L’imam Hassan Guillet, qui s’est fait connaître grâce au sermon qu’il a livré à la suite de l’attentat qui a eu lieu au Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) en janvier 2017, a remporté l’investiture du Parti libéral du Canada (PLC) dans la circonscription fédérale de Saint-Léonard-Saint-Michel (SLSM).
Cette nouvelle est une surprise. Notons d’abord que la circonscription de SLSM est une forteresse libérale, ayant toujours voté PLC au fédéral et PLQ au « provincial » depuis l’installation en masse d’immigrants d’origine italienne dans les années 50. Selon le site QC125.com, le PLC y récolte actuellement 60,6% des intentions de vote et la probabilité de son élection est de plus de 99%. Autant dire que, pour SLSM comme pour bien d’autres circonscriptions montréalaises comptant de forts contingents d’allophones, l’alternance politique y est un concept inconnu. Fait important, elle est représentée par un député d’origine italienne depuis au moins 45 ans. Pour la communauté italienne, la défaite de leurs candidats (car il y en avait deux) à l’investiture du PLC est une véritable gifle.
Trois hypothèses peuvent expliquer ce résultat: Premièrement, la victoire de M. Guillet est-elle due à l’installation de nombreux immigrants d’origine maghrébine dans SLSM, ceux-ci ayant appuyé le candidat musulman? L’imam Guillet est-il l’élu imposé par les hautes sphères du PLC pour combattre le projet de loi sur la laïcité du Québec? Troisièmement, la division du vote italien entre deux candidats aurait-elle permis au candidat musulman de remporter la mise en se faufilant?
Voyons-y de plus près.
Il n’est pas simple de savoir combien il y a « d’Italiens » et de « musulmans» dans cette circonscription. À partir des recensements effectués par Statistique Canada, il faut tracer un portrait en recoupant les données sur l’origine ethnique et la religion déclarée.
Ainsi, le recensement de 2016 dénombre 25 510 personnes déclarant être d’origine ethnique italienne. En 2011, 18 760 personnes déclaraient « musulman » comme religion alors qu’ils étaient seulement 6 140 à déclarer la même chose en 2001. En 10 ans, cela représente une croissance de 12 620 personnes, soit 205%. Si on extrapole linéairement cette croissance de 2011 à 2019, on peut supposer qu’il y a environ 28 800 musulmans dans SLSM en 2019, ce qui représente 25% de la population de la circonscription. Grosso modo, résultat de l’immigration massive des 15 dernières années, on peut estimer que le nombre de musulmans est au moins équivalent ou dépasse maintenant le nombre d’Italiens dans cette circonscription.
Quant à la deuxième hypothèse, le journal de la communauté italienne, le Corriere Canadese rapporte dans son édition du 30 mai 2019 que le ministre de l’Immigration, Ahmed Hussen, a participé à des activités avec l’imam Guillet, ce qui est un signal que celui-ci est bien appuyé tacitement par les hautes sphères du PLC.
Conclusion? Les « Italiens » ne sont probablement plus assez nombreux dans SLSM pour imposer unilatéralement leur candidat. La division du vote, combinée à l’appui tacite du PLC à M. Guillet, a fait le reste. Résultat? La colère gronde dans la communauté italienne, au point où le Corriere Canadese écrit que celle-ci pourrait décider d’appuyer le candidat conservateur dans SLSM (Ilario Maiolo), ce qui serait du jamais vu.
L’immigration massive des 15 dernières années est-elle en train de faire passer SLSM de circonscription « italienne » en circonscription « musulmane »? On se souviendra que l’épicentre de la crise linguistique, qui a débuté en 1968, était à Saint-Léonard. Son origine fut la décision par la Commission scolaire catholique d’abolir les sections anglophones ou « bilingues » dans ses écoles pour verser les enfants d’origine italienne dans des écoles françaises. Devant le refus de parents italiens ne souhaitant pas que leurs enfants fréquentent l’école française et des francophones qui prenaient conscience qu’ils étaient en train de se faire minoriser chez eux, on en vint aux batailles rangées. Cinquante ans plus tard, sur fond de bouleversements démographiques apportés par une autre vague d’immigration massive, Saint-Léonard va-t-elle être l’épicentre d’une contestation du projet de loi sur la laïcité?
La priorité du régime fédéral et du PLC après les élections d’octobre sera de faire battre le projet de loi sur la laïcité, cette flèche lancée au cœur du multiculturalisme canadien. Qui de mieux placé qu’un imam, à l’aura médiatique radio-canadienne de « musulman raisonnable », pour travailler à faire échec au projet? La naïveté affichée par François Legault, qui a « hâte de passer à autre chose » est assez surprenante : Ottawa ne passera pas à autre chose tant que la laïcité ne sera pas réduite en poussière.
D’ici octobre, il faut s’intéresser au rôle que viendra jouer l’imam Guillet en politique québécoise. Est-il désigné par M. Trudeau pour combattre la laïcité? Sur la question de l'égalité homme-femme, de l'homosexualité, de l'apostasie, est-ce que M. Guillet se situe dans le camp de ceux qui soutiennent une lecture littérale du Coran ou dans le camp de ceux qui croient que l’islam doive être réformé pour être compatible avec la démocratie libérale? La réponse à ces questions contribuera au débat public.
Le fameux « vote ethnique » qui a été instrumentalisé pendant des décennies par Ottawa pour bloquer la volonté d’émancipation du Québec va-t-il muter en « vote religieux » dans SLSM? Les deux vont-ils s’additionner pour rendre l’élection du PLC plus facile que jamais? Ou bien, au contraire, vont-ils s’opposer, ce qui rendrait l’alternance politique enfin envisageable dans cette circonscription? Après les libéraux « provinciaux », la laïcité fera-t-elle voler en éclats la coalition libérale fédérale, du moins localement? Ce serait pour le moins savoureux. Les résultats de l’élection d’octobre 2019 seront à suivre avec attention.