En cette fin d'année, la lutte nationale traverse un nouveau creux de vague. Un autre. On va évidemment s'en sortir, mais pas nécessairement plus forts, pas nécessairement pour le mieux.
On vit d'abord la situation inconfortable par excellence : un gouvernement souverainiste minoritaire, qui traine tous les inconvénients du pouvoir, mais sans les moyens politiques de mener un agenda nationaliste. Propulsé par le cynisme et le clientélisme ethnique, on se dirige donc tout droit en 2015 vers le sinistre triumvirat libéral Trudeau-Couillard-Coderre, qui promet d'éviscérer en profondeur la fierté nationale et de faire du Québec une plaie ouverte où les patroneux libéraux pourront pratiquer la corruption à grande échelle. Il y a aussi l'option souverainiste, écartelée comme jamais entre trois partis et 40 organisations, elles-mêmes fédérées par une demi-douzaine d'autres organismes contribuant à leur tour à la prolifération. D'un côté, ceux qui revendiquent haut et fort une marche directe vers la souveraineté, quitte à connaître un nouvel échec, quitte à laminer nos rangs. De l'autre, ceux qui souhaitent étendre l'adhésion à la souveraineté, quitte à diluer le message. Querelles stériles et débilitantes.
Le risque du repli identitaire
Or il y a plus grave encore: Montréal en train de perde son statut de métropole francophone. Sans Montréal, le Québec français perd toute capacité à intégrer les nouveaux arrivants. Sans Montréal, le Québec se prive de sa seule grande fenêtre sur le monde, avec ses centres de recherches, ses universités, ses médias, ses théâtres et ses sièges sociaux. Sans Montréal, les francophones se replient à leur tour vers le communautarisme, se méfiant désormais du métissage, y voyant une menace à leur propre survie culturelle.
Le scénario est connu et se retrouve chez d'autres communautés francophones. Qu'est devenu le dynamisme acadien depuis que Moncton a perdu son visage français? Que reste-t-il de la culture cajun, désormais confinée au bayou depuis la perte de la Nouvelle-Orléans? Quelle viabilité pour les francophones de l'Ouest canadien, désormais vaporisés dans des communautés isolées? Il en va de même pour toutes les nations qui aspirent à la souveraineté: elles doivent toutes bénéficier d'une grande métropole les mettant en contact avec le monde. Qui par exemple pense encore à l'indépendance de la Catalogne si elle est privée du dynamisme économique et culturel de Barcelone?
Or pour bien des Québécois, le pont Champlain s'est déjà écroulé. Montréalais et Québécois se perdent de vue. Montréal qu'on évite, Montréal qu'on abandonne, Montréal perdue pour la nation, la nouvelle ligne du front linguistique passant désormais par Laval et par Brossard. C'est la retraite vers la banlieue et vers les régions, en attendant la survie folklorique. Le français demeurera bien sûr bien vivant pour un bon siècle, mais, sans l'apport du métissage, il sera nécessairement tenté par le repli identitaire et d'autant moins à même de se définir comme un État-nation. Bref, tout en valorisant sa culture et son identité, le Québec francophone doit d'urgence et avant tout se penser dans les termes d'une communauté politique sous peine de devoir se redéfinir comme une communauté culturelle, incapable dès lors de justifier ses ambitions souverainistes.
De bien piètres séducteurs
Pour éviter les tiraillements dans les rangs, notamment entre gauche souverainiste et conservateurs nationalistes, on recourt parfois à la jolie formule suivant que « l'indépendance n'est ni à gauche, ni à droite, mais en avant ! ». Malheureusement, s'en tenir à ce syllogisme s'avère insuffisant. Bien sûr, il faut continuer à dépasser ces catégories et d'abord fonder le nouvel espace politique avant de débattre entre partis opposés. Appliquée à la lettre cette formule impose cependant la censure et réduit l'argumentaire souverainiste à une simple attaque du fédéralisme canadien.
Si l'objectif consistait dans un bar à séduire la Belle (province) afin de lui faire un beau bébé souverain, les souverainistes passeraient assurément pour de bien piètres dragueurs. Elle est bien loin l'époque des grands « crooners » souverainistes, tels René Levesque ou Pierre Bourgault. Ces derniers vous diraient que pour séduire il ne s'agit de dénigrer le chum actuel de la Belle; de dévoiler la laideur du fédéralisme canadien pour rendre subitement plus désirable notre projet de pays.
Ce n'est pas non plus en répétant inlassablement notre désir pressant de coucher avec la Belle qu'on va davantage la séduire. Depuis cinquante ans, elle connaît parfaitement les intentions souverainistes. Ce n'est pas faute d'avoir insisté qu'elle dédaigne encore la proposition. Au contraire, à toujours entendre les mêmes ténors revenir à la charge avec les mêmes arguments, on finit par éteindre chez elle tout désir d'y céder.
Ce n'est pas davantage en insistant seulement sur la défense de la langue et de la culture française qu'on va la convaincre. On aura beau « frencher » la Belle, ça ne l'incitera pas plus à quitter son cher Canada. Il se trouvera toujours des sophistes pour prouver que notre culture peut être préservée à l'intérieur du « couple » canadien et que la souveraineté n'offre pas davantage de garanties puisque nous demeurerons plongés dans une Amérique anglophone.
Afin d'éviter de se diviser sur les détails, les souverainistes se privent donc de leurs meilleurs arguments auprès de la Belle. Dépourvue de projet de société concret et exaltant, l'idée d'indépendance mène donc à une forme d'adhésion large, mais de plus en plus molle, floue et désincarnée, démotivante pour les militants et ringarde aux yeux des foules. Trois millions de souverainistes québécois selon la plupart des sondages, mais pourtant il me semble toujours reconnaitre les mêmes visages lors des rassemblements pour l'indépendance. Pour la multitude, le sentiment souverainiste semble désormais une posture foncièrement passive, purement défensive, et non plus porteuse d'espoirs tangibles.
C'est l'évidence. Pour séduire, la souveraineté doit tout autant exalter les vertus citoyennes, susciter l'enthousiasme et l'amour pour nos lois, nos institutions, nos valeurs communes, notre histoire et notre culture. Elle n'est pas qu'un redécoupage des frontières ni qu'un transfert de responsabilités d'un État à l'autre. Elle est tout autant l'occasion d'affirmer nos valeurs, de restaurer le pouvoir du peuple et de refondre nos institutions. N'importe quel bon dragueur vous le dira. Pour séduire il faut d'abord célébrer les atours de la Belle, lui donner confiance en son potentiel et le goût de prendre un risque historique par l'engagement. Il faut en somme lui jouer le grand jeu et, loin de lui cacher l'importance des choix à faire, les rendre au contraire excitants et irrésistibles.
La vraie souveraineté
Il y a 175 ans, les patriotes faisaient face à un dilemme analogue. Pendant trente ans, de 1807 à 1837, ils s'étaient ralliés à une seule idée, à un seul parti patriote et à un seul chef, Louis-Joseph Papineau, afin d'obtenir par des voies pacifiques des réformes essentielles. En 1837, ils furent pourtant décimés, emprisonnés et exilés par l'armée anglaise sans avoir obtenu gain de cause. On n'est pas loin de là nos jours. En 1838, les patriotes ont donc ressenti l'urgence d'élever le débat et de poser les enjeux en termes à la fois plus clairs et plus radicaux. Ils ont alors choisi de proclamer la république.
Consciemment ou non les Québécois demeurent enfermés dans des représentations monarchiques et purement canadiennes. Quand on veut se comparer au reste du monde, ne serait-ce qu'avec la France, sur la laïcité par exemple, on se fait aussitôt répondre que cela n'a rien à voir, que c'est comme comparer des pommes à des oranges. On déduit donc que notre monarchie parlementaire britannique est partout la norme et que la remettre en question est à la fois radical et utopique. Bon Dieu ! Qu'on réalise que pratiquement 90 % de l'humanité vit aujourd'hui en république; que dans les deux Amériques, seul le Canada perpétue encore, depuis deux siècles, une monarchie anachronique qu'on nous présente quand même comme un modèle de normalité.
La république n'est pas une utopie. Elle est tout autour de nous. En fait, nous sommes pratiquement en train de la réaliser, mais à la pièce. Charte des droits et libertés, constitution québécoise, laïcité et neutralité de l'État, autant de mesures républicaines incompatibles avec la monarchie. Regardez les principes dont les organisations souverainistes débattent présentement: abolition du poste de lieutenant-gouverneur, représentation proportionnelle, États généraux, assemblées citoyennes, abolition du sénat. Que ce soit pour sortir les armoiries de l'Assemblée nationale ou pour enlever la reine des billets de banque, la république recoupe toutes et chacune de nos aspirations démocratiques. À la fois radicale et l'expression même du gros bon sens, elle est la suite normale de l'évolution historique et le dénominateur commun de nos luttes nationales. Se débarrasser de la monarchie est une vieille idée qui traverse toute notre histoire, des patriotes au RIN en passant par Olivar Asselin ou T.D Bouchard. Elle doit cependant beaucoup à ses promoteurs modernes dont la réflexion a permis d'en démontrer toute la pertinence dans le contexte actuel: l'historien Louis-George Harvey, le politologue Marc Chevrier ou le sociologue Stéphane Kelly.
Or, il ne s'agit pas de chasser les symboles de la monarchie pour se retrouver comme par magie en république. Victor Hugo disait, La force peut renverser un trône ; la sagesse seule peut fonder une république. C'est donc un chantier fédérateur, clair et exaltant qu'aucun parti politique ne peut s'arroger à l'heure actuelle. Populariser le principe de république, c'est permettre au Québec de se représenter comme une communauté politique libre et ouverte, de ne pas tomber dans le clivage gauche-droite, tout en évitant le piège du repli identitaire.
La république n'a pas à se substituer au projet d'indépendance. Elle est plutôt un nouvel outil dans la panoplie souverainiste. Elle permet de rejoindre plus de gens, de renouveler le discours national, d'étoffer notre projet de société, de dépasser nos différends, de resserrer nos liens et de poser le futur statut politique du Québec en termes clairs et radicaux. Ainsi, à un fédéraliste mou, demandez simplement pourquoi il tient tant au lien avec la monarchiste britannique? Au contraire, au souverainiste mou, demandez si la république n'est pas en fin de compte l'expression même du bon sens? La république est aussi irréversible. Une fois qu'elle sera proclamée, imaginez seulement le Parti libéral devoir convaincre chaque Québécois des bienfaits de la monarchie britannique afin de ramener le Québec dans le giron canadien...
La république c'est l'indépendance, la vraie, celle du peuple responsable et souverain. La république c'est l'affirmation de nos valeurs communes, simples et impérieuses, lieux communs de nos aspirations nationales. La république c'est peut-être l'arme absolue du prochain référendum, l'arme du référendum gagnant.
Vive la république du Québec!
L'idée républicaine gagne du terrain
Gilles Laporte34 articles
professeur d’histoire au cégep du Vieux Montréal.
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