Après avoir vu Alexandre Bissonnette prendre le chemin de la prison pour au moins 40 ans, la communauté musulmane a réclamé haut et fort que la sentence soit portée en appel, estimant la peine trop clémente pour les meurtres de 6 fidèles à la mosquée de Québec. Mais une procédure d'appel pourrait leur laisser un goût encore plus amer.
La défense et la Couronne disposent de 30 jours à compter du jugement pour faire appel de la décision du juge François Huot.
« Quand on va en appel, il y a toujours un danger. D'un côté et de l'autre », avertit l'avocat-criminaliste Charles Levasseur.
« À partir du moment où la Cour d'appel accepte de réviser la décision de première instance, c'est la Cour d'appel qui décide ce qu'elle fait. Elle peut augmenter la peine, elle peut la diminuer. La Cour d'appel est assez souveraine dans ce qu'elle peut faire », observe l'ancien procureur du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) qui pratique maintenant en défense.
Me Rénald Beaudry, qui pratique le droit depuis 37 ans, partage cet avis.
La décision du juge François Huot de réécrire la disposition du Code criminel sur les peines consécutives, la jugeant inconstitutionnelle dans sa forme actuelle, place les parties dans une position délicate, croit Me Beaudry.
Le risque est important, tant pour la défense que pour la poursuite.
« Si la défense y va et que la Cour d'appel [...] rétablit l'article tel qu'il était et donne 75 ans avant qu'il soit éligible aux libérations conditionnelles, évidemment, Bissonnette ne sera pas content », avance Me Beaudry.
« D'autre part, si la poursuite y va et que la Cour d'appel dit oui, c'est inconstitutionnel, mais le juge n'avait pas le pouvoir de réécrire la Loi, donc c'est 25 ans. La poursuite ne sera pas contente non plus », fait aussi valoir l'avocat-criminaliste.
De son côté, l'avocat Jean-François Bertrand croit que c'est la défense qui court le plus grand risque dans une éventuelle procédure d'appel.
« C'est sûr que du côté de la défense, étant donné qu'ils demandaient 25 ans, et que le juge a imposé 40 ans. C'est plus à double tranchant du côté de la défense que de la Couronne », estime Me Bertrand.
L'opinion de la communauté
Malgré le souhait de la communauté musulmane de porter la cause en appel, les avocats s'accordent pour dire que leurs doléances trouveront peu d'échos dans la réflexion des procureurs au dossier.
« Ni la poursuite ni la défense ne tiennent compte de ces critères-là », croit Me Beaudry, puisque les tribunaux supérieurs se penchent sur des questions de « droits purs ».
« Si on n'en vient pas à la conclusion qu'il y a une erreur manifeste et dominante dans l'appréciation des faits, on peut avoir toute la sympathie qu'on veut pour les victimes, s'il n'y a pas d'erreur, il n'y en a pas », renchérit Me Levasseur.
« Digne de la Cour suprême »
Si le droit l'emporte sur l'émotion dans le choix de porter ou non la cause en appel, il ne fait aucun doute pour Me Jean-François Bertrand que le dossier sera révisé par les tribunaux supérieurs « compte tenu de la nature des actes reprochés à l'accusé, compte tenu du précédent ».
Il croit cependant que les avocats devront travailler fort pour trouver une faille dans le jugement « très étoffé, minutieux et chirurgical » pondu par le juge Huot.
Me Beaudry fait un constat similaire : « Le juge Huot a essayé de fermer toutes les portes, c'est pour ça qu'il a réécrit l'article ».
« C'est une décision d'une logique assez implacable qui m'apparaît, en droit, assez irréprochable », croit pour sa part Me Charles Levasseur.
Me Jean-François Bertrand qualifie même le document de 246 pages de « jugement digne de la Cour suprême ».