Au cours des dernières heures, je me suis surpris à ressentir pour notre premier ministre une émotion qu’il ne m’a pas souvent inspirée. Il s’agit de l’empathie.
Non, mais, mettez-vous à sa place. Après avoir sacrifié son directeur de cabinet et ami pour apaiser ses députés et avoir grossi son conseil des ministres pour éviter de faire des mécontents, voilà que Philippe Couillard doit gérer une nouvelle situation délicate au sein de son caucus.
Et cette fois-ci, ce n’est pas banal. Le parlementaire Guy Ouellette a été arrêté par l’UPAC concernant une affaire de fuite de documents. On en sait encore très peu, mais devant l’absence d’accusations, on comprend mal pourquoi il n’a pas été simplement rencontré par les policiers.
Fier et malcommode
Fort en gueule, l’ancien policier est un homme fier de ses antécédents professionnels, qui ont notamment fait de lui un héros de la guerre contre les motards criminels. Peu discret et réputé pour sa mémoire encyclopédique, il ne manque jamais une occasion de faire étalage de l’étendue des informations auxquelles il a eu ou a encore accès.
Il ne se gênait pas non plus pour afficher son indépendance du gouvernement sur certains enjeux épineux. Arrivé comme candidat vedette en 2007, suivant le retrait de Thomas Mulcair dans Chomedey, il était notoire qu’il était frustré de ne jamais avoir été nommé ministre. Il avait récemment affirmé que le PLQ, son propre parti, cherchait à pousser certains élus, dont lui, vers la sortie.
C’est un député un peu malcommode qui donne aujourd’hui des maux de tête à Philippe Couillard. Le cas de l’ex-agent double Claude Morin nous rappelle que c’est souvent la vanité qui incite à trop parler.
Karma
Mal nanti en instinct politique, Philippe Couillard nous a montré en plus de trois ans de primature qu’il sait très bien installer lui-même les plats dans lesquels il s’apprête à mettre les pieds. Peu doué pour les relations humaines, il n’a pas cette chaleur qui suscite la loyauté de ses députés. Cette fois-ci, toutefois, cette histoire lui tombe dessus sans qu’il n’ait pu y faire quoi que ce soit.
C’est le karma libéral qui rattrape encore le chef de ce parti. N’en finissant plus de chercher à se distancier de l’ère Charest, au point d’avoir eu l’inélégance de ne pas avoir invité son prédécesseur à l’inauguration de la Romaine 3, Philippe Couillard doit néanmoins gérer cet héritage. Quinze de ses ministres ont siégé comme députés sous le règne du flamboyant Sherbrookois, lequel fait présentement l’objet de cette enquête Mâchurer qui tarde tant à aboutir.
Et dans l’absolu, c’est là où se trouve le problème, dans le fait que la montagne n’arrive même pas à accoucher d’une souris. Alors que l’UPAC semble bien occupée à attraper « le bandit » qui a fait couler des documents, elle paraît beaucoup moins pressée de livrer ce qui a motivé sa création, soit d’arrêter les détenteurs de charges publiques corrompus.
À la fin, ça accrédite l’impression que l’UPAC est moins un corps policier qui enquête sur le politique qu’une escouade qui fait de la politique.
Des murmures
Avec cette énième crise, laquelle l’a forcé à se taper le singulier trajet « Chibougamau-Québec-Kuujjuaq », Philippe Couillard doit commencer à trouver le temps long. Déjà, les murmures dans son caucus, qui avaient cessé suivant le remaniement, avaient repris de plus belle dans la foulée du projet de loi 62 ou plutôt de sa défense chaotique par le ministre de la Justice.
Maintenir Stéphanie Vallée en poste avait été l’une des décisions les plus critiquées du dernier remaniement. L’imminence de l’adoption de cette pièce législative avait sans doute motivé le choix de ne pas changer de porteuse de ballon à la ligne des buts. On constate aujourd’hui qu’une recrue mal réchauffée n’aurait pas pu faire pire.
C’est de cela que Philippe Couillard est responsable. Son incapacité à prendre des décisions pour garder le contrôle de son gouvernement. L’affaire Ouellette qui lui tombe dessus n’est pas de sa faute, mais vient renforcer l’impression de désordre qui se dégage de l’équipe libérale.
L’autorité du chef
Habituellement, le parti tout croche, c’est le Parti Québécois. On dirait bien que la chienlit a changé de camp.
Ça vient avec des corollaires, toutefois. Dans les rues de Québec, ça commence à chuchoter qu’à l’occasion du congrès des membres du Parti libéral, les 24, 25 et 26 novembre prochains, Philippe Couillard pourrait faire l’objet d’une contestation historique de son leadership.
Ce n’est pas fait encore, mais il faut faire attention. L’autorité d’un chef n’est jamais plus forte que sa capacité perçue de mener à la victoire. Devant des députés manifestement nerveux suivant la partielle de Louis-Hébert, tout devient possible.