Le ministre de l’Éducation Yves Bolduc a partagé ses idées avec un journaliste du Devoir concernant la démarche que les commissions scolaires doivent entreprendre pour réduire leurs dépenses. Sans démagogie aucune, il lui a exprimé le fond de sa pensée en annonçant une vérité difficile à assumer politiquement d’une manière explicite; car elle est impopulaire, encore qu’elle soit inhérente à l’idéologie libérale. Le ministre est prêt à chercher de l’argent au détriment d’une éducation de qualité pour nos enfants, il est même prêt à accepter que des commissions scolaires privent nos enfants de lecture. Ses propos sont on ne peut plus éloquents: « Il n’y a pas un enfant qui va mourir de ça et qui va s’empêcher de lire, parce qu’il existe déjà des livres [dans les bibliothèques]. (…) J’aime mieux qu’elles achètent moins de livres. Nos bibliothèques sont déjà bien équipées. […] Va dans les écoles, des livres, il y en a, et en passant, les livres ont été achetés l’an passé, il y a 2 ans, ou 20 ans.»
La vérité est que cette déclaration n’exprime pas le fond de la pensée d’un ministre seulement, mais une tendance idéologique substantielle chez les libéraux. En effet, leur tendance à la marchandisation du savoir et de l’éducation les contraint à imposer une vision de l’éducation qui ne donne pas de l’importance à la culture générale et à la formation de l’humain et du citoyen.
D’ailleurs, les propos du ministre de l’Éducation s’inscrivent dans le même sillage idéologique que ceux de la commission des jeunes libéraux qui nous ont surpris par leur vote pour l’abolition des Cégeps (Collège d’Enseignement Général et Professionnel). C’est simple, eux aussi, ils pensent que la culture générale est tellement superflue que l’on peut s’en débarrasser à tout moment sans aucune conséquence néfaste sur la société. Ils attaquent ces institutions parce qu’elles garantissent aux étudiants le droit à une culture générale, par conséquent à une culture qui se fait essentiellement par la lecture, l’autre ennemi idéologique des libéraux que notre ministre de l’éducation a désigné clairement.
Si pour ces jeunes libéraux, les Cégeps sont une perte de temps et d’argent, pour notre ministre de l’éducation c’est la lecture qui est une perte de temps et d’argent. Où est la différence entre les deux positions? Certainement aucune, étant donné que les deux s’attaquent à la culture générale. En fait, les deux positions sont complémentaires. L’une s’attaque à la culture en amont et l’autre en aval.
Néanmoins, il ne faut pas oublier que cette commission détient 33 % des votes dans les instances politiques libérales. Certains de ces jeunes seraient demain les cadres du parti qui dirigeraient le Québec et probablement l’un d’eux occuperait le même poste que Monsieur Yves Bolduc occupe aujourd’hui.
En général, dans les moments difficiles, si l’on veut économiser de l’argent et réduire nos dépenses, on commence logiquement par éliminer le superflu(!). Ainsi, la lecture pour le ministre de l’Éducation est un superflu que l’on peut éliminer sans aucune conséquence sur la vie des enfants, l’essentiel pour lui étant que nos enfants ne meurent pas de faim! Logiquement, si l’on a à choisir entre la nourriture et la lecture, on n’hésitera pas à choisir la première mais, dans cette histoire, notre ministre ignore sciemment que dans les moments difficiles beaucoup de familles font malheureusement le même choix qu’il propose aux commissions scolaires ; d’ailleurs, c’est ce à quoi ils sont voués désormais à cause de la politique d’austérité que son gouvernement nous a promise.
Le problème est que le ministre de l’Éducation oublie que sa tâche essentielle est l’éducation et non pas la gestion d’une situation de guerre. Cela aurait été judicieux de la part du gouvernement Couillard de mettre fin à la subvention publique des écoles privées et confessionnelles. Or, on sait que cela fait partie des lignes rouges que les libéraux n’oseront pas franchir, leur idéologie comptable les en empêche. Avez-vous entendu parler un ministre libéral y faire allusion?
En plus de cela, beaucoup de familles subissent cette contrainte. En réalité, elles n’ont pas besoin des conseils d’un ministre libéral pour cela, la pauvreté est là pour leur porter conseil. Ces familles sont forcées de léguer à leurs enfants des dispositions scolaires moins prometteuses que ce que les familles qui ne sont pas contraintes à faire ce douloureux choix lèguent aux leurs.
Ainsi, le problème est plus grave qu’une question pédagogique ou d’apprentissage de la langue comme Couillard l’allègue en réaction à la énième bourde révélatrice de son ministre de l’éducation, mais d’un problème d’inégalités sociales et du rôle qu’est censée jouer l’école pour les réduire. Malheureusement, il semble que notre ministre de l’éducation n’a pas beaucoup lu de livres qui parlent des inégalités sociales, en fait, il faut l’avouer ce n’est pas de sa faute, car il travaille beaucoup! Bref, il n’en a pas le temps !
Par ailleurs, la politique d’austérité que le gouvernement nous a promise n’est pas une affaire de chiffres seulement, elle touche de plein fouet les familles vulnérables. Il semble que ce gouvernement ignore que les enfants les plus défavorisés souffrent de parcours scolaires douloureux. À Montréal, par exemple, et ce n’est pas qu’un simple chiffre mais une souffrance réelle des familles, quatre familles sur dix vivent sous le seuil de pauvreté. Imaginez l’impact de cette situation sur le cheminement scolaire de leurs enfants. Si notre ministre lisait ne serait-ce quelques conclusions pertinentes et scientifiques des études de Pierre Bourdieu (un lien intéressant : Pierre Bourdieu : L’école conservatrice. Les inégalités devant l’école et devant la culture) à ce sujet, il ne commettrait pas une telle énormité, il saurait surtout que la réussite de nos enfants à l’école est tributaire de la culture et des dispositions scolaires qu’ils héritent de leurs familles.
Enfin, chercher à économiser de l’argent en privant nos enfants de lecture ou d’autres choses qui touchent à la qualité de leur éducation est une démarche qui prouve que l’école privilégiée par les libéraux est une école qui n’aspire pas à réduire les inégalités, mais à les sauvegarder et à les légitimer.
ANALYSE
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