Si dans l'affaire Nguyen (jugement récent sur les écoles privées non subventionnées et la loi 104), la Cour suprême a encore une fois cassé une disposition de la Charte de la langue française, elle l'a fait de façon très nuancée et très modérée. On peut comprendre la colère des ennemis de la loi 101 du côté anglophone. La Cour a catégoriquement rejeté leur style d'intégrisme.
Il est beaucoup plus difficile d'accepter les critiques douteuses que ce jugement a soulevées au sein du Parti québécois, qui a fait appel aux principes de la démocratie et évoqué les menaces faites à la survie du français au Québec pour cribler d'injures un jugement qui reconnaît le pouvoir de protéger le français et qui annule une disposition de la loi seulement à cause de certains détails.
Majorité et gain de cause
Les principes de la démocratie libérale créent des limites au droit de la majorité de légiférer. Bien que le Québec se doive de protéger le français, tout n'est pas permis à cet égard. Annuler une partie de la loi 101 n'est pas signe d'hostilité envers cette loi plus que l'annulation d'un article du Code criminel ne manifeste de l'hostilité envers le Code. Au contraire, la loi 101 a été renforcée par les jugements qui ont éliminé les trois ou quatre dispositions excessives. Il est triste de voir une partie de la société québécoise répéter la propagande populiste qui provient du premier ministre Stephen Harper voulant que la majorité doive toujours avoir gain de cause. Si c'est le cas, pourquoi garder la Charte canadienne ou la Charte québécoise?
Les critiques de l'arrêt de la Cour n'ont pas démontré qu'il s'agit d'une décision statistiquement importante qui aurait un effet majeur sur l'évolution de l'équilibre linguistique. En réalité, il n'y aura probablement aucun effet.
Ghettoïsation
De toute façon, le Québec possède tous les pouvoirs nécessaires pour remédier à la situation sans nuire aux enfants qui ont déjà fait plusieurs années d'études en anglais. Personne n'a jamais expliqué de façon satisfaisante pourquoi le Québec exempte les écoles privées non subventionnées de la loi 101 et subventionne un grand nombre d'écoles allophones. Même si ces dernières sont soumises aux lois linguistiques, elles constituent une des grandes causes de la ghettoïsation et de l'isolement social des immigrants. Il n'y a rien de plus hypocrite que ce tollé contre la Cour suprême quand le Québec pratique sans explication ces politiques de multiculturalisme extrême.
Le Québec doit se préparer au jour où la loi 101 n'aura plus sa logique d'origine. D'ici quelques années, il existera une population importante d'anglophones inadmissibles à l'école anglaise, parce qu'issue d'une immigration récente. Par contre, il y aura des francophones admissibles à cause des mariages mixtes et des séjours à l'extérieur du Québec. Le droit à l'éducation en anglais paraîtra alors plutôt comme une loterie qui donne aux chanceux la possibilité de devenir complètement bilingues aux frais de l'État et qui refuse cette chance aux autres.
Troisième système
La solution optimale serait probablement un troisième système d'écoles ouvertes à tous où l'enseignement se ferait en français prioritairement, mais aussi en anglais en partie. Des proportions de 80/20 ou 75/25 sont à envisager. Il est à prévoir que presque tous les parents vont opter pour ce système et que sa création pourra même renverser, en partie, la tendance des francophones à quitter l'île de Montréal.
Des deux côtés, on rencontrera une opposition féroce. N'en déplaise aux mécontents, ce nouveau système répondra à toutes les préoccupations actuelles: la nécessité de donner la priorité au français, d'intégrer tous les groupes dans notre société, de ne pas créer une école complètement bilingue et de permettre à tous de devenir personnellement bilingues. Au lieu de se morfondre sur le jugement inoffensif de la Cour suprême, il est temps d'élaborer les détails d'un système ouvert, accueillant et équilibré.
Retour en arrière
Les solutions proposées par le Parti québécois — soit l'extension de la loi 101 aux cégeps et aux garderies et l'intensification de la francisation — représentent un retour en arrière, à l'époque où le français n'avait aucune protection légale. Malgré les prévisions funestes de certains démographes, la situation est beaucoup plus complexe maintenant et de vrais gains du français coexistent avec certains éléments inquiétants. De plus, l'extension de la loi 101 aux garderies frôlerait le ridicule et donnerait aux parents riches la possibilité de s'y soustraire facilement.
Quant aux cégeps, personne ne semble se préoccuper de la valeur intrinsèque de la liberté de l'enseignement. L'enseignement collégial et universitaire n'est pas vraiment un instrument d'intégration ni uniquement de préparation pour le marché de travail, mais plutôt une valeur en soi qu'il faut subventionner, mais ne jamais contrôler.
Bataille contre l'anglais
De façon générale, il est temps d'arrêter la bataille contre l'anglais. La culture anglaise fait partie de notre héritage commun. Le but de la protection du français est de maintenir sa prédominance, et donc de préserver l'équilibre qui nous permet de garder les deux langues.
Il est triste pour le Parti québécois qu'on ne parle que de son programme linguistique. Où sont les propositions innovatrices en matière de santé, d'environnement, d'éducation et d'élimination de la pauvreté? On oublie tout ce qui est important pour se concentrer sur un sujet émotif qui ne se prête pas à une solution facile.
Décidément, le Parti québécois fait fausse route et sa préoccupation linguistique est une abdication de son rôle de seul parti social-démocrate majeur.
Julius H. Grey - Avocat chez Grey Casgrain
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