Adam et Ève au musée créationniste

Nouvel Ordre mondial


Petersburg, Kentucky - Adam et Ève sont nus, plantés jusqu'à la taille dans un bassin d'eau fraîche. Adam est barbu et musclé. Ève a les seins pudiquement recouverts de ses longs cheveux marron. Le couple se regarde dans les yeux avec toute l'intensité dont sont capables deux poupées Barbie grandeur nature.


La scène est idyllique. Elle précède le péché. La pomme. Le serpent. Un écriteau informe les visiteurs qu'elle s'est produite il y a 6000 ans.
Plus loin, un tyrannosaure robot claque de la mâchoire et crie comme un enfant perdu dans un centre commercial. Dans la pièce voisine s'élève une réplique «grandeur nature» de l'arche de Noé. Une animation diffusée en boucle sur des écrans plats informe les visiteurs que Dieu a créé les millions d'étoiles «en un instant, pour célébrer sa gloire».

Visiter le musée créationniste qui a ouvert ses portes le mois dernier en banlieue de Cincinnati, c'est entrer dans un univers parallèle. On en émerge avec un sourire aux lèvres ou un mal de ventre, selon ses croyances.
Certains affirment que le musée, construit par le groupe fondamentaliste Answer in Genesis au coût de 27 millions de dollars, est une réalisation exceptionnelle. D'autres, qu'il s'agit d'une aberration élevée à la gloire de l'obscurantisme religieux made in U.S.A. (Un musée créationniste de moindre envergure et qui n'est pas lié à celui de Petersburg vient aussi d'ouvrir en Alberta.)
Chose certaine, d'un point de vue scientifique, rien de ce qui est présenté n'a la moindre crédibilité. Nourrir la raison humaine n'est d'ailleurs pas l'objectif des responsables du musée. Leur slogan est visible partout, imprimé sur les billets d'admission comme sur les chemises des employés: "Prepare to believe" (Préparez-vous à croire).
Respecter la Bible

Une cinquantaine de personnes font la file devant le musée en ce samedi matin ensoleillé. Des familles surtout, des gens bien habillés et souriants. Si Ned Flanders, le voisin religieux de Homer Simpson, décidait d'ouvrir un musée, le résultat se rapprocherait sans doute du musée créationniste.
«Nous sommes venus par curiosité, explique Tom O'Brien, originaire de Cincinnati, qui fait la file avec sa femme, Sue, et ses deux enfants. Ça vient d'ouvrir, et nous voulions voir de quoi il retourne. Il paraît que c'est très bien fait.»
Le créationnisme, dit-il, permet d'expliquer l'origine de la vie tout en respectant les écrits de la Bible. «Je crois que Dieu a quelque chose à voir dans tout ça. Je ne crois pas que les humains soient arrivés par accident.»
Il faut débourser 20$ pour entrer, mais vous avez droit à un rabais de 5$ si vous remplissez une fiche avec votre adresse et votre courriel et si vous autorisez les gens du musée à communiquer avec vous ultérieurement. Answer in Genesis souhaite faire de nouveaux adeptes, et cela semble fonctionner. Tous les visiteurs remplissent la fiche.
Depuis l'ouverture du musée, le mois dernier, son fondateur, Ken Ham, répète sur toutes les tribunes qu'il n'y a pas qu'une façon de voir l'histoire de la Terre et de l'humanité. «Nous voulons montrer aux gens que la Bible est le meilleur point de départ pour trouver la vérité. Nous ne croyons pas en l'évolution, nous ne croyons pas aux millions d'années, et nous avons maintenant un musée pour diffuser notre point de vue», dit-il.
La visite débute par une série de tableaux qui présentent la Bible et la «raison humaine» comme deux façons d'appréhender le monde, deux choix qui s'offrent à l'homme. «Les faits sont les mêmes, mais les points de départ sont différents. Pourquoi?» interpelle un panneau explicatif.
Les visiteurs apprennent que chaque mot du livre de la Genèse, le premier livre de la Bible, doit être pris au pied de la lettre. On apprend ensuite que le Grand Canyon s'est creusé en l'espace de quelques jours, et non durant cinq ou six millions d'années comme le croient les géologues.
Plus loin, les visiteurs entrent dans un lieu qui imite une ruelle sale et mal éclairée. Sur les murs de brique, des graffitis et des coupures de journaux alarmistes traitant du sida, du mariage gai, de la famine, du divorce... Une voix résonne: «Un tiers des grossesses se terminent par un avortement aux États-Unis... Est-ce la volonté de Dieu?»
Plus le visiteur avance, plus l'objectif du musée devient clair: tout ce qui est associé à la Bible et au créationnisme est resplendissant, apaisant et ordonné. Tout ce qui est associé à la «raison humaine» et à la science sans Dieu est lugubre et donne froid dans le dos. L'homme a rejeté Dieu pour embrasser la science, et voilà le résultat.
Il faut une bonne heure et demie pour faire le tour du musée. Avant de sortir, les visiteurs doivent d'abord traverser la boutique de souvenirs, qui regorge d'objets et de livres portant sur le créationnisme.
Près de la caisse, une famille se fait photographier devant une grande toile verte. La photo apparaît à l'écran d'un ordinateur. Les enfants peuvent ensuite choisir l'image qui sera imprimée en arrière-plan: Adam et Ève, les dinosaures ou l'arche de Noé remplie d'animaux, bravant les flots du déluge.
Critique du Vatican
Les critiques du mouvement créationniste sont nombreuses, et la plus intéressante vient... du Vatican.
L'Église catholique rejette depuis des années le créationnisme, considéré comme une « interprétation erronée» du message de la Bible.
Le frère Guy Consolmagno, astronome du Saint-Siège, met les croyants en garde contre les créationnistes, qui entretiennent «un mythe destructif» voulant que la science et la Bible constituent deux façons de voir la formation du monde.
«Le créationnisme est une forme de superstition... Le Dieu des chrétiens est un Dieu surnaturel. Ce n'est pas lui qui est responsable du tonnerre et des éclairs... Oui, la raison humaine peut être dangereuse, mais l'ignorance l'est également», a-t-il dit lors d'une entrevue le mois dernier.
Durant son pontificat, Jean-Paul II avait lui aussi rejeté le créationnisme, affirmant que l'évolution des espèces était «plus qu'une hypothèse».
Or, dans l'esprit de millions d'Américains, les croyants qui défendent la théorie créationniste sont tout sauf farfelus. Un récent sondage révèle que 40% des Américains sont favorables aux idées avancées par le musée créationniste. Un nombre équivalent y est défavorable.
Lawrence Krauss, professeur de physique à l'Université de Cleveland, estime que les créationnistes font preuve d'hypocrisie en utilisant des méthodes de haute technologie pour attaquer la science. «Ils font des pieds et des mains pour que ça ait l'air scientifique. Au lieu de tourner le dos aux percées scientifiques, ils emploient la science pour induire le public en erreur, et c'est malhonnête.»
M. Krauss craint que les écoles ne décident d'envoyer les enfants à ce musée. «Il ne faut pas que des fonds publics servent à envoyer des jeunes là-bas. C'est une fraude intellectuelle, et ça ne doit pas être encouragé par le système d'éducation.»


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