Depuis la réaction des Québécois contre les accommodements, la Charte des droits et libertés de la personne a une très mauvaise presse. D'ailleurs, les circonstances du rapatriement de la Constitution et de l'adoption de la Charte l'avaient rendue suspecte dans les cercles académiques, même si la charte québécoise protège les mêmes droits de façon encore plus complète.
L'argument contre la Charte est souvent ancré dans une notion particulière de démocratie. Selon les critiques de la Charte, la démocratie, c'est le gouvernement par la majorité qui exprime sa volonté lors des élections. Jamais les juges non élus ne devraient pouvoir contredire cette volonté populaire.
Cette vision populiste est naïve et parfois dangereuse pour deux raisons.
D'abord, elle présuppose que les élus représentent vraiment la volonté populaire. On oublie autant la méfiance généralisée envers les politiciens que la puissance de plusieurs lobbys, et surtout celui des gens d'affaires qui contrôlent l'argent et financent la politique. Le citoyen moyen a souvent moins d'accès aux élus qu'à la magistrature et moins de chances de faire valoir sont point de vue.
La deuxième objection au populisme est encore plus percutante. La majorité n'a pas toujours raison. Avons-nous oublié que Hitler ainsi que d'autres chefs monstrueux ont été légalement élus, que les gens votent souvent sur la foi de renseignements biaisés ou incomplets, que l'émotion n'est pas toujours absente et que des loyautés collectives peuvent aveugler les électeurs et provoquer des résultats inacceptables? De plus, des violations majeures des droits individuels ont été commises non seulement par les tyrannies mais également par les États démocratiques. La prison de Guantánamo tenue par les États- Unis constitue un exemple bien connu de ce phénomène et il en existe beaucoup d'autres.
Un instrument essentiel
L'utilisation des chartes en Occident s'est avérée à la fois modérée et utile. À cause de la puissance de certains lobbys, il n'aurait pas été possible de garantir le droit à l'avortement ou l'égalité des homosexuels, sauf devant les tribunaux. Quant à la fin de la ségrégation des Noirs aux États-Unis, la majorité dans les États du Sud s'y serait opposée. Les cours de justice étaient le seul rempart efficace pour les opprimés. Il est à noter que l'opposition à la magistrature dans une majorité de pays vient de la droite, qui n'a peut-être pas apprécié ces développements salutaires.
Cela n'est pas un argument contre la démocratie. On ne peut avoir qu'un seul budget, un seul code criminel, une seule administration publique, et le vote démocratique avec tous ses défauts demeure la meilleure façon de déterminer le contenu de ce qui est nécessairement commun.
Il en est autrement pour les droits fondamentaux comme la liberté personnelle, l'expression et la religion. Il n'y a aucune raison pour légiférer un comportement identique ou des opinions identiques pour chacun.
Dans une vraie démocratie, un individu est protégé contre la majorité et son droit à la dissidence ne peut être assuré que par les juges indépendants et les instruments législatifs comme la Charte.
Il est donc incorrect de penser que nous devons, dans tous les cas, nous plier à la décision majoritaire. Au contraire, la liberté dépend d'un contrepoids qui permet aux citoyens de défier la majorité dans les domaines appropriés. La Charte des droits et libertés constitue ainsi un instrument essentiel de la démocratie.
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