Accommodements raisonnables ou non, multiculturalisme, tensions entre immigrés et population majoritaire de souche... Partout ou presque, les nations du monde occidental, les pays d'Europe et d'Amérique, sont traversés par un questionnement, un doute sur leurs modèles d'intégration.
En Italie, certaines municipalités envisagent de créer des plages réservées aux femmes musulmanes, tandis qu'au nord du pays se déploient des milices informelles et illégales, nommées Chemises vertes, inspirées des minutemen américains qui patrouillent près de la frontière mexicaine et y traquent les immigrants illégaux.
En France, pays de «l'intégration républicaine» pure et dure, pays des individus officiellement égaux et indifférenciés devant l'État, pays où l'on refuse mordicus la compilation de statistiques «ethniques» (alors que ces statistiques sont monnaie courante au Canada ou aux États-Unis), le communautarisme connaît aujourd'hui de remarquables avancées, et les «accommodements» y sont plus que jamais à l'ordre du jour.
Dans certaines villes, on organise des horaires spéciaux dans les piscines publiques pour accueillir les fidèles plus zélés de certaines religions. Dans des hôpitaux français, des incidents sont rapportés qui mettent en scène le personnel médical et des patients (ou leurs familles) qui veulent appliquer de façon stricte la religion musulmane.
Nicolas Sarkozy, candidat de la droite aux présidentielles d'avril et mai, se défend d'encourager le communautarisme. Mais c'est lui qui a érigé les autorités musulmanes du pays en interlocuteurs de l'État, avec la création, en 2003 et avec son aval, du Conseil français du culte musulman. Il se trouvait ainsi à reproduire de façon embryonnaire le communautarisme qui est une pratique et un dogme d'État au Canada et dans quelques autres pays anglo-saxons.
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On peut multiplier les exemples... À Berlin, le début, il y a quelques semaines, de la construction d'une première mosquée dans la partie Est de la ville a suscité la controverse. Les Espagnols, dont la terre a longtemps été, comme l'Italie, source d'émigrants et non pas lieu d'immigration ou de refuge, découvrent une réalité inédite avec les attentats islamistes de Madrid (2004) et l'arrivée en masse d'immigrants illégaux d'Afrique de l'Ouest (2006).
Et puis il y a la Grande-Bretagne, haut lieu avec le Canada de l'expérience multiculturaliste moderne, qui est aujourd'hui traversée par l'angoisse et le doute. Les attentats de juillet 2005 ont été pour beaucoup de Britanniques un dur réveil, avec la découverte de filières terroristes islamistes endogènes. Des filières qui avaient recruté parmi les immigrants -- et enfants d'immigrants -- mal intégrés, refusant les valeurs du pays censé être le leur...
L'intime conviction -- ô combien anglaise -- de beaucoup de Britanniques, selon laquelle ils ont, au chapitre de l'intégration pluriethnique, un modèle intrinsèquement supérieur à tous les autres de la Terre, est aujourd'hui mise à mal. Plusieurs personnages publics, comme l'ancien ministre des Affaires étrangères Jack Straw, déclarent publiquement qu'il faut revoir le multiculturalisme. Selon Straw, ce dogme est porteur du «développement séparé des diverses communautés», et il est «grand temps de débattre de ce sujet».
Ironie: alors que le modèle républicain français touche ses limites et laisse se développer en son sein des embryons de communautarisme, le grand pays du multiculturalisme et du laisser-faire culturel s'interroge à l'inverse sur les vertus du républicanisme à la française, avec la Nation et l'État vus comme des machines à intégrer les individus, et non pas comme de vagues lieux d'arbitrage entre des communautés infranationales toujours plus fortes, toujours plus revendicatives.
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Pratiquement aucune nation occidentale, petite ou grande, n'échappe à ce grand brassage du XXIe siècle, aux interrogations politiques qu'il charrie. Il est un petit pays d'Europe assez peu connu -- 16 millions d'habitants sur un territoire qui ne représente que 2 % de celui du Québec -- lui aussi aux prises, et de la plus tragique façon, avec la réalité de l'immigration de masse et des doutes croissants sur la cohabitation pluriethnique. Un pays, nommé Pays-Bas, qui n'est pas anglo-saxon mais qui a porté très loin l'expérience du multiculturalisme.
En 2004, à Amsterdam, l'assassinat du cinéaste iconoclaste Theo Van Gogh par un jeune intégriste qui entendait se venger des invectives antimusulmanes de l'artiste, a donné lieu à un grand reportage écrit, doublé d'une pénétrante réflexion: c'est le livre On a tué Theo Van Gogh du journaliste Ian Buruma, qui vient de paraître en français chez Flammarion, et dont on ne saurait trop recommander la lecture.
Selon Buruma, l'affrontement entre les Lumières et l'islam politique radical qui profite à fond du multiculturalisme occidental pour gagner du terrain est grave, mais pas forcément insoluble. Selon lui, la solution, si elle existe, doit se trouver quelque part entre les modèles français et britannique:
«Entre l'idéal républicain français et l'idéal multiculturel néerlandais ou britannique, il y a un point commun: les deux constituent un alibi parfait pour ne pas traiter le problème de l'intégration. En France, les discours nient délibérément l'existence des différences au nom du principe de la "citoyenneté pour tous". Quant au multiculturalisme classique, il se résume à une formule: laissez-les vivre.»
Ces dogmes semblent avoir vécu, il faut donc chercher ailleurs. Le Canada s'en rend-il compte?
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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com
Accommodements
Accommodements - Commission Bouchard-Taylor
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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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