Essais québécois

Une Nouvelle-France au goût de sel

Livres - 2008

Il y a, au Québec, une relève historienne et celle-ci, contrairement à ce qu'on a pu croire récemment, n'abandon-ne pas l'époque de la Nouvelle-France. En fait foi Exilés au nom du roi. Les fils de famille et les faux-sauniers en Nouvelle-France, 1723-1749, un ouvrage original de la jeune historienne Josianne Paul qui se penche sur un aspect méconnu du peuplement de la colonie.
Recruter des candidats à l'aventure coloniale en France, à l'époque, n'est pas une tâche facile. La colonisation militaire et le système des engagés ne fournissent pas le contingent nécessaire à la réussite de l'entreprise. Aussi, à titre de ministre de la Marine et des Colonies et de secrétaire d'État de la Maison du roi, Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas, développe, entre 1723 et 1749, une nouvelle stratégie. Il utilise ce qu'on désigne alors sous le nom de «lettres de cachet» pour imposer l'exil en Nouvelle-France à certaines catégories d'individus.
Dans la France de l'Ancien Régime, explique Josianne Paul en reprenant un adage, «le roi est source de toute justice». Cette prérogative s'exprime entre autres par ces «lettres de cachet» qui «renfermaient les ordres du roi qui devaient être exécutés avec discrétion». Par ces documents, donc, le roi peut imposer son arbitraire, même en matière de justice. Dans la plupart des cas, cette procédure s'applique à de petits nobles dissipés qui, à la demande de leurs proches souhaitant préserver l'honneur familial, sont enfermés dans des hôpitaux généraux ou des maisons de force sans perdre leurs droits. Il s'agit, on l'aura compris, d'une mesure de contrôle social. Maurepas, en quête de recrues pour la colonie, y voit une belle occasion. Pourquoi, en effet, ne pas ajouter à ces lettres une clause d'exil forcé vers la Nouvelle-France?
De 1715 à 1726, la mesure sera d'abord appliquée à des prisonniers en attente de procès dont on tentera de faire des soldats ou des engagés. Dans ce contexte, pour Maurepas (ministre à partir de 1723), «l'exil était davantage une occasion qu'une punition». Ce sera un échec. Les autorités de la Nouvelle-France considèrent que les prisonniers ne sont pas «des colons convenables» puisqu'ils reprennent «généralement leurs activités illicites une fois qu'ils [sont] établis dans la colonie». Maurepas se tourne donc, dans un deuxième temps, vers «les fils de famille», c'est-à-dire ces petits nobles enfermés à la demande de leur père. Josianne Paul évalue qu'environ 84 de ceux-là (7 % de l'immigration en Nouvelle-France entre 1720 et 1760) viendront dans la colonie. Privés de réseau social, inaptes au travail de la terre et difficilement capables de trouver ici une fonction respectueuse de leur statut, ces fils de famille chercheront, dans la plupart des cas, à faire renverser la décision du roi et à retourner en France. Peu d'entre eux s'établiront définitivement dans la colonie.
Le ministre de la Marine et des Colonies, à la fois soucieux du maintien de l'ordre public en France et du succès de la colonie, vise alors un troisième groupe auquel il souhaite imposer l'exil grâce aux «lettres de cachet». En réaction à la gabelle, une taxe imposée sur le sel, la contrebande de cette denrée bat son plein en France. Les délinquants, nommés «faux-sauniers», sont passibles de peines sévères. Maurepas suggère de les remplacer par la «peine du Canada», c'est-à-dire l'exil forcé. Six cent sept de ces contrebandiers, provenant surtout du nord du royaume, seront donc envoyés en Nouvelle-France. Cela représente 50 % des Français qui ont traversé l'Atlantique entre 1730 et 1749. Dotés de solides aptitudes physiques, ils deviendront maçons, charpentiers ou laboureurs. Ils s'intégreront facilement aux habitants, prendront femme au pays et s'installeront ici. Quoique relativement peu nombreux, ils contribueront néanmoins à la suite de l'aventure française en Amérique.
Si vous aimez beaucoup le sel, cherchez l'ancêtre, pourrait-on dire après avoir lu ce solide petit ouvrage.
Un médecin de la Renaissance
Spécialiste de la Nouvelle-France, l'historien Jacques Mathieu, avec Entre poudrés et pouilleux. Le jeu des apparences à Paris au XVIIe siècle, nous offre un bref récit historique qui met en vedette un médecin français de la Renaissance tardive. Né le 31 décembre 1599, Jacques-Philippe Cornutti eut un parcours marqué par l'esprit de cette époque, caractérisée par «les affrontements entre la tradition et l'innovation».
Formé à l'ancienne, Cornutti est rapidement séduit par les balbutiements de la science moderne, ce qui lui vaut le statut de «médecin sans clientèle». Inspiré par Marin Mersenne, un moine savant, il se passionne pour l'astronomie, jusqu'à la condamnation de Galilée. Il se recycle alors dans la botanique, se spécialisant notamment dans l'étude des plantes du Canada, transportées en Europe grâce aux soins de Louis Hébert et de son frère.
Sur le plan professionnel, toutefois, rien ne va. Cornutti oscille toujours entre l'enthousiasme et la déprime. Un mariage tardif relancera sa carrière de médecin, mais, influencé par sa femme qui se passionne pour l'alchimie, Cornutti fera une erreur fatale qui le mènera au désespoir.
Ce récit, trop uniment descriptif, manque de souffle et de vibration humaine. Instructive, son évocation des sensibilités du temps reste malheureusement trop statique et poussive pour convaincre.
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louisco@sympatico.ca
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Exilés au nom du roi

Les fils de famille et les faux-sauniers en Nouvelle-France, 1723-1749
Josianne Paul
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Entre poudrés et pouilleux

Le jeu des apparences à Paris au XVIIe siècle
Jacques Mathieu
Septentrion Sillery, 2008
respectivement 222 et 180 pages


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