Washington force le bouledogue britannique à marcher au pied

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Les Anglais malmenés par les États-Unis

Dans une démonstration éhontée de remise au pas de leur « relation spéciale », les politiciens américains et les chefs du Pentagone sont en train de réprimander ouvertement le gouvernement britannique pour qu’il maintienne ses énormes dépenses militaires dans l’Alliance atlantique (OTAN)  éventuellement au détriment de services publics déjà en déliquescence dans une Grande-Bretagne assommée par l’austérité. L’injonction de Washington soulève de sérieuses questions sur la nature de la démocratie en Grande-Bretagne, la « mère de tous les parlements » auto-proclamée.


Les allégations farfelues sur l’« agression » russe ainsi que les prétendues « ambitions mondiales » attribuées à Vladimir Poutine ont été invoquées pour justifier ce qui est par ailleurs une extraordinaire violation des droits démocratiques de la Grande-Bretagne par les Etats-Unis.


L’intrusion américaine dans les affaires britanniques s’inscrit dans la course électorale parlementaire de mai prochain, lorsque cinq années d’implacable austérité économique sous la coalition libérale-conservatrice au pouvoir sera soumise au test électoral. Le dirigeant conservateur (Tory) et Premier ministre David Cameron est mis sous pression par la population pour qu’il préserve les budgets de l’éducation et de la santé, alors que les dépenses militaires, surdimensionnées pour le pays, sont présentées comme le secteur qui devrait procéder aux nécessaires coupes budgétaires.


Cameron et son chancelier George Osborne sont des faucons militaires lorsqu’il s’agit de politique étrangère. Ils ont, après tout, supervisé la destruction de la Libye par l’OTAN en 2011 et sont généralement en phase avec les guerres secrètes des Etats-Unis en Syrie et en Ukraine. Mais les dirigeants tories craignent que leur abyssal record d’austérité ne leur fasse perdre les élections. Ils ont apparemment tenu compte des préoccupations de la population et ont tardivement laissé entendre que pour contenir le gonflement de la dette nationale, c’est le budget militaire britannique qui serait réduit plutôt que celui de l’éducation ou de la santé. (La question de savoir si Cameron sacrifiera les dépenses militaires est pertinente – cela pourrait bien se révéler comme une ruse cynique pour attirer des votes, pour être ensuite furtivement abandonnée après les élections.)


Mais la question ici est que sur un principe démocratique fondamental – dépenser de l’argent pour des bombes, ou pour des livres ou des lits d’hôpital – le gouvernement britannique semble être davantage redevable envers Washington qu’envers son propre peuple.


Le président états-unien Barack Obama a, selon le Daily Telegraph pro-conservateur, averti personnellement le Premier ministre britannique Cameron que toute coupe dans le budget militaire actuel de la Grande-Bretagne – 2% du produit intérieur brut (PIB) – « donnerait un mauvais exemple aux autres alliés européens » et « ferait courir un risque pour l’avenir de l’OTAN ».


Obama aurait dit à Cameron que « si la Grande-Bretagne ne veut pas dépenser 2% pour la défense, personne en Europe ne le fera ».


L’« intense lobbying » de Washington est relayé par des membres haut placés de l’establishment militaire, qui mettent aussi en garde le gouvernement de Cameron en cas de réduction de l’approvisionnement des forces armées et de l’armement britanniques.


Pour donner du piment à leur objectif, la Russie est peinte comme une menace mondiale pour la sécurité, parallèlement au groupe terroriste Etat islamique, ce qui justifie la poursuite des dépenses de quelque 50 milliards de dollars par année pour le budget militaire de la Grande-Bretagne. Dénigrer la Russie de cette manière, sans la moindre preuve, est une grave infraction aux relations diplomatiques et pourrait constituer un acte d’agression contre Moscou.


Sir Peter Wall, l’ancien commandant des forces armées britanniques, et l’ex-patron du M16 Sir John Sawers, ont tous deux cité explicitement « l’agression russe » comme une priorité absolue imposant de ne pas réduire les dépenses pour l’énorme budget militaire britannique.


L’ancien Secrétaire à la Défense, Liam Fox, a prétendu que la population britannique attend que « son gouvernement » assure « la sécurité de la Grande-Bretagne comme premier engagement ». A chacun de deviner comment un riche politicien peut faire valoir le point de vue d’ouvriers paupérisés, de chômeurs ou de malades britanniques. Néanmoins, il faut noter comment les déclarations propagandistes de establishment britannique contre la Russie à propos de la crise ukrainienne sont inculquées dans la conscience de la population comme des « faits » établis et, par conséquent, la prémisse douteuse doit être traitée comme des questions d’une urgence sur laquelle on ne pose pas de questions, sans permettre même un débat public sommaire sur la véracité de ces affirmations tendancieuses.


Le dernier personnage à ajouter sa voix au chœur anglo-américain opposé aux coupes budgétaires est le général états-unien Raymond Odierno. Le chef du personnel a dit que toute réduction dans les dépenses militaires britanniques « ramènerait» les forces armées au rôle de brigades combattant au sein des formations américaines plutôt que d’être déployées comme des divisions plus importantes « aux côtés » de leurs homologues américains, comme ils l’ont fait par le passé.


Odierno semble recourir à la tactique de l’humiliation pour intimider la Grande-Bretagne pour qu’elle maintienne son budget militaire – déjà l’un des plus élevés d’Europe et occupant le deuxième rang dans l’OTAN, après les Etats-Unis.


Le général américain a répété que les Etats-Unis ont besoin de la Grande-Bretagne comme partenaire pour affronter la prétendue menace de la Russie et du terrorisme islamique.


«Il s’agit pour nous d’avoir un partenaire dont les valeurs sont très proches des nôtres et qui poursuit les mêmes buts », a déclaré Odierno, avec une odieuse touche d’euphémisme, en parlant des destructions illégales que ces deux « partenaires » ont infligées à l’Afghanistan, à l’Irak et à plusieurs autres pays dans leur poursuite frauduleuse de la « guerre contre le terrorisme ». 


Parmi ceux qui rejoignent le chœur anglo-américain, on trouve les anciens Secrétaires généraux de l’OTAN Anders Fogh Rasmussen et Jaap de Hoop Scheffen, qui exhortent eux aussi la Grande-Bretagne à ne pas rogner sur ses dépenses militaires. De Hoop Sheffen a dit que cela aurait « de très sérieuses conséquences », tandis que Rasmussen se lançait dans des déclarations hystériques typiques selon lesquelles une telle décision de la Grande-Bretagne « encouragerait l’agression russe ».


«Dans les circonstances actuelles, cela enverrait un très très mauvais signal à la Russie, aux terroristes, et aux autres », a déclaré Rasmussen, qui a démissionné l’an dernier de son poste de dirigeant civil de l’OTAN après avoir accusé pendant des mois Moscou d’annexer la Crimée, de déstabiliser l’Ukraine et de menacer toute la sécurité de l’Europe. Ce faisant, l’ancien Premier ministre du Danemark a donc agi comme un porte-parole fiable des Américains en Europe et sa dernière intervention sur une question électorale en Grande-Bretagne, d’un alarmisme phénoménal, montre qu’il continue de se comporter comme comptable de Washington.


Washington et Londres se sont régulièrement félicité les uns et les autres, fendus en compliments sur leur « relation spéciale » durant les décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale. La réalité non dite de ce partenariat grandiloquent est le lien systémique entre la City de Londres et Wall Street, essentiel au maintien du capitalisme financier mondial – un système économique devenu un prédateur destructeur de toute la planète. L’autre aspect de la « relation spéciale » est que la Grande-Bretagne a servi loyalement d’associée minoritaire dans le militarisme transatlantique de Washington. Londres a soit apporté un soutien diplomatique indéfectible à ce qui sont en fait des interventions impérialistes criminelles, soit fourni des forces armées pour accroître les forces américaines, offrant ainsi un semblant de « multinationalisme » légal à un « unilatéralisme » autrement illégal. L’Afghanistan et l’Irak sont les deux exemples emblématiques récents de cette relation. Bref, la Grande-Bretagne n’est rien de plus que le bouledogue fidèle de l’Amérique dans ses entreprises militaires – un rôle humiliant pour elle, mais repeint en « relation spéciale ».


La Grande-Bretagne a aussi une fonction de régulation du rythme militaire pour le reste de l’Europe, à l’instigation de Washington. Elle le fait d’abord au travers de l’OTAN dirigée par les Etats-Unis. Comme relevé précédemment, la Grande-Bretagne est un des pays au sein de l’Europe dont les dépenses militaires consacrées à l’OTAN sont les plus élevées – en dépit sa dette nationale croissante et d’une déplorable détérioration sociale. Faisant, selon la vieille habitude conservatrice, la sourde oreille aux difficultés sociales qui frappent sa propre nation, David Cameron a vigoureusement critiqué les autres membres européens souffrant de l’austérité, leur enjoignant d’accroître leurs engagements à l’égard de l’OTAN, en conformité avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.


Donc c’est ce qui concerne réellement les Américains. Des réductions dans les forces armées britanniques, les sous-marins, les frégates et les avions de combat limiteraient gravement le bouledogue dans son rôle d’attaquant auxiliaire pour les futures guerres des Américains à l’étranger. Les guerres sont de plus en plus essentielles pour soutenir le capitalisme financier. L’absence britannique exposerait le militarisme américain à être vu pour ce qu’il est – un pur impérialisme criminel.


Deuxièmement, comme le souci d’Obama cité plus haut le révèle, si les fidèles Britanniques commencent à revenir sur leurs engagements envers l’OTAN, alors cela pourrait tout à fait encourager la majorité de l’alliance à limiter identiquement son soutien financier. Sur les 28 membres de l’OTAN, seuls quatre ont augmenté leur allocation à 2% de leur PIB. Si le fidèle bouledogue britannique ne se plie pas qu’en sera-t-il des autres caniches européens? Sans OTAN et ses prétentions à « défendre l’Europe », Washington perdra un pilier idéologique et militaire vital pour son hégémonie mondiale.


Dans un monde démocratique sain, évidemment, d’imprudentes largesses militaires seraient sabrées, sinon totalement supprimées. Les Etats-uniens dépensent à peu près la moitié de leur budget annuel pour le complexe militaro-industriel – plus de 600 milliards de dollars. Ces dépenses grotesques font non seulement sombrer des entreprises, mais elles conduisent le monde à des confrontations et des guerres dangereuses – et pourtant cette prodigalité absurde est « justifiée » par des affirmations infondées sur des ennemis étrangers, dont le plus récent est la Russie.


La Russie ne menace personne. La plus grande menace pour la paix mondiale, pour les peuples des Etats-Unis et des autres pays occidentaux, sont leurs propres élites dirigeantes qui sont liées au militarisme et à sa source, le capitalisme financier.


La grossière interférence de Washington dans l’élection à venir en Grande-Bretagne à propos des priorités budgétaires démontre clairement que la « démocratie » britannique n’est qu’un appendice à une laisse américaine. Et la laisse devient courte pour pousser le bouledogue qui gronde à marcher au pied.


Finian CUNNINGHAM | 04.03.2015


Article original: http://www.strategic-culture.org/news/2015/03/04/washington-yanks-british-bulldog-into-line.html


Traduit par Diane Gilliard pour Arrêt sur Info


Source: http://arretsurinfo.ch/washington-force-le-bouledogue-britannique-a-marcher-au-pas/



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