L'article de Marie-Joëlle Brassard paru dans Le Devoir du 8 juin sur les coopératives de santé apporte un éclairage intéressant sur le projet porté par ces coopératives. Il est exact de dire que les coopératives de santé ne s'inscrivent pas dans une perspective de privatisation, car ce terme renvoie à l'entreprise privée. Les coopératives logent à l'enseigne de l'économie sociale, un secteur qui se situe en quelque sorte entre les créatures de l'État et les entreprises privées.
Cependant, il faut s'interroger dès maintenant sur les garanties réelles de maintien de la gratuité des services médicaux offerts par les coopératives.
Dans plusieurs cas, des coopératives de santé ont été bel et bien mises sur pied à l'initiative de citoyens du milieu, désireux de s'assurer de la présence de services médicaux sur leur territoire. On pense entre autres au projet de coopérative situé sur le territoire du CSSS du Lac-Témiscamingue. La part sociale ne sera que de 10 $ et les services médicaux y seront gratuits et accessibles aux non-membres. C'est l'orientation à privilégier, d'autant plus que la Loi canadienne de la santé interdit de facturer l'obtention de services médicaux.
Là où cela devient inquiétant, c'est quand on apprend que dans une ville de la Mauricie, par exemple, une coopérative de santé a été mise sur pied à l'initiative de médecins, propriétaires d'une clinique privée, qui ont voulu transformer leur clinique en coopérative, essentiellement pour améliorer leurs revenus.
Dans la rémunération des médecins à l'acte, la RAMQ calcule qu'environ 30 % du paiement compense la location d'un bureau, l'embauche d'une secrétaire, le paiement du téléphone, etc. En faisant payer ces frais par la coopérative, les médecins améliorent de façon importante leurs revenus. On sait que les médecins, tant les omnipraticiens que les spécialistes, sont insatisfaits du résultat de leurs négociations salariales avec le gouvernement.
Médecine à deux vitesses
Dans le cas de cette coopérative, on exige non seulement une part sociale, ce qui est normal, mais une cotisation annuelle. Les médecins de cette coopérative se proposent de limiter à la période de l'après-midi les consultations pour les personnes qui n'ont pas payé la cotisation annuelle, donc qui ne sont pas membres. Les membres par contre auraient le droit de consulter tant le matin que l'après-midi. N'est-ce pas ce que l'on appelle une médecine à deux vitesses?
Des études scientifiques ont démontré que lorsque les citoyens devaient payer un ticket modérateur pour les services médicaux, les plus démunis s'en privaient, tant pour eux que pour leurs enfants, et se retrouvaient alors à l'hôpital (gratuit) pour des pathologies qui n'avaient pas été traitées à temps.
Les pratiques du type de la coopérative de cette ville de la Mauricie sont-elles répandues? Une coopérative qui n'est pas créée à l'initiative du milieu mais plutôt pour augmenter la rémunération de personnes déjà bien nanties est-elle une vraie coopérative? Ce serait désolant de constater que la mise en place des coopératives de santé aurait servi essentiellement aux médecins, pour qu'ils obtiennent indirectement ce qu'ils n'ont pas obtenu directement lors de leurs négociations salariales avec le gouvernement.
Il est par contre plus rassurant de lire, dans un dossier de la revue L'Action nationale d'avril 2007, les propos du président de la Coopérative d'Aylmer, Guy Benoît, à ce sujet: «Il est évident que la possibilité de revenus supérieurs dans un milieu donné a un pouvoir d'attraction pour certains médecins. À notre avis, ces sommes supplémentaires accordées au médecin s'il y a lieu doivent être dégagées à partir des revenus de la coopérative et non par des cotisations supplémentaires demandées aux membres.»
Il faut saluer l'initiative et la débrouillardise des citoyens qui se regroupent pour améliorer l'accès aux services médicaux dans leur milieu. Il est souhaitable de faire en sorte, collectivement, de rendre les conditions de pratiques plus agréables et plus fonctionnelles pour les médecins (moins de gestion à faire, etc.). Mais nous devons aussi travailler à rendre les conditions de pratique plus agréables et plus fonctionnelles pour tous les corps d'emploi du milieu de la santé et des services sociaux.
L'objectif de l'accessibilité aux services médicaux peut être recherché tout en étant vigilants concernant le maintien de la gratuité des services, un acquis social important des quarante dernières années.
Il faudrait également se poser la question: pourquoi l'ADQ et le Parti vert sont-ils les seuls à favoriser ouvertement les coopératives de santé? Dans le cas du Parti vert, le moins que l'on puisse dire, c'est que la cohérence de ses orientations n'est pas toujours évidente. Du côté de l'ADQ, ses orientations de droite sont bien connues. Le chef de l'ADQ, Mario Dumont, lors du débat télévisé des chefs de la dernière campagne électorale, a fait l'éloge des coopératives de santé, a dénoncé l'«ingérence» d'Ottawa qui nous impose la Loi canadienne de la santé et a mis en avant la spécificité québécoise. Le caractère distinct du Québec, pour M. Dumont, tiendrait-il dans le fait de faire payer les citoyens pour leurs services médicaux? Voilà un allié dont les vraies coopératives de santé pourraient se passer.
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Jacques Fournier, Organisateur communautaire dans le réseau de la santé et des services sociaux
Les coopératives de santé
Une manière d'augmenter les revenus des médecins?
Commission Castonguay
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