On va à l’école pour apprendre. Et pour apprendre, il faut des livres. Il en est ainsi depuis l’invention de l’écriture. Même dans l’Antiquité, bien avant l’imprimerie, on n’apprenait pas sans livres. À la fin du Bas Empire, la seule ville de Rome comptait déjà une trentaine de bibliothèques. Il revient évidemment au maître d’indiquer à l’élève ce qu’il devra lire. Sans ces lectures, pas d’éducation, pas d’approfondissement des connaissances, pas d’école. C’est tout bête.
C’est ce que je croyais jusqu’à ce que j’apprenne dans un article étonnant (Le Devoir du 12 décembre 2016) qu’un groupe d’élèves de 5e secondaire avait refusé de lire le livre qui leur avait été désigné. On imagine que ce choix n’avait pas été fait à la légère et qu’il reposait sur une connaissance des programmes. Or, ce livre n’était pas n’importe quel livre. C’était 1984 de George Orwell.
Passons sur le fait invraisemblable que 50 ignares, comme ça un beau matin, lèvent le nez sur un chef-d’oeuvre de la littérature mondiale. Contester un livre qu’on n’a pas lu, n’est-ce pas une forme de barbarie ? Dans une institution digne de ce nom, ces élèves auraient été rappelés à l’ordre, reçu un zéro pointé ou été invités à reprendre leur cours. Mais ce qui étonne tout autant, dans cette anecdote, c’est qu’on y évoque Orwell comme si celui-ci n’était que le visionnaire d’une société de la surveillance et de la multiplication des caméras.
Or, s’il y a une urgence aujourd’hui à relire Orwell, ce n’est pas tant pour cette raison assez banale. Certes, Orwell décrit dans 1984 une société où chacun est filmé en permanence. Mais cet « anarchiste conservateur » fut d’abord et avant tout l’un des tout premiers penseurs du totalitarisme qui a décimé le XXe siècle. Longtemps boycotté par la gauche française, Orwell fut parmi les premiers à souligner que le totalitarisme pouvait aussi se décliner à gauche. Soixante-sept ans après sa mort, Orwell reste une arme tranchante contre tous les conformismes de droite, bien sûr, mais aussi contre ceux de la gauche bien-pensante qui dominent largement nos sociétés démocratiques.
Ce n’est pas un hasard si de nombreux auteurs actuels, notamment de gauche (comme le philosophe français Jean-Claude Michéa), ont senti le besoin de redécouvrir cet essayiste qui refusait de se considérer comme un romancier. C’est qu’Orwell est le symbole d’une gauche aujourd’hui pratiquement disparue. Une gauche capable d’être à la fois antitotalitaire, patriote et de se tenir loin des idéologies. Il lui en faudra du courage pour se dresser seul contre le communisme, la pensée dominante de la gauche snobinarde de son époque. Il n’est pas étonnant que ceux qui s’insurgent contre la nouvelle religion multiculturelle qui imprègne la gauche d’aujourd’hui le citent en exemple.
Car Orwell cultivait aussi une autre qualité. Un attachement viscéral aux classes populaires et à ce qu’il nommait la « décence élémentaire » (common decency) et que l’on pourrait interpréter comme un sentiment d’appartenance, et même de responsabilité, face à l’héritage culturel et moral du passé. C’est cette « fierté de nos limites »,dirait Camus, qui l’empêcha de sombrer, comme tant d’autres, dans le communisme et de ressembler à cette « race d’êtres éclairés uniquement occupés à paresser au soleil et à se féliciter d’être si supérieurs à leurs ancêtres ». Bien avant les bobos, Orwell avait dénoncé le « snobisme » d’une gauche incapable de résister aux modes et à l’idéologie du progrès. Son exemple devrait aujourd’hui nous garder des idéologies de la table rase et des fuites en avant qui vont de la repentance tous azimuts au mythe prométhéen de la suppression des sexes.
Mais si la pensée d’Orwell n’a pas pris une ride, c’est parce que ce journaliste dans l’âme avait bien senti que tous les totalitarismes s’imposaient d’abord par la langue. C’est cela, 1984 : la fabrication d’un homme déshumanisé par la censure de certains mots et l’apprentissage de la « novlangue ». La novlangue imaginée par Orwell parlait de « crimesex », d’« ancipensée » et de « penséepol ». Celle d’aujourd’hui se conjugue en « non-voyants », « vivre ensemble » et autres « diversités » évidemment… « durables ».
On a rarement connu une langue plus contrôlée par les ligues de vertus que celle d’aujourd’hui. Des lobbies antiracistes aux groupes de défense de toutes les minorités. Une féministe française appelait d’ailleurs cette semaine « l’État à reprendre la main sur le dossier du langage non sexiste » (Le Devoir du 4 janvier 2017). On en frémit ! Programmer l’individu en lui imposant des mots et en censurant les autres. Orwell avait tout compris. Il serait probablement renversé de découvrir qu’il existe au Québec un ministre responsable des « saines habitudes de vie ».
À l’origine, l’auteur de 1984 voulait appeler son roman Le dernier homme en Europe.Son éditeur n’a pas voulu. Il avait aussi proposé 1948 (date de sa parution). Même réponse de l’éditeur, qui trouvait cela trop pessimiste. N’en déplaise à quelques ignares, et peut-être même à cause d’eux, on pourrait presque l’appeler… 2017.
On va à l’école pour apprendre. Et pour apprendre, il faut des livres. Il en est ainsi depuis l’invention de l’écriture. Même dans l’Antiquité, bien avant l’imprimerie, on n’apprenait pas sans livres. À la fin du Bas Empire, la seule ville de Rome comptait déjà une trentaine de bibliothèques. Il revient évidemment au maître d’indiquer à l’élève ce qu’il devra lire. Sans ces lectures, pas d’éducation, pas d’approfondissement des connaissances, pas d’école. C’est tout bête.
C’est ce que je croyais jusqu’à ce que j’apprenne dans un article étonnant (Le Devoir du 12 décembre 2016) qu’un groupe d’élèves de 5e secondaire avait refusé de lire le livre qui leur avait été désigné. On imagine que ce choix n’avait pas été fait à la légère et qu’il reposait sur une connaissance des programmes. Or, ce livre n’était pas n’importe quel livre. C’était 1984 de George Orwell.
Passons sur le fait invraisemblable que 50 ignares, comme ça un beau matin, lèvent le nez sur un chef-d’oeuvre de la littérature mondiale. Contester un livre qu’on n’a pas lu, n’est-ce pas une forme de barbarie ? Dans une institution digne de ce nom, ces élèves auraient été rappelés à l’ordre, reçu un zéro pointé ou été invités à reprendre leur cours. Mais ce qui étonne tout autant, dans cette anecdote, c’est qu’on y évoque Orwell comme si celui-ci n’était que le visionnaire d’une société de la surveillance et de la multiplication des caméras.
Or, s’il y a une urgence aujourd’hui à relire Orwell, ce n’est pas tant pour cette raison assez banale. Certes, Orwell décrit dans 1984 une société où chacun est filmé en permanence. Mais cet « anarchiste conservateur » fut d’abord et avant tout l’un des tout premiers penseurs du totalitarisme qui a décimé le XXe siècle. Longtemps boycotté par la gauche française, Orwell fut parmi les premiers à souligner que le totalitarisme pouvait aussi se décliner à gauche. Soixante-sept ans après sa mort, Orwell reste une arme tranchante contre tous les conformismes de droite, bien sûr, mais aussi contre ceux de la gauche bien-pensante qui dominent largement nos sociétés démocratiques.
Ce n’est pas un hasard si de nombreux auteurs actuels, notamment de gauche (comme le philosophe français Jean-Claude Michéa), ont senti le besoin de redécouvrir cet essayiste qui refusait de se considérer comme un romancier. C’est qu’Orwell est le symbole d’une gauche aujourd’hui pratiquement disparue. Une gauche capable d’être à la fois antitotalitaire, patriote et de se tenir loin des idéologies. Il lui en faudra du courage pour se dresser seul contre le communisme, la pensée dominante de la gauche snobinarde de son époque. Il n’est pas étonnant que ceux qui s’insurgent contre la nouvelle religion multiculturelle qui imprègne la gauche d’aujourd’hui le citent en exemple.
Car Orwell cultivait aussi une autre qualité. Un attachement viscéral aux classes populaires et à ce qu’il nommait la « décence élémentaire » (common decency) et que l’on pourrait interpréter comme un sentiment d’appartenance, et même de responsabilité, face à l’héritage culturel et moral du passé. C’est cette « fierté de nos limites »,dirait Camus, qui l’empêcha de sombrer, comme tant d’autres, dans le communisme et de ressembler à cette « race d’êtres éclairés uniquement occupés à paresser au soleil et à se féliciter d’être si supérieurs à leurs ancêtres ». Bien avant les bobos, Orwell avait dénoncé le « snobisme » d’une gauche incapable de résister aux modes et à l’idéologie du progrès. Son exemple devrait aujourd’hui nous garder des idéologies de la table rase et des fuites en avant qui vont de la repentance tous azimuts au mythe prométhéen de la suppression des sexes.
Mais si la pensée d’Orwell n’a pas pris une ride, c’est parce que ce journaliste dans l’âme avait bien senti que tous les totalitarismes s’imposaient d’abord par la langue. C’est cela, 1984 : la fabrication d’un homme déshumanisé par la censure de certains mots et l’apprentissage de la « novlangue ». La novlangue imaginée par Orwell parlait de « crimesex », d’« ancipensée » et de « penséepol ». Celle d’aujourd’hui se conjugue en « non-voyants », « vivre ensemble » et autres « diversités » évidemment… « durables ».
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