Une gouvernance partagée pour les universités

UQAM - scandale financier


La bonne gestion et le mode de développement des universités québécoises ont été sérieusement mis en cause ces derniers mois. Le rapport d'un groupe de travail mis sur pied par l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP) a trouvé un certain écho dans ces discussions sur la gouvernance. Ses recommandations ne font toutefois pas autorité et d'autres voies de réforme, selon nous mieux adaptées à la culture universitaire, doivent être envisagées.
Les partis pris du rapport de l'IGOPP
Les recommandations du rapport de l'IGOPP découlent d'une analyse très partielle et partiale de la réalité universitaire. Sur le terrain, la démarche a consisté dans une série d'entrevues auprès, quasi exclusivement, de hauts dirigeants. Le groupe de travail présente d'ailleurs un profil similaire. Ses perspectives auraient été autrement plus éclairantes s'il avait pris en compte avec une attention comparable l'expérience des représentants -- professeurs, étudiants, chargés de cours et employés -- actifs au sein des instances universitaires.
La conséquence de cette faiblesse méthodologique est par trop prévisible: les auteurs du rapport abandonnent le principe de la «gouvernance partagée», qui fonde la gestion sur l'équilibre des pouvoirs. On attend mieux d'un projet de réforme de la gouvernance des universités québécoises. Surtout, on voudrait y voir des solutions novatrices qui intègrent les valeurs fondamentales de la culture universitaire.
La concentration des pouvoirs
Si l'on se fie au rapport de l'IGOPP, la clé d'une bonne gouvernance des universités serait de confier un rôle accru et prépondérant à des «membres indépendants» au sein de conseils d'administration aux pouvoirs très larges et exclusifs. Le problème à résoudre tiendrait-il donc principalement à la position de conflit d'intérêts dans laquelle l'université se trouverait par rapport à la société?
Nous sommes loin d'en être sûrs: du moment que l'on n'étouffe pas la délibération, l'université est bien trop pluraliste, par nature, pour se détacher ainsi en bloc de l'intérêt commun. Par ailleurs, la «non-indépendance» peut tout aussi bien être attribuée aux réseaux d'influence qui ont tendance à se tisser, à l'abri du regard public et, dans le pire des cas, jusqu'à la collusion, entre les membres de conseils d'administration.
Nous ne remettons nullement en cause les rôles de conseil et de surveillance que l'on confie à une instance qui accueille des membres extérieurs à l'Université, dits «indépendants» -- quoiqu'il faudrait s'assurer que ceux-ci soient suffisamment représentatifs des divers secteurs d'activité sociale. Une réforme de la gouvernance ferait toutefois peu de chemin en aboutissant à une simple concentration des pouvoirs.
L'apport de l'université à la société est important; on accepte dans cette optique qu'elle mobilise des ressources considérables. Son financement, ses orientations, son développement deviennent dès lors des enjeux très disputés, car il y a pour chacun à perdre et à gagner. Une réforme de la gouvernance doit permettre de garder le cap: assurer la mise en place de bonnes pratiques de gestion tout en veillant à ne pas détruire la vitalité et le caractère propre de l'institution.
Pourquoi craindre la délibération?
Il serait bien ardu de montrer du doigt les difficultés auxquelles font face les universités et qui seraient attribuables à un «excès de démocratie» plutôt qu'à des manoeuvres conduites par des instances restreintes se sentant très peu redevables devant quiconque. Quels exemples pourrait-on donner de dossiers qui ont mal cheminé ou qui ont conduit à des désastres financiers parce que l'on aurait posé trop de questions, fait valoir trop d'aspects du problème à prendre en compte, trop incité à la prudence?
L'UQAM n'aurait-elle pas bénéficié d'une plus grande implication de ses instances participatives dans le processus de prise de décision concernant les investissements immobiliers? Rappelons que le syndicat des professeurs de l'UQAM ainsi que les associations étudiantes n'étaient pas favorables aux projets immobiliers de la direction qui se sont avérés désastreux.
Pour être pertinente, une réforme de la gouvernance des universités doit s'attaquer aux dérives qui créent le plus de dommages, c'est-à-dire: la gestion en vase clos, le manque de transparence et de rigueur dans la reddition de comptes, la promotion d'intérêts sectoriels par des jeux d'influence, l'absence de légitimité et l'incapacité de mener des projets rassembleurs.
Université de Montréal
À l'Université de Montréal, le conseil d'administration peut compter jusqu'à 24 membres; il se compose actuellement de 18 membres en poste, en plus du recteur qui y siège d'office. Parmi ses 8 membres externes, 3 sont identifiés comme administrateurs de sociétés et 5 sont directement associés au secteur des affaires.
Il existe par ailleurs à l'Université de Montréal une instance participative plus large, l'Assemblée universitaire. Celle-ci compte 114 membres, soit: 54 professeurs élus provenant de 11 facultés, 3 professeurs d'écoles affiliées, 14 chargés de cours, 8 étudiants, 3 représentants du personnel, 24 cadres académiques ou administratifs et 8 membres nommés par le Conseil de l'Université. On voit bien l'avantage d'un tel forum lorsqu'on a le souci d'en arriver à des décisions légitimes, transparentes, respectueuses de la mission de l'université et des conditions nécessaires à l'avancement des connaissances.
La vision de la gouvernance défendue dans le rapport de l'IGOPP marginalise l'apport d'une instance telle que l'Assemblée universitaire. De notre point de vue, c'est une erreur. Les dysfonctionnements et les malaises actuels n'en seraient qu'accentués. [...]
Par exemple, en 2005, un recteur a été choisi alors que l'Assemblée universitaire avait donné sa faveur à une autre candidate. Cette «nomination forcée», que nulle situation de crise ne justifiait, a eu des conséquences désastreuses sur le climat institutionnel. Faute d'un appui solide de la communauté universitaire, la direction de l'université s'est embourbée dans la controverse, incapable de faire preuve d'un leadership efficace.
Gare de triage
L'établissement d'un second campus de l'Université de Montréal sur le site de la gare de triage d'Outremont est une décision appelée à peser lourdement sur l'avenir de l'institution. Le projet implique une réorganisation radicale de la vie universitaire. Il touche le sort d'un patrimoine immobilier d'envergure sur la montagne. Et il implique un engagement financier extrêmement compromettant, dans un contexte où les universités québécoises ont déjà peine à assurer leur fonctionnement de base.
Peut-on parler de «bonne gouvernance» quand on constate qu'un processus de «consultation» a été mis en oeuvre uniquement après l'achat des terrains de la gare de triage d'Outremont? La communauté universitaire s'interroge encore sur les sommes engagées dans les multiples travaux d'experts liés à ce projet qui suscite une adhésion très mitigée.
La direction de l'université s'apprête à effectuer de façon aussi précipitée la vente du 1420 Mont-Royal, un joyau patrimonial, sans que l'Assemblée universitaire ait pu même discuter de ce choix et faire entendre son avis au Conseil de l'Université. L'enjeu encore une fois est de taille: la perte de cet immeuble diminue considérablement les possibilités d'un développement intégral de l'Université de Montréal sur la montagne, et il y a lieu de se demander si sa mise en vente ne sert pas d'abord et avant tout les intérêts des promoteurs inconditionnels d'un nouveau campus sur le site de la gare de triage d'Outremont. Quel mal y aurait-il à en délibérer?
Viser la collaboration
Une réforme de la gouvernance des universités qui suivrait les recommandations centrales du rapport de l'IGOPP accentuerait le clivage entre les dirigeants et les communautés universitaires. À l'inverse, il faut favoriser le rapprochement entre la vigilance externe et les instances internes participatives qui sont au coeur même de la culture universitaire: que les uns puissent connaître les préoccupations des autres, que l'information circule, qu'il y ait une influence mutuelle en vue de décisions sages, innovatrices et rassembleuses. Si peu de modèles à cet égard ont été éprouvés, il y a lieu justement d'y travailler.
Le groupe de travail de l'IGOPP propose la mise sur pied dans toutes les universités de trois comités émanant du conseil d'administration: un comité de la vérification, un comité de la gouvernance et de l'éthique, et un comité des ressources humaines. Nous adhérons à cette idée d'établir des cibles de vigilance. Dans l'optique de préserver la «gouvernance partagée» au sein des universités, nous suggérons toutefois d'en faire des comités conjoints du Conseil de l'Université et de l'Assemblée des représentants de la communauté universitaire.
Loin de constituer une «pensée en bloc», les représentants élus de la communauté universitaire sont aussi des experts dans une variété de disciplines scientifiques. Leur diversité, de surcroît, constitue un bon rempart contre l'appropriation du pouvoir par un seul groupe ou un réseau d'influence. Voilà qui compte lorsque l'on se préoccupe de l'utilisation qui est faite des fonds publics.
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Louis Dumont, Professeur de pharmacologie à l'Université de Montréal et président du Syndicat général des professeurs de l'UdeM

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Professeur de pharmacologie à l'Université de Montréal et président du Syndicat général des professeurs de l'UdeM





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