseil de Presse. Il n’a aucun pouvoir pour empêcher la contamination des rédactions par la ligne éditoriale des médias hyper concentrées. Les journalistes ne sont pas libre dans ce contexte d’exprimer des opinions indépendantes qui iraient à l’encontre de l’idéologie fédéraliste des propriétaires de ces grands médias. Le journalisme est un métier précaire et vulnérable. La grande majorité de ceux-ci travaillent à la pige et ne bénéficient d’aucune protection et donc d’aucune indépendance. C’est une situation pernicieuse qui est très dangereuse pour notre démocratie et les intérêts supérieurs de notre nation.
L’Option Nationale s’engage dans sa plateforme au point 6.7 à mettre sur pied une commission indépendante qui se penchera sur la concentration des médias au Québec et émettra des recommandations au gouvernement. Voilà une mesure audacieuse et courageuse qui mérite d’être soulignée. Déjà, la Commission Kent (1981) avait émise des recommandations précises dans le but de démanteler la concentration médiatique au Canada. En février dernier, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) réclamait au gouvernement Charest une commission parlementaire sur la concentration des médias qui n'a pas été considérée. M. LE HIR, les dés sont pipés mais il faudra, malgré tout, trouver des solutions afin de contrer l’influence malsaine des médias québécois sur notre peuple fragilisé. Elles existent !
Archives de Vigile Répondre
19 novembre 2011Ha que vous travaillez bien !
Pour votre article j'ajouterais que ce sont les voleurs qui ont le plus peur des voleurs. On peut appeler cela, le travail de conscience !
Merci
J.Léger
L'engagé Répondre
19 novembre 2011Un très bon texte!
J'ai particulièrement apprécié la fin...