Le journal Le Soir a décrit hier un long scénario dont, dit-il, les grandes lignes sont un secret de polichinelle. Albert II, qui aura 78 ans cette année, abdiquerait le 21 juillet 2013. Si, du moins, le parti nationaliste flamand NVA ne faisait pas un bond trop spectaculaire aux élections communales de cette année en octobre. L'année 2013 serait une année de non-élection et donc une année opportune pour abdiquer et transmettre ainsi automatiquement les prérogatives royales à son fils Philippe un peu comme s'il mourrait. Celui-ci deviendrait Philippe I après avoir juré fidélité à la Constitution et aux lois devant les Chambres réunies.
Pourquoi une telle émotion?
Si cet article du Soir a suscité un grand débat à la RTBF hier dans l'émission radio Face à l'Info, débat qui sera prolongé à l'émission de débat dominicale de ce 4 mars, ce n'est pas parce que cet article serait plein de révélations. Mais parce que le journal bruxellois pose sur cinq pages, en évoquant le «scénario», le vrai problème qui est celui de la monarchie en Belgique. Surtout en raison de l'incapacité (de notoriété générale), du Prince héritier à lui succéder. Bien que n'étant pas royaliste, je dois avouer que je suis gêné à la place de Philippe et de son épouse : cette incapacité est étalée dans tous les journaux et dans tous les médias, même pas parfois face à une position adverse. Alors que pourtant parler de la monarchie a été longtemps tabou dans l'Etat belge. Notamment parce que la monarchie belge est supposée faire l'unité du pays. Même si cette proposition n'émet qu'une croyance d'une partie de la population qui ne repose que sur elle-même. On sait en effet que de 1940 à 1950, le quatrième roi des Belges, le roi Léopold III, le père du roi actuel, entraîna le pays dans une division mortelle en raison de son obstination à vouloir rester sur le trône. Accommodant avec la présence allemande en Belgique occupée, conduit en Allemagne peu après le débarquement allié en Normandie en juin 1944, il ne fut pas présent lors de la libération du pays. On apprit sa libération le lendemain de la capitulation allemande en mai 1945. Très vite les socialistes, les communistes, le syndicat FGTB émirent l'opinion que le roi ne pouvait plus être le chef de l'Etat belge. Des émissaires de tous les partis lui dirent que son retour provoquerait une révolution en Wallonie. Il temporisa. Au bout du compte un référendum consultatif fut organisé en mars 1950. Si le roi recueillit 70% de oui en Flandre, il n'obtint pas la majorité à Bruxelles et encore moins en Wallonie où trois des cinq provinces wallonnes actuelles et l'arrondissement de Namur s'opposèrent à son retour (ce référendum est celui de l'impossibilité de la Belgique et la Wallonie l'a gagné!). Mais le roi, pour l'ensemble du pays (en raison du poids démographique flamand, les Flamands ont toujours été majoritaires en Belgique), obtenait 57 % de suffrages favorables. Il revint finalement au pays le 22 juillet 1950.
Le 18 juillet un député socialiste modéré, Léo Collard, déclara que la Wallonie était «menacée d'un mouvement incontrôlable et irrationnel de nature morale et psychologique» (Annales parlementaires, session chambres réunies, 18/7/1950 cité par Paul Theunissen, 1950, le dénouement de la question royale, Complexe, Bruxelles, 1986, p. 88.) Le 22 et le 23 cette prédiction s'accomplissait. Dans la nuit du 31 au 1er août le gouvernement forçait le roi à annoncer qu'il abdiquerait en faveur de son fils, Baudouin I. La menace d'une marche des Wallons vers Bruxelles était bien réelle mais aussi celle d'une sécession de la Wallonie
Autre raison de l'émotion
Ce bref rappel nous conduit à la deuxième raison de l'émotion. C'est le fait que la NVA est non seulement nationaliste mais républicaine et est aujourd'hui le plus important parti flamand. On estime qu'il «vaudrait mieux» que le roi meure et que le pouvoir se transmette de cette manière à son fils, l'émotion provoquée par sa mort empêchant probablement la NVA de réclamer la République, ce qui pourrait mieux se concevoir si la passation des pouvoirs se faisait du vivant du roi actuel soit sans cette émotion liée à la mort du Chef de l'Etat.
Il est clair en effet que le roi des Belges (et la monarchie), en Flandre, tout en étant moins populaires qu'en 1950, y gardent de fidèles appuis dans la population. Comme d'ailleurs le sentiment belge. On dit souvent le contraire et ma réflexion ici même ne le met pas en cause mais veut le relativiser. Il est certain que la Wallonie, elle, est moins antiroyaliste (moins républicaine) qu'en 1950, moins prête à assumer jusqu'au bout son autonomie que voici 60 ans dans le contexte passionnel d'une après-guerre et alors que la Wallonie était encore en pleine santé économique et en plein dynamisme social.
Il ne faut pas oublier non plus que l'actuel Premier ministre belge, le socialiste wallon Elio Di Rupo, est sans doute la personnalité socialiste la plus belgicaine et la plus royaliste de toute notre histoire. Lors de la première réunion du gouvernement qu'il préside il a même osé déclarer : «Nous devons tout faire pour soutenir les partis flamands de la majorité, pour leur faire gagner les prochaines élections. Nous devons être parfaitement conscients que leur position n'est pas facile. Nous leur sommes redevables de l'effort qu'ils ont fait.» » Il visait par là les partenaires libéraux, démocrates-chrétiens et socialistes flamands qui sont minoritaires en Flandre face à la NVA et à l'extrême-droite et qui redoutent un raz de marée électoral NVA en octobre 2012. Bref tout le monde a peur de la NVA.
La positionnement wallon
La Wallonie, elle, ne fait plus peur comme en 1950. Ses dirigeants se préparent cependant activement à assumer les nouvelles responsabilités que l'actuelle réforme de l'Etat va leur transmettre. Elle se prépare aussi à l'échéance 2022, année à laquelle les mécanismes de solidarité entre entités fédérées belges seront diminués et même supprimés dans une large mesure. La Wallonie ne menace certainement plus la monarchie, les dirigeants des partis que les Wallons portent au pouvoir étant sur ce sujet d'un conformisme navrant et d'ailleurs sans doute inutile. Il est vrai que le roi est sur l'échiquier politique belge une pièce qui compte. Mais moins que les peuples qui constituent l'essentiel du pays, les Wallons et les Flamands en marche avec les Bruxellois vers une autonomie de plus en plus accrue, comportant d'ailleurs, ce qui est unique au monde, la pleine présence sur le plan international comme on l'a encore vu la semaine qui vient de s'écouler lors de la visite du Président wallon aux Pays-Bas où il fut accueilli par le Premier ministre hollandais, que l'on peut considérer comme son homologue. Les Français font évidemment plus de manières et ne visibiliseraient nullement de cette façon la rencontre entre le Président wallon et le Premier ministre français. Pourtant, c'est bien la rencontre entre la Wallonie et la Hollande cette semaine qui dit la vérité des choses, encore mal comprises et mal réalisées surtout par l'opinion wallonne. Elle ne devrait absolument pas regretter une Belgique qui lui a fait le plus grand tort sur le plan économique. D'ici dix ans, il n'est d'ailleurs pas du tout impossible que la conscience wallonne grandisse. Il existe à cet égard un un phénomène de lente maturation. A la Foire du Livre de Bruxelles, le visiteur tombait dès son entrée sur les stands de la Région bruxelloise et celui bien plus grand de la Wallonie avec notamment les publications de l'Institut du patrimoine wallon. On pouvait rencontrer dans Bruxelles des enfants qui y avaient accepté le petit drapeau wallon de papier distribué par cet exposant. Ce ne sont pas des indices négligeables. Et de toute façon si la possibilité d'une victoire électorale NVA est probable sans être certaine en octobre de cette année, il ya quelque chose de plus sûr.
Ce qui est certain, c'est que la Flandre n'est pas «menacée d'un mouvement incontrôlable et irrationnel de nature morale et psychologique» à partir d'octobre 2012. Il n'est pas non plus pertinent d'opposer, comme on le fait souvent, l'actuel royalisme (ou prétendu tel), de la Wallonie aujourd'hui par rapport à sa conduite insurrectionnelle de 1950. En 2004 L'Avenir posait la question de savoir Si votre région devient un Etat indépendant souhaitez-vous qu'elle soit une monarchie ?
La Flandre répondait une monarchie à 47%, la Wallonie une monarchie à 46 %. Certes il y a d'autres indications dans ce sondage moins favorables à la thèse d'une Wallonie moins royaliste. Mais voilà, il y a aussi une volatilité des opinions publiques mesurées aujourd'hui minute par minute ce qui empêche souvent de recourir à la seule mesure réelle des choses qui est précisément la «force des choses». Et l'existence de la Belgique n'est pas suspendue à une victoire ou non de la NVA dans les patelins flamands en octobre de cette année. Encore moins l'existence d'une Wallonie qui va son chemin. Et n'est pas nécessairement plus royaliste que le 18 juillet 1950. Et la Wallonie n'est pas moins la Wallonie. Dans le numéro zéro d'un hebdomadaire qui veut se lancer (Marianne Belgique), des jeunes journalistes écrivent : «Que ce pays soit une monarchie constitutionnelle importe peu : la triade républicaine - Liberté, Egalité, Fraternité - s'en accommode sans peine.» D'accord, sauf que la disparition de la monarchie permettrait quand même d'éclaircir la situation et d'éviter un problème inutile avec Philippe sur le trône.
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1 commentaire
Christian Gagnon Répondre
3 mars 2012Pourquoi l'amateur d'intrigues insolubles et de suspense insoutenable se donnerait-il le mal d'écouter des téléromans peu crédibles alors qu'il peut simplement suivre l'actualité politique belge? Décidément,la Belgique est à l'angoisse existentiellle ce que la Grèce est au funambulisme budgétaire.