Alcan fortement convoité

Économie - Québec dans le monde

Les offres se succèdent pour l'achat de la société Alcan. La valeur boursière de celle-ci s'est beaucoup appréciée au cours des derniers mois, à la grande satisfaction des actionnaires, dont la patience fut mise à dure épreuve dans le passé. Les 28 milliards $US proposés par Alcoa en mai 2007 ainsi que les 34 milliards $US maintenant mis sur la table par Rio Tinto suffiront-ils pour acquérir une entreprise devenue fortement convoitée? Quelle pourrait être l'offre supplémentaire de BHP Billiton et des autres au second tour? Les jeux sont ouverts.

Le prix de l'aluminium, qui a plus que doublé depuis quatre ans, explique en partie cette surenchère, dans le contexte d'une demande mondiale en croissance annuelle de 5 à 7 %. Pour les producteurs, la récente consolidation de l'industrie en Russie, d'un côté, et en Chine, de l'autre, accentue évidemment la course à la création d'un géant «occidental».
Dans ce champ concurrentiel, Alcan a hérité, par l'intégration de Péchiney en 2004, d'une technologie AP dont l'efficacité est comparable à celles des alumineries russes et chinoises. Ce facteur technologique, qui attire les regards sur Alcan, s'ajoute à d'autres tels que d'importantes réserves de bauxite, une structure d'actionnariat dispersée, une filiale Emballage Alcan en plein développement, des flux de trésorerie à la hausse. Mais le plus fort attrait actuel de la société Alcan réside largement dans sa dotation en capacité énergétique, nerf de la concurrence de demain.
Rappelons qu'en décembre 2006 Alcan a paraphé une importante entente d'affaires avec Québec. Outre les allégements fiscaux et les avantages financiers obtenus du gouvernement, ce sont surtout les mégawatts (MW) assurés sur une longue période qui ont fait couler le champagne au siège social de New York. De fait, Québec s'est engagé à fournir 573 MW à tarif industriel jusqu'en 2045. Ce qui n'est pas rien, autant par le lot consenti que par l'horizon temporel. [...]
Pour chapeauter ce partenariat déjà alléchant, Québec a reconduit à long terme avec Alcan les droits de propriété et d'utilisation de la majeure partie du bassin hydroélectrique du Saguenay-Lac-Saint-Jean jusqu'en 2056. Un demi-siècle qui sera assurément caractérisé par la forte croissance de la demande énergétique mondiale devant conduire inéluctablement, selon les experts, à une rupture de cette matière première essentielle au développement économique et social.
Pour Alcan, furent obtenus en réalité plus de 2100 MW annuellement pour 50 ans à un tarif de turbinage d'environ 1¢ le kilowatt-heure, soit l'équivalent de 31 % du prix moyen mondial payé par l'industrie. À lui seul, cet octroi du réseau hydrographique du Saguenay-Lac-Saint-Jean offre annuellement à l'entreprise un avantage concurrentiel de quelque 520 à 550 millions en 2004.
Du coup, cette nouvelle entente Québec-Alcan permet à la grande entreprise multinationale d'atteindre globalement 50 % d'autonomie énergétique, soit 4000 MW au total, auxquels s'ajoutent 39 % d'apports électriques contractualisés à long terme. Cette sécurité énergétique à 89 % représente pour Alcan un avantage concurrentiel considérable sur ses rivaux. [...]
Ainsi, l'avantage obtenu de Québec s'avère énorme. En retour, Alcan s'est engagé notamment à mettre au point la récente version de sa fameuse technologie AP, dans une usine laboratoire à construire au complexe industriel de Jonquière. Cette formule AP-50, pour laquelle on anticipe un rendement réel de 15 à 18 % supérieur à l'actuelle AP-35, devrait assurer un leadership technologique mondial pour une décennie.
Un leadership qui va générer des retombées régionales et québécoises sous l'angle d'abord de la mise au point et ensuite de l'exportation de technologies, de savoir-faire et d'équipements. SNC-Lavalin, ses filiales et ses fournisseurs en tireront notamment des bénéfices considérables. En outre, Alcan s'est engagé à établir avant 2014 une nouvelle aluminerie dans la région. Au total, sur 10 ans, ce sont autour de 2,1 milliards qui seront investis au Saguenay-Lac-Saint-Jean, soit une baisse réelle de la moyenne annuelle des investissements régionaux consentis par cette société au cours des deux dernières décennies. Après 2016, rien n'est garanti, tandis que l'approvisionnement en énergie est assuré à l'entreprise jusqu'en 2045 (573 MW) et 2056 (2100 MW).
Étant donné l'absence d'engagements concrets obtenus de la grande société en regard des investissements à moyen terme, de la transformation régionale de l'aluminium, des relations d'affaires avec les services professionnels du milieu, du maintien des activités en amont de la filière ainsi que d'un plancher régional d'emplois à soutenir notamment en R&D, les excellents négociateurs d'Alcan ont clairement démontré le bon fonctionnement de leur stratégie de relations publiques.
Le repositionnement soudain d'Alcan sur le marché mondial fut tel que les négociations alors en cours depuis deux ans à propos de sa fusion volontaire avec Alcoa furent rompues sèchement. Car la valeur anticipée fut modifiée radicalement. Ce qui fut confirmé depuis. Du 11 décembre 2006 au 12 juillet 2007, les actions de cette entreprise se sont appréciées de 79 % à la Bourse de Toronto, très fortement stimulée au passage par l'offre d'achat hostile d'Alcoa en mai 2007. La surenchère pourrait encore se poursuivre.
Le positionnement régional
S'il n'y a pas de crise majeure, la consommation mondiale actuelle d'aluminium doublera vraisemblablement avant 2025, pour passer de 32 à 66 millions de tonnes. Afin de satisfaire la demande, il faudra de nombreuses nouvelles alumineries et beaucoup d'investissements technologiques dans les établissements actuels. [...]
Dans le contexte énergétique actuel, caractérisé par l'épuisement des réserves fossilisées, des limites dans les sources renouvelables ainsi que l'absence de nouveaux apports miraculeux, l'industrie mondiale de l'aluminium fera bientôt face à un problème stratégique d'alimentation en intrants.
À cet effet, la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean s'avère relativement bien positionnée en matière énergétique, non seulement au niveau hydroélectrique mais aussi sous l'angle de l'éolien, de la biomasse, du gaz naturel, voire du solaire éventuellement. Ladite «Vallée de l'aluminium» possède en réalité un avantage comparatif considérable pour son développement, si elle sait bien exploiter cette richesse localisée en amont de la filière industrielle.
En ce sens, l'objectif de maintenir en 2025 son ratio régional actuel de 3 % de la production mondiale semble tout à fait raisonnable. Il faudrait alors doubler la production régionale, se situant autour d'un million de tonnes annuellement. Aux 440 000 tonnes supplémentaires de métal gris déjà prévues par l'entente de décembre 2006, il est possible de prévoir déjà l'établissement d'une nouvelle aluminerie régionale de 600 000 à 700 000 tonnes. Cela nécessitera certes de l'énergie. [...]
Vers une convention régionale de développement
L'enjeu régional réel se situe principalement du côté des retombées régionales concrètes en matière de structuration de la filière industrielle. Le rendez-vous manqué en décembre 2006 ne doit certes pas se répéter au Saguenay-Lac-Saint-Jean, ni ailleurs au Québec.
Dans cet esprit, la récente position officielle de la Conférence régionale des élus, en regard d'un seuil minimal de conditions régionales à respecter par la grande entreprise qui exploite le bassin hydroélectrique, représente un pas sur la bonne voie. C'est-à-dire la voie empruntée actuellement par plusieurs régions de la planète qui prennent en main les véritables leviers de leur développement et signent de véritables conventions avec les grandes sociétés mondiales. [...]
Si les États sont affaiblis par la mondialisation, il apparaît clair que les régions et les villes peuvent venir à la rescousse par l'entremise d'une certaine régulation de proximité, dont les modalités s'inventent progressivement ici et là autour de composantes telles que la stabilité opérationnelle, la formation de la main-d'oeuvre, la R&D, les relations d'affaires avec les services spécialisés, la structuration de filières industrielles et la vie communautaire.


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