Il n’y a pas d’autres mots pour qualifier le « protocole d’entente » que viennent de signer les associations représentant les Acadiens du Nouveau-Brunswick (SANB), les anglophones du Québec (QCGN) et les francophones de l’Ontario (AFO). Ce « protocole historique » pour « l’avancement et la protection des droits linguistiques des communautés de langue officielle en situation minoritaire » est une « première ». C’est ce qu’affirme le communiqué de presse. Il y est aussi écrit : « Forts des expressions d’appui et de solidarité des derniers mois en lien avec des annonces et décisions gouvernementales qui ont mis à dure épreuve les communautés linguistiques minoritaires, le protocole d’entente vise à cimenter le rapprochement et la collaboration entre les trois partenaires…. Même si les situations peuvent différer, à la base, nos droits sont les mêmes. Ensemble, nous voulons écrire le prochain chapitre des droits linguistiques pour s’assurer qu’ils soient respectés partout au Canada ».
Comment dire?
Ce communiqué est une merveille de duplicité. Il est dégoulinant de mauvaise foi.
« Des décisions qui ont mis à rude épreuve les communautés linguistiques minoritaires. »
Vraiment?
On met réellement sur un pied d’égalité la fermeture du Commissariat aux services en français de l’Ontario et le refus de financer une micro université (2 millions de dollars seulement!) de langue française en Ontario avec le transfert de deux écoles anglaises quasi vides au secteur francophone (qui déborde) à Montréal?
« L’entente » semble plutôt être la suivante : les anglophones du Québec se servent des francophones hors-Québec afin de poser en victimes d’une soi-disant tyrannie de la majorité francophone au Québec. En échange, les francophones hors-Québec profitent de l’influence énorme du QCGN à Ottawa pour tenter de grappiller un peu de visibilité au fédéral, qui a la fâcheuse habitude de les ignorer.
Rappelons que la Loi sur les langues officielles est construite à partir de deux principes aussi séducteurs que mensongers, soit celui de l’égalité absolue entre les langues (au mépris du fait que c’est le français et non l’anglais qui est en train de disparaître au Canada) et celui du principe de personnalité, la langue étant conçue comme le résultat d’un libre-choix effectué par un individu (mais on n’a encore vu personne choisir sa langue maternelle…).
Ottawa utilise depuis longtemps la fausse symétrie et la fausse égalité entre les « communautés de langue officielle en situation minoritaire » pour angliciser le Québec en se foutant de ce qui est en train d’arriver aux francophones hors-Québec, soit la lente disparition.
Voyons brièvement à quel point cette astuce rhétorique de la « fausse symétrie » est un mensonge :
- Rappelons d’abord que l’importance accordée par les anglophones au français n’a jamais été bien forte et s’est érodée de façon importante dans les 20 dernières années. L’appui des allophones au français à travers le Canada est faible; seule une minorité d’allophones jugent que l’apprentissage du français par leurs enfants est « très important ». Cet appui au bilinguisme anglais-français, qui était l’incarnation politique, pensions-nous naïvement au Québec, du concept des « deux peuples fondateurs » est en train de s’étioler chez les anglophones et n’a jamais véritablement pris racine chez les nouveaux arrivants. Il est d’ailleurs important de rappeler que l’idée même des « deux peuples fondateurs » a été brutalement mise à mort lors du rapatriement de la constitution en 1982. La Cour suprême du Canada a même dit que ce concept n’avait jamais existé. Bref, s’il n’y a pas deux peuples fondateurs, comment peut-il avoir une symétrie entre eux?
- Rappelons ensuite que l’assimilation des francophones hors-Québec augmente sans relâche : « En 1991, il y avait 976 000 personnes de langue maternelle française hors Québec, en regard de 637 000 de langue d’usage française. Cela revient à une assimilation courante de 339 000 ou de 35 %. Un autre vingt ans plus tard, le recensement de 2011 énumère à l’extérieur du Québec 1 008 000 personnes de langue maternelle française, contre 619 000 de langue d’usage française. Ce qui équivaut à une assimilation courante de 389 000 ou de 39 %. De 27 % en 1971 à 35 % en 1991, puis à 39 % en 2011, la tendance de l’assimilation courante est claire. Quant à l’assimilation cumulative au fil des générations, vu la progression de l’assimilation courante, en toute vraisemblance le Canada hors Québec en est rendu aujourd’hui bien au-delà de 70 %. »
-Finalement, rappelons que les anglophones assimilent la majorité des immigrants allophones qui effectuent des transferts linguistiques au Québec! On parle d’environ 65% du total (vous avez bien lu).
Quand on constate les privilèges coloniaux inouïs dont jouit la « minorité » anglophone au Québec, il ne faut pas être surpris de voir que c’est elle qui tient le haut du pavé à Montréal : un réseau collégial qui déborde, le plus gros centre hospitalier au Québec où il est parfois difficile d’avoir du service en français, un réseau universitaire qui draine au moins le quart des fonds destinés au postsecondaire et qui finance les études -en anglais- de plus de 12 000 étudiants hors-québec par année, ce qui nous coûte au bas mot 55 millions de dollars par année, etc.
« Même si les situations peuvent différer »?
C’est le moins qu’on puisse dire.
Comparer le sort des francophones hors-Québec avec celui des anglophones au Québec relève d’une escroquerie, d’une tromperie, d’une duperie, d’une hypocrisie, d’une imposture, d’une mascarade, d’une falsification des faits et du mensonge le plus grossier imaginable.
Les relations n’ont pas toujours été au beau fixe entre les Québécois et les francophones hors-Québec. Ce sont les États généraux du Canada français tenus en 1969 qui ont consacré la rupture alors que 98% des délégués québécois votent en faveur d’une motion reconnaissant au Québec le droit à l’autodétermination. Il est déjà clair que l’existence même des Canadiens-français hors-Québec, comme l’on disait alors, est menacée par l’assimilation. Jacques-Yvan Morin affirme que « les Québécois ne sont pas prêts à sacrifier le tronc aux branches ». Les francophones hors-Québec y ont vu, avec raison, une forme d’abandon. Le gouvernement du Québec, cependant, a appuyé la lutte pour conserver Montfort. Il a récemment appuyé les Franco-Ontariens dans leur lutte contre les décisions prises par le gouvernement Ford. La SSJB a invité les Franco-ontariens à ouvrir le défilé de la Saint-Jean à Montréal cette année. Il est dommage de voir cette dynamique de rapprochement être jetée aux orties. Ce protocole d’entente cimente l’éloignement entre les Québécois et les francophones hors-Québec. Est-ce ce qui est souhaité par Ottawa? Est-ce le prix demandé par la ministre Joly pour jeter quelques restes de tables aux francophones hors-Québec alors qu’elle est en train de réviser la Loi sur les langues officielles?
Dans l’excellente mini-série Chernobyl, produite par le réseau américain HBO, l’on s’attarde beaucoup au rôle du mensonge, et du mensonge d’État, dans la genèse de la catastrophe. Un mensonge étouffant et permanent. Un mensonge qui cherchait à remodeler la réalité selon les désirs du Parti communiste. Les chercheurs qui osaient dire la vérité ne faisaient que perdre leur poste. Les autres étaient fusillés au terme de procès spectacle. Mais la réalité a fini par reprendre ses droits, comme elle le fait toujours.
Le Canada post 1982, pour ce qui est de la Loi sur les langues officielles, n’a rien à envier à l’ex-Union Soviétique, brutalité en moins. L’assimilation des francophones hors-Québec, résultat d’une politique linguistique inepte et d’un flagrant manque de volonté de la part des anglophones, y est niée. Le sort des anglophones au Québec, une « minorité » conquérante, est considéré comme étant équivalent et symétrique à celui des francophones hors-Québec, une minorité en voie d’extinction, comme si cela était vérité. Ce mensonge d’État, cette négation de la réalité, produit un climat délétère, toxique et étouffant. Au Canada, ce mensonge sert à tenter de remodeler la réalité aux désirs du Parti multiculturaliste, Parti dominant à Ottawa. Les chercheurs qui voudraient travailler de façon objective sur la question linguistique se voient privés de subventions par Ottawa, qui récompense plutôt ceux qui nourrissent le mensonge.
Mais la réalité finira bien par reprendre ses droits. Elle le fait toujours.
Photo : Radio-Canada / Antoine Trépanier