Les Wallons et les Flamands sont en quelque sorte la raison d'être de la monarchie puisque celle-ci est supposée faire l'unité du pays, puisqu'elle transcenderait sa dualité ethnique ou culturelle.
Les monarchies ne font pas l'unité des pays
Le problème, c'est qu'aucune monarchie constitutionnelle n'est considérée comme de nature à faire l'unité du pays. Ce n'est pas par exemple ce que les Anglais disent, ni les Hollandais, ni les Luxembourgeois. Et ils sont rejoints à cet égard par la science politique d'un Arango : «le monarque est l'effet et non la cause de l'homogénéité et du consensus.»
Il est vrai qu'on pense en Belgique que la monarchie aurait cette vertu d'unifier et qu'une idée, soit pensée, soit vécue, même fausse acquiert «de la réalité» comme aurait dit Kant. Lors de mises en cause très récentes par plusieurs partis politiques flamands, sinon du roi actuel, en tout cas de la monarchie telle qu'elle fonctionne, on a vu, côté wallon et bruxellois, se dresser les défenseurs du trône (chez les libéraux et les socialistes) et parfois du trône et de l'autel (chez les démocrates-chrétiens au sein desquels le roi actuel recueille le plus d'opinions positives dans les sondages dont nous allons parler). L'argument justement employé par certains étant d'accuser le grand parti nationaliste flamand de logiquement mettre en cause la monarchie en raison du fait qu'elle ferait l'unité du pays.
Evidemment, même si le roi n'est qu'un symbole de l'unité belge, le mettre en cause est mettre en cause celle-ci et il y a une interactivité entre le symbole et la chose représentée puisque sans une image de soi un groupe social a du mal à exister et même disparaît. Le problème c'est que dans l'histoire de la monarchie, il y a tout de même des épisodes où elle n'a guère renforcé l'unité du pays : l'exemple le plus évident à cet égard est Léopold III. Par son obstination à condamner le gouvernement belge de Londres qui continua la lutte aux côtés des alliés durant la Deuxième guerre, dès 1940, par le maintien de cette position entêtée après la fin de cette guerre en 1944 et 1945, au point qu'un référendum consultatif soit organisé en 1950, le roi permit, au contraire, de révéler au pays à quel point il était divisé. Si 70% des Flamands voulaient le voir se rétablir sur son trône, 60 % des Wallons répondirent NON à Léopold III, peut-être à la monarchie. Le tout s'est achevé par un mouvement insurrectionnel au bout duquel le Léopold III abdiqua. Certes en se maintenant secrètement au pouvoir auprès de son fils pour l'influencer et puis c'est son fils lui-même qui «l'abdiqua».
Les opinions s'inversent?
On dit parfois que les choses se sont inversées depuis lors, les Wallons redevenant plus monarchistes et les Flamands moins. Rien n'est moins sûr. Deux sondages viennent de paraître sur la monarchie. L'un est organisé par la chaîne de journaux Sud-Presse le 23 mai indiquant qu'en cas de séparation du pays, les Wallons choisiraient plutôt une République qu'une monarchie.
Les médias ont trouvé ce résultat étonnant alors que, pourtant, il confirme des sondages ou des enquêtes bien antérieurs.
La Libre Belgique propose, elle, ce 24 mai, un autre sondage portant plutôt sur l'appréciation positive ou négative de l'action d'Albert II, le roi actuel. Les appréciations sont positives dans l'électorat de tous les partis, sauf la NVA où elles sont minoritaire mais seuls 57% des Verts wallons ont une opinion positive (des socialistes wallons, le journal ne rapporte pas le sentiment).
A RTL la chaîne de télé concurrente de la RTBF, on a rappelé qu'il existait une tradition républicaine en Wallonie. Au 1er mai alternatif organisé par la FGTB wallonne, alors que les thèmes sociaux plus que politiques étaient mis en avant, dans le carrefour où j'étais, l'un des participants a regretté le royalisme obséquieux de trop de socialistes et en particulier d'Elio Di Rupo, personnage qui, contrairement à bien des Wallons d'origine italienne, s'ingénie au contraire à créer une tradition royaliste dans son parti qui y a pourtant été toujours étranger. Il est vrai que la politique néolibérale de l'actuel Premier ministre belge restera dans l'histoire comme la marque essentielle de son passage aux affaires (il a privatisé plus que n'importe qui). La remarque de cet ami de la FGTB wallonne, dans le carrefour où j'étais a suscité des applaudissements nourris dont on aurait tort de croire qu'ils expriment un sentiment marginal.
Dans un pays où la figure royale est si souvent présentée comme le facteur d'unité par excellence, les partisans du régime établi sont tentés de souligner la versatilité des deux peuples et d'insister par contraste sur la constance de la monarchie. En fait ces explications sont trop simplistes pour être prises au sérieux. Il faut tenir compte d'une multitude de facteurs qui, inévitablement, ne se reproduisent jamais à l'identique à chaque époque donnée.
Le rôle des médias et des élites politiques
Il est vrai que dans le sondage de La Libre Belgique, les opinions des Wallons et des Bruxellois sont plus favorables à la monarchie. Mais cela est dû aussi au fait que les opinions les plus émises dans l'espace public sont celles des élites politique et on sait que les sociologues montrent qu'une opinion peu émise intimide et freine celui qui veut en faire part. Si donc les opinions émises par les Wallons restent fort critiques c'est qu'elles sont solidement implantées au coeur du Pays wallon.
L'idée que l'opinion wallonne se fait du Prince Philippe (46% des Bruxellois et 48% des Wallons pensent soit qu'il est prêt à succéder à son père, soit que ses performances sont meilleures depuis peu), amène mon ami Christian Laporte de La Libre Belgique à dire que le Prince serait« bientôt prêt à assumer la fonction royale». Mais il y a tout de même 36% des gens en Wallonie et 35 % à Bruxelles qu'il ne pourra le faire «qu'un jour» ou même jamais, le reste des sondés étant sans avis. Les deux opinions que nous venons d'additionner sont d'ailleurs quasi majoritaires en Flandre.
Or, comme le montrent les événements de 1950, pour avoir la possibilité de régner, un roi, en Belgique, doit être accepté par les deux parties du pays (qui peuvent éventuellement tomber d'accord entre elles et avec les Bruxellois, mais...). Le fait même de sonder les opinions publiques belges sur leurs sentiments face à la monarchie montre que celle-ci a perdu l'effet magique de cohésion que, dans les faits, elle n'a jamais eu.
On souhaiterait aussi que les élites politiques qui rencontrent souvent le roi, qui fatalement (c'est surtout vrai des Wallons et des Bruxellois), sont en connivence avec lui et l'establishment en général se souviennent un peu plus souvent que l'opinion n'a pas les mêmes fréquentations qu'elles.
Le capital symbolique de la monarchie décline
Mon ami Ludo de Witte a soulevé plusieurs lièvres à propos de ces élites et montré qu'elles avaient de lourdes responsabilités dans l'élimination tant du Premier ministre du Congo en janvier 1961 que dans celle du Premier ministre du Burundi quelques mois plus tard. Un prix intitulé Roi Baudouin, récompense chaque année des hommes ou des femmes qui ont joué un rôle humanitaire exemplaire dans le développement en Afrique. Le prix de cette année a été remis à l'Ethiopienne Bogaletch Gebre qui a fait reculer la pratique de l'excision en Afrique dans de considérables proportions. Soit! Mais ce prix porte le nom d'un des principaux responsables de l'assassinat de Lumumba comme l'a établi une enquête parlementaire belge.
La monarchie semble ne pas en être gênée. Comme elle ne semble pas se gêner non plus que l'on donne le nom de ses représentants à des événements notamment culturels importants comme par exemple le grand concours musical Reine Elisabeth en train de se dérouler. Il porta quelque temps le nom d'un grand virtuose wallon Eugène Ysaÿe . Ces rapts sont indignes : qui peut mieux représenter la musique sinon un musicien et non une reine ou un roi? De même, la façon vraiment très pénible dont un grand nombre d'historiens belges croient devoir encore défendre la politique coloniale barbare de Léopold II en Afrique soulève le coeur.
Il est temps que Wallons et Flamands s'assument sans plus se réfugier dans des tutelles illusoires, que ce soit celle de l'Europe ou de la monarchie.
Wallons, Flamands et monarchie
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
25 mai 2013Le capital symbolique monarchique est tellement présent qu'on considère comme un "honneur" d'accorder le titre de "royale" à une société qui fête ses 50 ans (comme les clubs de foot RSCL, RCSC, RSCA...).