La nation au sens Étatique, juridique soulève de nombreux problèmes pour les sociétés qui se fédèrent (1) . L’analyse de maître Christian Néron illustre les difficultés qu’ont éprouvées les parlementaires de l’époque.
Il n’y a aucun doute que l’adhésion de George Brown au principe fédéral «a été déterminant». C’est certain. Il en fut tout autant pour George Étienne Cartier : Néron dixit :
Le rôle de George-Étienne Cartier a aussi été déterminant, mais plus circonstanciel et plus passif. Sans le rapprochement politique provoqué par Brown et accepté par Cartier en juin 1864, la Constitution de 1867 n’aurait jamais existé, mais la planète aurait sans doute continué à tourner ! Il y aurait certainement eu un autre arrangement constitutionnel quelques années plus tard, mais pas la constitution ne mise en vigueur le 1er juillet 1867, et qui nous gouverne depuis ce temps.
En mettant à part l’histoire hypothétique, maître Néron a raison de signaler que Cartier a eu la lucidité de rejeter l’union législative plus contraignante pour les Canadiens français qu’une union fédérale. elon l’historien Maurice Séguin :
CARTIER ET L'IMPORTANCE DE L'ÉTAT PROVINCIAL (2)
Cartier aura la lucidité de comprendre que ce régime fédéral est supérieur au régime d'union législative dans lequel vivait le Canada-Est, car ce Canada-Est n'avait même pas son propre budget.
Il faut avoir presque de l'admiration pour Cartier qui aura la lucidité de répondre à ses adversaires, qui s'effraient de voir de si grands pouvoirs concentrés dans le gouvernement central, qu’en rejetant l'union fédérale, ils risquent de tenir le Canada-Français dans l'union législative. Cartier leur répond que le Canada-Français est déjà, sous l'union, en minorité au sujet de tous les grands pouvoirs que le projet d'union fédérale laissera au gouvernement central. À la suite de Cartier, des députés du Haut-Canada se scandalisent de voir des Canadiens-Français refuser un gouvernement provincial où le Canada-Français devient en majorité.
UNE NATION BRITANNIQUE AVEC UN ÉTAT COMPLET À L'ÉCHELON NATIONAL ET PROVINCIAL (3)
L'union fédérale de 1867 n'est que l'union législative de 1841 améliorée qui contribue à consolider la prépondérance britannique dans l'exercice des grands pouvoirs.
UNE NATION CANADIENNE FRANÇAISE, AVEC UN DEMI-ÉTAT PROVINCIAL (4)
Les Canadiens français ne sont pas entrés dans l'union fédérale. Les Britanniques ont dû les faire tomber. Tombé dans l'annexion sous l'union législative de 1841, le Canada français remonte légèrement vers une annexion mieux délimitée sous une union fédérale de type très centralisée.
L'union fédérale de 1867 n'est que l'union législative de 1841 améliorée en ce qui concerne les concessions locales, provinciales, faites aux Canadiens français. En outre, la nation canadienne française minoritaire ne possède qu'une emprise limitée sur un rouage provincial aux compétences restreintes et aux pouvoirs de taxation encore plus réduits à cause de la présence au cœur même du Québec des maîtres du Canada-Anglais.
L'ANNEXION (5)
L'objection la plus couramment soulevée devant cette analyse du partage des compétences entre le peuple majoritaire et le peuple minoritaire, entre le Canada anglais et le Canada français dans le régime fédéral, consiste à dire que les pouvoirs fédéraux servent aussi aux Canadiens français et que ceux-ci sont eux-mêmes représentés au gouvernement central. C'est un fait, mais être bien organisé par un autre, au point de vue : du commerce extérieur, des relations politiques extérieures, du système bancaire, etc., et être défendu par un autre, même si l'on est justement représenté dans l'organisme central dirigé par cet autre, c'est de l'annexion (cf. Leçon I, sections II et III). L'essence même de l'annexion réside dans le fait d'être administré, gouverné par un autre, même si l'on y consent, même si l'on est traité avec justice, même si la concentration des pouvoirs signifie une plus grande économie et donne plus de force au central.
À propos de 1867, on a souvent parlé de «pacte». Que faut-il en penser ?
Un peuple souverain exerçant tous les pouvoirs à tous les paliers et qui aurait consenti par un pacte, par un vrai traité ─ selon toute la rigueur du terme ─ à entrer comme peuple minoritaire dans une union fédérale où les grands pouvoirs seraient concentrés dans le gouvernement général, serait un peuple annexé, perdant une partie très considérable des moyens d'épanouir sa vie politique, économique et culturelle, et cela, même si le pacte est loyalement respecté par le peuple majoritaire.
Le cas canadien français est encore plus grave. Ce peuple a été réduit par la force en minorité dans une union législative où on lui a consenti quelques libertés régionales et provinciales. Grâce à une entente entre les Canadiens anglais majoritaires (Macdonald, Brown et Galt) et les chefs des deux provinces maritimes, le British North America s'est organisé en une union fédérale fortement centralisée. Les Canadiens français, en minorité, ont dû suivre. Déjà, ils n'avaient pas «au sens vrai du mot leur autonomie politique», il ne leur appartenait pas de choisir l'union législative de 1841 ou de retrouver le régime totalement séparatiste d'avant 1837.
Un Pacte qui consacre l'annexion (6)
Les Canadiens anglais, désirant conserver des gouvernements locaux, ont consenti à ce que l'autonomie locale des Canadiens français sous l'union soit transformée en une autonomie provinciale mieux organisée sous le régime de l'union fédérale. Les Canadiens-Français, sous la direction de Cartier, ont collaboré à la transformation de l'union législative en une union fédérale centralisée. Ils ont donné leur consentement à une entente entre les chefs des colonies du British North America, à laquelle entente on a voulu donner le nom de pacte. Mais on voit ici le sens très restreint qu'il faut donner à ces termes de «pacte» ou de «traité». Il ne faut surtout pas penser que le Canada français avait avec LaFontaine et Cartier retrouvé son entière liberté d'entrer ou de ne pas entrer dans l'union fédérale de 1867, ni que le Québec est, avec l'Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, le créateur de l'État fédéral ─ au moyen par un pacte ─ et qu'advenant la violation de ce pacte, le Québec reprendrait sa liberté.
Le Québec, d'ailleurs, eût-il été un État souverain en 1865, ─ c'est-à-dire un État qui aurait consenti librement à entrer dans une union fédérale ─ n'en serait pas moins annexé et on ne sort pas facilement d'une union fédérale qui dure depuis près d'un siècle [et demi].
Et surtout, qu'on ne dise pas que le Canada français est en mauvaise posture parce que le pacte de 1867 n'a pas été respecté. C'est parce que le prétendu pacte de 1867 a été respecté. C’est parce le prétendu pacte de 1867 a été dans ses grandes lignes et quant à son esprit que les Canadiens français sont annexés, limités, provincialisés, comme ils l'étaient déjà en 1841 et somme toute depuis la Conquête.
LES À-CÔTÉS DE 1867 POUR LE CANADA FRANÇAIS
La centralisation (7)
On est porté, dans certains milieux, à accorder beaucoup d'importance à la «centralisation» survenue depuis 1867. Comme si le régime de base ─ le partage fédéral de 1867 ─ pourvu qu'il soit maintenu, ne comportait aucun inconvénient sérieux pour le peuple minoritaire canadien français. Il faut échapper à ce piège et bien comprendre que la centralisation la plus désastreuse c'est celle-là même qui est contenue dans le régime d'union législative de 1841 ou dans le régime de l'union fédérale de 1867, deux régimes où le Canada français se voit refuser le self-goverment, c'est-à-dire la permission d'administrer lui-même, majoritairement, les grands pouvoirs de l'État complet : les relations politiques et économiques avec l'extérieur, la défense, l'emprise totale sur les impôts, etc. Certes, il y a eu centralisation au fédéral depuis 1867, mais là n'est pas l'essentiel. On pourrait faire remarquer également que les compétences des provinces se sont accrues depuis un siècle... Et on se retrouve toujours devant le même «partage fédéral» qui provincialise les Canadiens français.
Dans le même ordre d'idées, il faut dire quelques mots des interprétations du Comité judiciaire du Conseil privé. Certaines de ces décisions judiciaires ont favorisé l'autonomie des provinces et ont même élargi le domaine réservé aux provinces. Mais encore là, il ne faut pas concentrer son attention sur ce qui s'est produit après 1867. Il n'est pas juste de prétendre que le régime d'union fédérale de 1867, tel que voulu par les auteurs de la Confédération, constituait un mal et que ce mal aurait été écarté par l'intervention du Comité judiciaire du Conseil privé, intervention qui aurait rétabli l'équilibre et transformé l'union centralisée en une rentable confédération acceptable par le peuple minoritaire canadien-français. Ces interventions du moins les plus favorables à l'autonomie des provinces ─ n'ont pas modifié fondamentalement le partage des pouvoirs. Le Canada français reste un peuple qui ne possède qu'un gouvernement provincial (8) .
Il ne faut pas trop attacher d'importance non plus à la question du «veto» du fédéral, c'est-à-dire du droit de désaveu qu'exerçait autrefois le fédéral sur les législatures provinciales. Ce droit est maintenant, à toute fin pratique, remplacé par l'appel pour juger de la constitutionnalité des lois des provinces à une cour dont les juges sont nommés par le gouvernement central. Ce n'est là qu'un aspect très secondaire du régime fédéral. Ce tribunal serait-il sous la dépendance des provinces que la situation du Canada français n'en serait pratiquement pas améliorée, tant que subsisterait l'essentiel, c'est-à-dire le partage des pouvoirs qui enlève au Canada français toute emprise majoritaire sur d'importants secteurs de la vie collective.
L’ESSENTIEL DE 1867 POUR LE CANADA FRANÇAIS
Survivance et autonomie restreinte (9)
Peut-on affirmer à propos de la place réciproque du Canada anglais et du Canada français dans l'union fédérale l'«equal parternship of the two founding races»? Peut-on parler de l'association à titre de peuples égaux des deux nations fondatrices?
Évidemment non. Ni en 1760 ni en 1840 ni en 1867 et pas plus qu'en 1960 [ni encore aujourd'hui en 2014], il n'y a eu, répétons-le, ni égalité de droit ni égalité de faits entre les deux nationalités. On sait que l'une possède toute la souveraineté locale et centrale tandis que l'autre ne détient qu'une autonomie provinciale seulement. Du régime de 1840 et de 1867, ne peut sortir pour le Canada français l'épanouissement politique, économique et culturel. En ce sens 1867 n'est pas un échec. L'union législative à caractère fédéral de 1841 et l'union fédérale de 1867 recouvrent avec exactitude la réalité sociale canadienne française et canadienne anglaise. Ces deux constitutions sont l'exression, dans l'ordre constitutionnel, d'un échec colonial de la part de l'Empire français et d'une réussite coloniale de la part de l'Empire britannique.
À la colonisation réussie, à la nation coloniale victorieuse, la Loi constitutionnelle de 1867 donne un État central «national» et des États provinciaux. Ces derniers sont susceptibles d'être facilement et entièrement mis au service de l'État central. À la colonisation ratée, à la nation coloniale vaincue mais toujours présente, la Constitution de 1867 ne donne qu'un État local ou provincial. Bref, une Constitution de vainqueur pour les vainqueurs; une Constitution de vaincu pour les vaincus (10) .
Ainsi dans leur propre patrie, devenue province parce que le Bas-Canada était la plus importante, en 1840 et en 1867, était la plus importante des colonies britanniques, dans ce Québec où la nationalité canadienne française est dominée politiquement et économiquement depuis 1760, dans ce Québec bi-ethnique, biculturel et bilingue, les Canadiens français subsistent comme un peuple «chambreur» dans l'une des pièces les plus importantes de la maison qui a été construite et qui est possédée par une autre nation. Le Canada anglais ne peut s'édifier et se développer sans ruiner et sans provincialiser le Canada français. Au point, où l’historien qui a étudié en profondeur la société canadienne française qui est à l’origine de l’existence du Québec français d’aujourd’hui peut conclure de l’état de situation de la Province de Québec en ces termes généraux au sujet du statut de la nation minoritaire :
La nation majoritaire qui n’a pu assimiler la nationalité minoritaire et qui a dû lui consentir des concessions (comme au moins un État provincial) est dérangée, importunée par cette annexe (cet appendice).
Peut-être aurait-elle adopté un autre régime (tel l’État unitaire) ou une Union fédérale comportant une autre sorte de partage, une répartition un peu plus centralisée… n’eût été la présence irréductible d’une nationalité minoritaire.
La nation minoritaire est en grande partie désorganisée et subordonnée par la présence de la nation majoritaire, politiquement, économiquement et culturellement. (11)
Que peut-on redire contre ce constat ? Sinon d’en prendre acte et d’agir en conséquence.
Bruno Deshaies, «1er juillet 2014. L’indépendance du Québec revisitée». INDÉPENDANCE DU QUÉBEC 418. Source : http://blogscienceshumaines.blogspot.ca/2014/07/independance-nationale-du-quebec418-1.html
NOTES
(1) Voir le site Le Rond-Point des sciences humaines : http://www.rond-point.qc.ca/histoire/seguin/normes-322.html Aussi : «1er juillet 2014» : http://blogscienceshumaines.blogspot.ca/2014/07/independance-nationale-du-quebec418-1.html
(2) Bruno Deshaies, éd., Maurice Séguin, Histoire de deux nationalismes au Canada, Montréal, Guérin, Éditeur, 1997, p. 384. Voir la Leçon XV : «Création du Dominion of Canada 1864-1867».
(3) Id., Ibid., p. 388.
(4) Id., Ibid., p. 389.
(5) Id., Ibid., p. 397-398.
(6) Id., Ibid., p. 398-399.
(7) Id., Ibid., p. 399-400.
(8) Comment passer de cette condition historique à celle de l’existence d’un État complet ? En 2014, cette question se pose encore inlassablement. Elle consiste à savoir comment les Québécois français pourront passer de l’état de situation d’une nation annexée (situation «A») à celui de l’existence d’un État complet souverain (situation «B»). À cet égard, les indépendantistes doivent s’expliquer clairement sur le «Quoi» de l’indépendance complète. Mais encore, au-delà du «Quoi», il importe de convaincre le plus grand nombre de Québécoises et de Québécois. Alors, le «Qui» devient incontournable. D’où l’appel lancé par Monique Chapdelaine, une militante indépendantiste, dans «L’indépendance du Québec, un choix décisif. Il est impératif de choisir l’indépendance nationale du Québec et d’adopter un discours unique, clair et cohérent.» Tribune libre de Vigile, samedi 27 septembre2014. http://www.vigile.net/L-independance-du-Quebec-un-choix Pour notre part, en 2005, nous écrivions: «Le texte suivant se présente sous la forme d’une vieille antienne, c'est-à-dire d’un vieux refrain que l’on doit rappeler inlassablement, car il n’est pas entré dans le cerveau d’une majorité de Québécois de concevoir leur avenir dans l’optique indépendantiste.» Bruno Deshaies, «Pour devenir un pays indépendant. Comment faut-il s’y prendre pour y parvenir ?» Vigile.net, INDÉPENDANCE DU QUÉBEC 232. 24 novembre 2005
http://www.vigile.net/archives/ds-deshaies/docs5/232.html
(9) Voir note 2 : p. 401. Consulter la Leçon XVI : «Le Canada, le Québec et l’Empire 1867-1960.» Les Canadiens français continueront à vivre indéniablement au sein d’une nation de l’Empire britannique en tant que nation annexée. Ils ne seront qu’«un peu moins pas libres».
(10) Les assises du Canada d’aujourd’hui dépendent de cet état de fait historique. Tout ce qui est survenu depuis n’est que la conséquence et la concrétisation de la nature et de l’esprit du fédéralisme canadian. La transformation de cette situation «A» pour une autre situation «B», qui serait l’indépendance du Québec, ne se produira jamais si les indépendantistes ne posent pas le geste d’opter franchement pour l’indépendance en mettant fin au discours de la croisée des chemins, des petits pas ou, bien pire encore, d’entrevoir une «réforme» même substantielle du fédéralisme canadian. Gérard Boismenu a étudié, en 1985, ce problème sous le titre : «Du recul à la compromission». Sa «lecture critique» du «beau risque» vs le Canadian Bill pourrait en réveiller plusieurs parmi l’intelligentsia péquiste et souverainiste. Dans Le Québec en textes. Anthologie 1940-1986, Montréal, Boréal, 1986 (nouvelle édition revue et mise à jour), p. 406-418 et notes p. 581-583.
(11) Maurice Séguin Les Normes, Chapitre troisième : Position de la nation minoritaire dans une vraie union fédérale (paragr. KP). Une très grande partie de notre histoire de Canadiens, de Canadiens français, de Québécois et de Québécois français est vécue sous ce mode de relations avec le Canada anglais. Cette constante est tellement difficile à changer qu’il est impossible de penser autrement qu’en minoritaire, donc dans l’optique fédéraliste. Le syndrome du comportement de minoritaire pousse notre réflexe de revendication à un tel degré qu’il occulte la lutte essentielle qui porte sur l’indépendance elle-même. Les Québécois risquent de se morfondre dans ce cercle vicieux pendant plusieurs générations encore. L’histoire nous dira ce qu’il adviendra, à moins que les Québécois français changent de cap et ne se fixent qu’un seul objectif : celui de l’indépendance nationale du Québec. Ce qui sera l’œuvre d’une élite bien aguerrie et d’une population capable d’accepter de maîtriser son destin collectif.
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4 commentaires
Bruno Deshaies Répondre
5 octobre 2014SUR LA PLACE DE L’HISTOIRE DANS LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE
« L’histoire est un cimetière,
si elle ne concerne que la vie des morts.»
(Bruno Deshaies)
L’extrait que j’ai cité de Maurice Séguin (note 6) se trouve dans Histoire de deux nationalismes au Canada : Leçon XV : «Création du Dominion of Canada 1864-1867», p. 398-399.
D’abord, une réponse au ras des pâquerettes : les parlementaires du British North America à la Conférence de Québec ont voté majoritairement en faveur du principe fédératif. L’opposition au projet n’a pas réussi à renverser le projet de « confédération » du ministère Taché-Macdonald-Brown. Cependant, il faut noter farouchement que, préalablement, les Canadiens-Français avaient été annexés formellement, en 1841, dans une union législative. Cette union était, selon une expression de Maurice Séguin, «un cache-réalité de la subordination politique et économique».
À partir de 1855, les deux Canadas (Canada-Ouest et Canada-Est) ne peuvent plus continuer à vivre collectivement sans tenir compte de la menace américaine du Sud. L’infériorité démographie des deux Canadas face à la présence massive des États-Unis inquiète les politiques du British North America tout autant que les Canadiens-Français. (Voir les Tableaux 4, 5 et 6 dans Histoire de deux nationalismes au Canada, p. 329 et 368 sur les forces en présence (vers 1840) aux États-Unis, et au Canada, entre 1840 et 1861, chez les Britanniques du Canada (Upper Canada et Lower Canada) et le total des Britanniques du Canada, puis des Canadiens-Français et du total de la Province of Canada et des populations britannique et canadienne-française entre 1840 et 1861 ainsi que des populations du Canada-Ouest et du Canada-Est en 1850 et 1860.)
Ces données démographiques doivent être reliées aux conditions démocratiques de la responsabilité ministérielle qui avait été finalement concédée, en 1848, par Londres au Canada-Uni de 1841. Or, après une dizaine d’années de ce régime, le Canada en arrive à une période d’instabilité ministérielle chronique qui coïncide avec la Guerre Civile américaine qui se terminera en 1865.
Une décennie d’instabilité ministérielle au Canada 1854-1864
1854 : ministère McNab-Morin,
1855 : ministère MacNab-Taché,
1856 : ministère Taché-Macdonald,
1857 : ministère Macdonald-Cartier,
1858 : ministère Brown-Dorion,
1858 : ministère Cartier-MacDonald,
1862 : ministère J. Sandfield MacDonald-Sicotte,
1863 : ministère J. Sandfield MacDonald-Sicotte,
1864 : ministère Taché-Macdonald,
1864 : ministère Taché-Macdonald-Brown.
Avec l’adoption des Résolutions de Québec, les pouvoirs généraux sont clairement établis. La subordination est évidente. Le local représente tous les États locaux sur le même pied d’égalité provincial.
LA CONFÉRENCE DE CHARLOTTETOWN (SEPTEMBRE 1864)
Accord de principe sur une union fédérale fortement centralisée
Une première Conférence a lieu à Charlottetown. Très tôt, les délégués en arrivent à un accord de principe. Contrairement à ce que certains auraient voulu et contrairement à ce que même le Canada-Uni avait suggéré, les trois provinces du Golfe ne seront pas fusionnées en une seule province. Quant au régime d'union fédérale, une très forte majorité de délégués se prononce en faveur d'une union fortement centralisée. Cette volonté de créer un gouvernement central puissant est un aspect fondamental du Canadian Scheme ou, autrement dit, du «Plan canadien».
Les délégués s'étaient mis d'accord sur ce point, dès la première conférence. Ils avaient également esquissé la répartition des compétences entre le gouvernement central et les gouvernements provinciaux.
Finalement, on décida de se réunir de nouveau à Québec. En prévision de cette deuxième conférence, les ministres du Canada-Uni s'engagent à proposer un plan détaillé d'union fédérale.
LE VOTE EN CHAMBRE AU CANADA (mars 1865)
La Chambre de la Province of Canada vote les Résolutions de Québec par 91 voix contre 33 : 27 Canadiens-Français, sous la direction de Cartier, acceptent de faire passer ce Canada-Français de l'union législative à l'union fédérale; par contre, 21 députés canadiens-français veulent rester, semble-t-il, à l'union législative.
LA CONFÉRENCE DE LONDRES (DÉCEMBRE 1866)
Une nouvelle conférence réunit à Londres les délégués du Canada, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse. Les Résolutions de Québec servent de base aux délibérations. Ces délibérations se font entre coloniaux seulement sans intervention du gouvernement métropolitain.
Les représentants s'entendent pour ajouter un subside spécial qui sera payé par le gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux en vue de subvenir aux dépenses de leurs législatures : Canada (Ouest), 80 000,00 $; Canada-Est (Québec), 70 000,00 $; Nouvelle-Écosse, 60 000,00 $; Nouveau-Brunswick, 50 000,00 $. Quelle façon d’affirmer l'autonomie provinciale!
Après ce dernier arrangement, cette conférence met fin au processus de la mise en place du Canadian Scheme (*).
LE VOTE DU BRITISH NORTH AMERICA ACT (Londres)
En mars 1867, le British North America Act est voté par le Parlement impérial, ─ encore une fois sans intervention notable de la part du gouvernement de Londres ─ et sanctionné par la Reine. Le British North America, dans ses quatre provinces fédérées, s'appellera désormais DOMINION OF CANA¬DA. Le Canada-Est reprend son nom de Province of Quebec, qu'il avait reçu au lendemain de la Conquête; le Canada-Ouest devient la Province of Ontario.
(*) Histoire de deux nationalismes au Canada, LEÇON XV : «Création du Dominion of Canada 1864-1867», p. 386-389. Jean-Charles Bonenfant, Les Canadiens Français et la naissance de la Confédération, Ottawa, La Société historique du Canada, 1966/1984, 23 p. Coll. Brochures historiques no 21, p. 6-11. https://www.collectionscanada.gc.ca/cha-shc/008004-119.01-f.php?&b_id=H-21&ps_nbr=1&brws=y&&PHPSESSID=jl4rukgaec2i65mdd8nrkj0iq3
La place de l’histoire est essentielle pour comprendre ce que nous vivons collectivement aujourd’hui comme Province de Québec dans le Canada.
Voici ce que je dirais en réponse aux trois auteurs de commentaires.
François Lachapelle dixit : «De qui parlez-vous dans le "ils ont donné..." ?»
L’adhésion par un vote majoritaire des Canadiens-Français à la Chambre de la Province of Canada d’avant 1867 a donné une majorité parlementaire favorable aux Résolutions de Québec. Les libéraux Canada-Est de l’époque ont échoué dans leur lutte contre le projet du ministère Taché-Macdonald-Brown. George-Étienne Cartier s’est assuré de transformer l’union législative en une union fédérale. Ainsi était soulevé, le voile de la subordination politique et économique sous l’union de 1841. Les Canadiens-Français ne comprenaient pas qu’ils vivaient véritablement une annexion politique et économique. Il est vrai qu’elle demeure, mais avec cette nuance importante : le Québec jouit désormais d’un gouvernement provincial qu'il a la possibilité de contrôler majoritairement. Le fait de détenir dorénavant un État, même provincial, était préférable à se soumettre à un régime politique clairement d’union législative. Ce qui était le premier objectif de John A. Macdonald et de la majorité canadian.
Michel J. Dion nous réfère à une escroquerie des Pères de la Confédération. Bien sûr qu’il y a eu un «scheme». Cependant, il a été connu publiquement, ne serait-ce que de mentionner les Débats au parlement du Canada-Uni qui ont duré deux mois (février-mars 1865). L’événement ne s’est pas passé en vase clos. Concedo, la vie politique était critiquable selon nos normes actuelles de régime électoral. Toutefois, là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie. N’est-ce pas ?
Marcel Haché dixit : «Je crois moi aussi que Nous sommes annexés en tant que nation.
Mais à quoi cela nous sert-il d’en faire tout un plat...». La réponse est assez simple. L’annexion, c’est le REMPLACEMENT de notre agir par soi collectif comme société nationale. Le gouvernement national du Canada est le fédérant et nous sommes collectivement dans un statut de fédéré.
Pour «nommer ce que nous sommes», c’est clair : une nation annexée et «ce que nous ne sommes pas» : une nation indépendante. C’est cette transformation que la société québécoise ne parvient pas à réaliser − après tant de tentatives infructueuses. Pour cela, il faudrait penser dans l’optique indépendantiste, c’est-à-dire posséder toutes les compétences, les capacités et la suprématie normale d’un État souverain. C’est là où doit porter le combat politique essentiel.
Mais non, référendum, démocratie directe ou indirecte, une constituante et une constitution provisoire, des projets de pays à répétition, la croisée des chemins, bref une panoplie de moyens qui déboussole la population. Or, celle-ci veut savoir ce que les «séparatistes» ont dans le cerveau.
La question qui doit se poser est la suivante : Qui gouverne ? Alors, c’est la lutte nationale au 3e degré : la lutte pour la suprématie, pour la prépondérance, pour être la majorité dans un État séparé, pour être indépendante, pour réussir son propre séparatisme et pour être maître chez soi. Depuis trop longtemps, la population attend et vit un véritable chemin de croix ! Le bout du tunnel est sans limite.
Vivement un Institut de l’indépendance nationale du Québec qui s’occuperait à clarifier les concepts dans l’esprit des Québécois.
Cette vision est un cul-de-sac pour les indépendantistes. D’où les préoccupations de Dion, Haché et Larochelle.
Postface
De Jean Larose :
Quelques références sur VIGILE
Bruno Deshaies (2002), «Marcel Chaput ou Le pari de la dignité. L’indépendance prend le tout du Québec et non une partie.» Vigile Indépendance du Québec 17-10-2002. http://www.vigile.net/archives/ds-deshaies/docs/02-10-17.html
Bruno Deshaies (2005), «Pour devenir un pays indépendant. Comment faut-il s’y prendre pour y parvenir ?» Vigile, Indépendance du Québec 232. 24 novembre 2005. http://www.vigile.net/archives/ds-deshaies/docs5/232.html
Andrée Ferretti (2010), «Invitation à relire Marcel Chaput.» Vigile mercredi 20 octobre 2010. http://www.vigile.net/Invitation-a-relire-Marcel-Chaput
Bruno Deshaies (2011), «LA SOUVERAINETÉ RAMPANTE (Jean Larose, 1994/2000). Le problème québécois n’est pas constitutionnel, il est historique.» Dans Vigile.net, 22 octobre 2011. http://www.vigile.net/La-souverainete-rampante-Jean
N. B. Malheureusement la chronique sur Vigile.net comporte de nombreux hyperliens erronés. Voir le fichier PDF pour les mises à jour des hyperliens (5 octobre 2014).
« Celui qui veut s'en tenir au présent, à l'actuel,
ne comprendra pas l'actuel. »
Jules Michelet (1798-1874), Le Peuple (1846) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6118289n/f13.image.swfv
Marcel Haché Répondre
2 octobre 2014Je crois moi aussi que Nous sommes annexés en tant que nation.
Mais à quoi cela nous sert-il d’en faire tout un plat si nous n’osons pas reconnaître maintenant que Nous avons été assiégés de l’intérieur depuis toujours, depuis bien avant la Confédération, par le West Island et surtout, maintenant, si Nous sommes encerclés par l’immigration.
Marcel Chaput prédisait que la Confédération ne survivrait pas cent ans. Elle va célébrer son 150ième bientôt et, à force de ne jamais nommer les choses, et rester dans les incantations, les articles et les virgules de programmes, il y aura encore des séparatistes québécois qui verront le 200ième anniversaire de cette Confédération qui ne fut jamais un Pacte.
Pourquoi alors, maintenant, les séparatistes agissent-ils comme s’ils voulaient faire un pacte, cette fois avec ceux-là qui Nous assiègent ici, de l’intérieur, et qui sont à l’origine des flux d’immigration ?
Qui aurait-il de criminel qu’une majorité historique qui se trouve à être une Nation commence par nommer ce qui lui appartient et ce qui ne lui appartient pas ? Si plutôt que parler de référendum et d’agenda référendaire, les séparatistes québécois parlaient simplement de ce que Nous sommes et de ce que Nous ne sommes pas, peut-être alors serions-nous pris au sérieux. On jase, évidemment.
Michel J. Dion Répondre
1 octobre 2014En complément:
Plusieurs détails surprenants sur le lien ci-bas.
LA CONSTITUTION DE 1867 : UNE ESCROQUERIE
François A. Lachapelle Répondre
30 septembre 2014Dans le chapitre 6 de votre texte, intitulé: Un pacte qui consacre l'annexion, vous, Bruno Deshaies, vous écrivez, je cite: " Les Canadiens-Français, sous la direction de Cartier, ont collaboré à la transformation de l’union législative en une union fédérale centralisée. Ils ont donné leur consentement à une entente entre les chefs des colonies du British North America, à laquelle entente on a voulu donner le nom de pacte."
Que voulez-vous dire dans " ils ont donné leur consentement à une entente ..." ? De qui parlez-vous dans le "ils ont donné..." ?